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Fuir la Citadelle
Ryan Graudin
Le Masque, Msk, roman (USA), thriller, 389 pages, novembre 2014, 17€

La Chine aujourd’hui. Le bidonville de Hak Nam jouxte la mégapole de Seng Ngoi. Ancienne citadelle fortifiée, elle est une enclave de pauvreté et de non-droit. Comme on l’apprendra plus trad, plus pour longtemps : les autorités ont décidé de faire du ménage pour le nouvel an. Dans 18 jours.
Ce délai, Dai est l’un des rares à le connaître. Ce jeune homme, réfugié dans le ghetto pour un crime dont on ignore tout, cherche à faire tomber Longwai, trafiquant et proxénète. Pour cela, il doit l’approcher, travailler pour lui, gagner sa confiance. Il a besoin d’un gamin des rues qui court vite, pour faire le coursier pour leur mafieux.
Ce gamin, rapide comme une flèche, il va le trouver en Jin Ling. Jin Ling est rapide et tenace. Jin Ling survit depuis plusieurs années à Hak Nam, dans l’espoir de sauver sa sœur, vendue par leur père à une maison close. Jin Ling, sous sa crasse, sa maigreur et des cheveux mal coupés, est une fille, et dissimule précieusement ce secret.
Dai arrive à entrer en contact avec Mei Yee, une des prostituées du quartier général de Longwai, qui accepte de l’aider, contre un peu de rêve et la promesse qu’il l’aidera à sortir de là. Ce que Dai ne sait pas, c’est que Mei Yee est la sœur de Jin Ling.
Tous, avec leurs secrets et leurs objectifs, vont tenter de s’extraire de Hak Nam...



Inspirée d’un véritable bidonville, la citadelle de Hak Nam vous happe dès les premières pages. La vie y est dure, brutale, comme dans un polar asiatique. Les plus âgés, familiers du cinéma de Takeshi Kitano ou Johnny To, retrouveront cette esthétique propre à l’Orient, où tout ne semble être que pluie, ombres et danger.

« Fuir la citadelle » est une histoire de secrets. Trois personnages se partagent la narration, et leurs raisons ou leurs buts restent un temps nébuleux. Jin Ling, on le comprend vite, est ici « de son plein gré », investie de la mission de sauver sa sœur. Mais les malfrats qui entourent les maisons closes rendent dangereuse toute enquête. Sa survie au quotidien est déjà une épreuve, avec tous les petits gangs d’ados qui traînent et la nécessité de voler à peu près tout ce qui est indispensable, de quoi manger et dormir à l’abri. Mais elle a deux choses pour elle : sa vitesse, et le fait que tous ignorent qu’elle est une fille.
Dai est un peu l’inverse. Il est contraint de vivre à Hak Nam, pour fuir la police. Son, crime, on le découvrira peu à peu. Mais c’est un fardeau moral pour le jeune adulte. Et le compte à rebours de 18 jours qu’il égraine est chez lui un mélange d’espoir et de remords. Néanmoins, il s’efforce de remplir sa mission. De faire quelque chose de bien, de rédempteur. Même si, les jours défilant, il croit sa réussite de moins en moins possible.
Mais il s’accroche, pour cette fille enfermée à qui il a promis la liberté. Qui est prête à risquer sa vie pour l’aider. Dont il est tombé amoureux.

Mei Yee n’a pas choisi. Vendue par son père alcoolique, elle a la petite chance d’être réservée à un riche client, l’ambassadeur Osamu, qui pourrait peut-être la racheter. C’est avec cet espoir qu’elle endure, détachée de son propre corps, ses contacts. Des scènes particulièrement bien écrites, entre pudeur de l’élision et cruelle réalité : jamais Ryan Graudin ne décrira ce qu’ils font. Osamu arrive, lui offre des cadeaux, se déshabille, puis Mei Yee saute directement au moment où il se relève, comme si elle avait fermé les yeux et son âme pour quelques minutes, afin d’en fuir l’horreur. Pour ces seuls passages, à la fois délicats et dérangeants, le roman vaut tous les documentaires sur le sort des jeunes filles ainsi captives.

Mais « Fuir la citadelle » est avant tout un roman de suspense, et il y en a a foison. Jin Ling court, sans cesse, pour sa vie, vivant cachée avec son chat. S’allier à Dai, faire confiance à quelqu’un n’est pas dans ses habitudes, et elle sait qu’elle va au-devant d’ennuis qu’elle aurait pu s’éviter. Mais collaborer avec le jeune homme, c’est progresser dans la recherche de sa sœur. Et pour elle, cela vaut tous les risques.
Dai a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Tiraillé entre son père qui lui assure un minimum de confort et l’inspecteur de police qui le pousse à avancer, maniant la carotte et le bâton, il avance contraint, jusqu’à se mettre à croire à la promesse faite à Mei Yee. Jusqu’à ce que l’amour remplace la peur.
Si un moment, on voit les choses s’engager plutôt bien, de gros grains de sable vont enrayer la mécanique. Jin Ling est cruellement blessée, et Dai ne réfléchit pas longtemps : bravant la loi et au mépris de sa sécurité et de sa liberté, il la sort de Hak Nam pour la faire soigner. L’occasion de lever le voile sur sa vie, mais ces révélations coûteront cher en temps, une denrée de plus en plus rare. Il faudra aux deux jeunes gens jouer leur va-tout dans les dernières heures, puiser dans leurs réserves de courage et de sacrifice, pour sauver Mei Yee. Quitte à nous laisser à bout de souffle. Le happy end de l’épilogue ne sera, pour une fois, pas de refus, comme un baume sur les plaies profondes de ces trois personnages enfin réunis.

C’est une magnifique pépite que nous offre là Msk, la traduction, signée Mélanie Fazi, est impeccable, et le rythme ne se relâche jamais. Loin des thrillers horrifiques saturés de crimes, Ryan Graudin décrit l’horreur ordinaire de la misère, de l’asservissement, de la privation de liberté, et si l’ultimatum est un procédé classique, il fait merveille grâce au fractionnement des points de vue, des secrets et des savoirs.

Un roman haletant, riche et émouvant, où trois étincelles de volonté surnagent, refusant l’abandon à la noirceur sans retour de leur univers dépourvu de rêves et d’espoir.


Titre : Fuir la Citadelle (The Walled City, 2014)
Auteur : Ryan Graudin
Traduction de l’anglais (USA) : Mélanie Fazi
Couverture : Evelaine Guibert
Éditeur : Le Masque
Collection : Msk
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 389
Format (en cm) : 21,5 x 15 x 2,8
Dépôt légal : novembre 2014
ISBN : 9782702441015
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
15 mars 2015


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