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Humains
Matt Haig
Hélium, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 277 pages, août 2014, 15,90€

En résolvant une équation mathématique autour des nombres premiers, les humains ont fait un grand pas en avant. Au grand dam des extra-terrestres qui jugent (à juste titre) que la race humaine n’est pas assez mature pour une telle avancée. Un alien prend donc possession du corps du mathématicien Andrew Martin, auteur de la découverte, avec mission d’en effacer toute trace.
Mais tout ne va pas se passer comme prévu.
D’abord, parce que malgré une légère préparation, notre narrateur n’a aucune idée de comment fonctionnent réellement les humains.
Ensuite, parce que plus le temps passe, plus il veut comprendre les humains.



« Humains » est à juste qualifié de « roman hilarant » par le très sérieux journal anglais The Guardian, car Matt Haig se place, et nous par la même occasion, dans la peau d’un alien qui revêt la peau d’un humain. Et débarque en plein Cambridge avec une connaissance très générale de l’humanité : nous sommes vénaux, violents et inconstants. Et très laids, d’après ses propres critères.
Pour se fondre dans la masse, il lui faut comprendre rapidement nos codes sociaux. À commencer par le port de vêtements. Ou le deuxième degré et l’ironie. Les apparences. Ce qu’on dit, ce qu’on pense et ce qu’on fait.

Passés les premiers moments « d’acclimatation » et tandis qu’il parvient à faire illusion auprès d’Isobel, la femme d’Andrew, il réussit à remplir sa mission, employant les pouvoirs à sa disposition, pour faire disparaître les travaux du mathématicien, ainsi que tous ceux qu’il a mis au courant.
Les problèmes commencent ensuite. Que faire des proches d’Andrew, sa femme, son fils, son meilleur ami, qui ne savent rien mais qu’il doit éliminer « par précaution » ? Les fréquenter depuis quelques jours a éveillé sa curiosité. Lui, immortel, se navre puis s’émerveille de nos gesticulations, des tours et détours dont nous sommes capables, de nos jeux d’apparence, tout cela alors que nous sommes mortels et que notre temps est compté.
Peu à peu, nous devenons moins laids à ses yeux, voire beaux. Et les ennuis (re)commencent, car il se comporte de moins en moins comme le vrai Andrew Martin, beau spécimen représentatif du chercheur obnubilé par son travail, au détriment de la carrière de sa femme et de l’éducation de son fils.

La grande valeur de ce roman tient à son écriture, autant qu’à l’analyse fine et cynique qui est faite de la race humaine. C’est le choc des civilisations. Mais contrairement à notre habitude, nous sommes le sujet de l’examen. Toutes nos spécificités, nos bizarreries sont observées, jugées à l’aune des critères de cet alien immortel, dépourvu de passions, bref notre exact opposé. L’étude est empirique, en plus, et l’humour vient de cette impossibilité pour le narrateur de mesurer, d’évaluer et de trier l’information : si on lui crie dessus en postillonnant, il s’imagine que l’échange abondant de salive (terminologie plus scientifique) est important dans le dialogue. Sa première lecture est un magazine people, ce qui biaise beaucoup sa compréhension de nos mœurs et de notre sexualité. Ou pas.

Car en nous regardant ainsi comme sous un microscope, Matt Haig ne fait que montrer en toute objectivité ce que nous sommes : des êtres complexes, aux passions et aux actes parfois contradictoires. Initialement, c’est ce qui nous rend inéligibles au progrès, mais au fil des jours, nous devenons fascinants à ses yeux, car capables de tant de choses imprévues, les meilleures comme les pires, plutôt que suivre un chemin droit, mathématiquement parfait comme tout être immortel qui se respecte.

Bref, on s’en doute, il s’humanise au fil des jours, jusqu’à remettre en question sa hiérarchie par attachement à Isobel et son fils Gulliver. Remettre en question sa propre existence précédente,e t lui préférer son costume d’être humain, aussi imparfait soit-il, justement imparfait et tellement riche en émotions et en sensations.

Et finalement, malgré ses erreurs, il devient un homme. Presque un homme bien.

Le constant décalage entre le vocabulaire et les situations, le burlesque naissant de l’incompréhension de cet être pour notre culture, nos expressions, et certaines situations, fait de « Humains » une comédie savoureuse. Mais sous le rire affleure le portrait d’une famille brisée, qui va se recomposer grâce à cet étranger, cet imposteur entré dans la maison sous le masque d’un rôle qu’il ne connaît pas. L’émotion est au rendez-vous et l’emporte à la fin, balayant pour un peu le cocasse qui assaisonne allègrement cette leçon de vie humaine.

Sur le fond comme la forme, on ne s’étonnera pas qu’un tel livre paraisse chez Helium, édition fondée par une ancienne de Naïve et rachetée par Actes Sud il y a quelques années. La barre est placée haut, pour le plus grand plaisir des lecteurs exigeants de SF, cette littérature qui, par le prisme de la fiction futuriste, nous interroge sur notre humanité.
Recommandé de 13 à 130 ans, aux entités aliens immortelles également.


Titre : Humains (The Humans, 2013)
Auteur : Matt Haig
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Valérie Le Plouhinec
Couverture : Joëlle Jolivet et Katie Fechtmann
Éditeur : Helium
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 277
Format (en cm) : 22 x 14,5 x 2,5
Dépôt légal : août 2014
ISBN : 9782330034269
Prix : 15,90 €



Nicolas Soffray
30 septembre 2014


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