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Sténopé
Julien Roturier
Éditions Luciférines, recueil (France), Fantastique, 176 pages, octobre 2014, 10€

Né en 1978, Julien Roturier n’est pas ce que l’on peut qualifier d’auteur connu. Avant ce recueil, il a très peu publié et n’a donc pas aiguisé sa plume en passant par la case fanzine ou autre webzine. Une seule nouvelle publiée dans « Freaks Corp. n°5 », il s’agit de “L’hôte e(s)t l’invité” qui figure au sommaire de « Sténopé ».
Cinq années séparent les textes les plus anciens du plus récent, ce qui nous permet de remarquer une certaine progression, car les récits les plus marquants sont justement ceux écrits en dernier.



Première précision, sténopé : trou de très faible diamètre faisant office d’objectif photographique. Julien Roturier choisit donc de présenter ce qui se cache derrière la porte, de regarder par le trou de la serrure pour découvrir ce qui est caché.
Titre de recueil intriguant, mais peu parlant pour la majorité si on n’a pas la curiosité d’ouvrir un dictionnaire. Pas forcément la meilleure accroche de départ, même si c’est le genre de titre que l’on garde facilement en mémoire.

Certains textes sont très courts et si la chute n’est pas au rendez-vous, il reste une impression d’échec, comme avec “Memento Mori” qui se veut original par la forme, mais m’a vite perdu en route à trop vouloir en faire. “Au n°22” ne couvre que trois pages, le fil directeur est bien trouvé, mais sa brièveté n’imprime pas beaucoup notre esprit.
Un peu plus long, “L’amorphe” nous plonge chez un psy en pleine consultation. Ayant déjà tout entendu, il écoute d’une oreille distraite les dires de son patient. Il a beau être blasé, il n’a pas encore tout connu. Direct mais efficace dans le genre horrifique.

L’hôte e(s)t l’invité” est plutôt mystérieux, le titre est d’ailleurs bien formulé. Comment expliquer cette folie meurtrière du personnage qui nous prend à témoin de ses actes ? Datant de 2009, il est aujourd’hui d’une brûlante actualité.
Mon beau miroir” qui ouvre le recueil m’a laissé une impression mitigée, car tout est fait pour nous laisser croire qu’il s’agit d’un prisonnier quasi abandonné au fond d’une cellule sordide. Après la conclusion, on se dit que les descriptions des conditions de détention ne collent pas, qu’à vouloir installer une atmosphère de terreur, Julien Roturier est allé trop loin, sans se soucier outre mesure de la crédibilité de l’ensemble.
Par contre, il installe très bien l’atmosphère dans “La montre” avec un homme qui nous apparaît tout de suite antipathique. Un coup de fil de son père mourant enfonce le clou et personne ne le plaindra pour la suite.
Dialogue avec étoile” est savoureuse. Elle nous narre une histoire connue : des extra-terrestres jaugent les Terriens pour savoir s’ils méritent de vivre ou si la menace qu’ils constituent est trop grande. Le savoir est donné à un enfant qui voit de nouvelles perspectives s’ouvrir à l’humanité. Heureux, il décide de convertir en premier son père, un alcoolique de première, violent de surcroît. Mauvais choix...
Double-jeu” flirte aussi avec la science-fiction. Henry est un ado qui ne vit que pour le jeu, il y trouve en Delilah, une tueuse, un sujet d’adoration. Au grand dam de sa mère, il néglige tout le reste, ce qu’elle ne peut accepter. La nouvelle fonctionne plutôt bien, mais l’artifice final est un peu grossier.

Steven Merrick est “Le rêveur”. Les nuits, il cauchemarde, toujours la même rengaine dont il peine à se souvenir à son réveil brutal. Cela le mine et l’empêche de bien dormir. Ce n’est qu’après avoir vu un hypnotiseur qu’il se sent mieux. Toutefois, les événements prennent une drôle de tournure et Steven doit en prendre son parti.
L’histoire se passe visiblement début 20e aux États-Unis et elle nous happe d’entrée par une idée et une logique implacable.

On chasse en bord de Seille” est la plus longue nouvelle, elle relève du voyage initiatique d’un groupe de quatre adolescents qui trouvent une bouteille enterrée. Très mauvaise initiative que de l’ouvrir, on ne sait jamais ce que ce simple geste peut réveiller, ni jusqu’où le message qui s’y trouve peut nous entraîner.
Cette quête s’accompagne de disparitions, de changements dans la personnalité des restants, chacun désireux d’aller jusqu’au bout, de braver les interdits pour devenir l’élu.
Cette histoire se passe sur le pas de notre porte, ce constat la rend d’autant plus terrifiante par ses implications. Une promenade entre potes dégénère par le fruit du hasard et plus rien ne peut arrêter cette quête, une force les pousse à poursuivre. Prenant tout du long !

Panem et circenses” clôt « Sténopé ». Dans un bar, un homme, juge de profession, tombe sous le charme d’une femme. Elle est peut-être mal habillée, mais un magnétisme incroyable se dégage d’elle et il est prêt à tout pour attirer son attention, avide de la découvrir plus avant.
Jeu de séduction, maladroit d’un côté et adroit de l’autre, pour une belle surprise au final.

Les trois dernières nouvelles évoquées sont mes préférées, parce qu’elles ont ce petit quelque chose qui les fait sortir du lot et qui manque souvent aux autres. De nombreux textes ont de l’idée, mais manquent de mordant pour bien nous accrocher et nous faire réagir. Trop souvent, dès la dernière ligne lue, on passe au texte suivant, car le précédent n’a pas su nous retenir plus que le temps de la lecture. C’est un peu dommage et c’est là que l’on voit qu’il est toujours bon d’affûter ses armes avant de franchir une aussi grande étape. Il est plus facile de tenir en haleine le lecteur sur la distance d’une nouvelle que sur celle d’un recueil entier où il faut réussir à faire mouche presque à chaque fois.
Les nouvelles les plus abouties sont pour la plupart les plus récentes de Julien Roturier, car les années ont fait leur effet, ce qui laisse entrevoir de beaux espoirs pour l’avenir. En l’occurrence, le niveau de « Sténopé » s’avère inégal avec quelques textes d’un intérêt discutable, surtout en regard des trois derniers cités. Et pourquoi donc placer certains récits aux États-Unis, alors que cela ne rajoute rien du tout à l’histoire ? Autre bizarrerie, les deux titres en latin, comme si ces deux expressions parlaient à tout le monde.

Les éditions Luciférines ont à nouveau fait un bel effort sur la présentation de ce recueil. Dorothée Delgrange illustre à une exception près (?) chaque nouvelle. Dans les détails à améliorer, comme pour « Nouvelles peaux », on peut regretter qu’il n’y ait pas une introduction à l’ouvrage.

Pour commander « Sténopé », il faudra passer par le site de l’éditeur.


Titre : Sténopé
Auteur : Julien Roturier
Couverture et illustrations intérieures : Dorothée Delgrange
Éditeur : Éditions Luciférines
Site Internet : Recueil (site éditeur) 
Pages : 176
Format (en cm) : 14 x 20
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 978-2-9548328-0-7
Prix : 10 €



François Schnebelen
26 octobre 2014


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