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Joueurs de Titan (Les)
Philip K. Dick
J’ai Lu, n°10818, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 254 pages, juillet 2014, 6€

1963 : année faste pour Philip K. Dick, puisqu’il écrivit cette année-là, outre « Les Joueurs de Titan », trois autres romans, « Simulacres », « En attendant l’année dernière » et « Dr Bloodmoney ». En France, les joueurs de Titan a déjà bénéficié de plusieurs éditions : Le Masque (1978), Presses de la Cité ( collection « Omnibus », 1985, 1993, 2000, 2002), Pocket (1990) et J’ai Lu (2012, dans le volume « Romans 1960-1963 »). Nouvelle parution en un seul volume, donc, pour un récit qui n’avait pas été réédité sous cette forme depuis plus de deux décennies.



Le postulat de base est assez atypique. Depuis leurs satellites, les Chinois ont attaqué. Mais les radiations de Hinkel ont touché la Terre entière, aboutissant à la stérilisation de la quasi-totalité de la population humaine. Dans un monde désormais dépeuplé, où les naissances sont exceptionnelles, l’ablation de la glande de Hinkel a permis d’augmenter la longévité : il n’est pas rare de dépasser le siècle et demi. Plus étrange encore, dans des circonstances pas vraiment explicitées, les autorités terriennes se sont entendues avec celles de Titan – dont les habitants, les Vugs, sortes de masses protoplasmiques capables de lire dans l’esprit des humains, ont débarqué sur Terre – pour mettre en place le Jeu, une sorte de poker où les Possédants s’échangent des cités entières. Les autres, les non-P ou non possédants, ne peuvent entrer dans le jeu qu’en cas de décès de l’un des joueurs, et seulement grâce au hasard.

Pete Garden est l’un de ces joueurs. Il vient d’ailleurs de perdre son épouse au jeu – mais ce n’est pas la première fois, et il en gagne une autre. Pire, face à Luckman, il perd la ville de Berkeley, qui est cruciale : grâce à celle-ci, Luckman prend pied sur la côte est. Le groupe de joueurs auquel Garden appartient, le Pretty Blue Fox, est en émoi. Il faut à tout prix que Garden se refasse, quitte à tricher un peu, à utiliser un de ces assistants humains pourvus de pouvoirs psioniques qui sont strictement interdits par le jeu. Mais Joe Schilling, un marchand de disques pourvus de tels pouvoirs, le lui déconseille fortement : ses pouvoirs précogs lui permettent de voir que, lors du jeu suivant, la partie adverse demandera le contrôle par électro-encéphalogramme.

À ce moment, Luckman est assassiné, et le roman bascule dans une intrigue mêlant science-fiction et polar. Qui est le coupable ? Un Vug télépathe mène l’enquête : difficile de ne pas penser au célèbre « L’Homme démoli » d’Alfred Bester, publié en 1955, soit huit ans avant « Les Joueurs de Titan ». Qui pourrait penser qu’un télépathe resterait incapable de trouver l’assassin ? Tel est bien le cas cependant, car il s’avère que les souvenirs des six membres du Pretty Blue Fox, qui tous auraient eu intérêt à se débarrasser de Luckman, ont disparu : on ne trouve dans leur esprit nulle trace de la période fatidique. Pire encore, le Vug découvre dans les esprits de certains d’entre eux des souvenirs qui n’y étaient pas quelques instants auparavant. Psychokinésie : manifestement, ces souvenirs ont été implantés.

Comme si cette complexité ne suffisait pas, Pete Garden, qui a tendance à se saouler et à consommer divers toxiques pour fêter un événement inattendu – sa nouvelle épouse est enceinte – ne parvient pas à déterminer s’il bascule dans la folie ou s’il met au jour un véritable complot. La stérilité de l’Humanité ne serait pas le fait des Chinois, mais des Vugs, qui chercheraient à se débarrasser d’elle en douceur. Il y aurait de surcroît une conspiration d’extrémistes Vugs, le groupe Va Pei Nan. Un Vug aurait même pris l’apparence de son psychiatre, c’est dire. Mais, dans ce chapitre purement dickien qui fera les délices des aficionados de l’auteur, l’effet Rushmore de son automobile (car les circuits Rushmore permettent aux véhicules, tout comme aux appareils électroménagers, de converser avec les humains) lui affirme que la chose est vraie. Et pire encore, que la jeune fille qui l’accompagne est, elle aussi, un Vug.

Paranoïa, complots, pouvoirs psioniques, précogs, psychokinésie, téléportation de la terre à Titan et retour, effet Rushmore, effet poltergeist incontrôlable, partie de Poker entre les Pretty Blue Fox et leurs adversaires en simulacres d’eux-mêmes : Dick accumule, perturbe, emmêle, et redistribue sans cesse les cartes.

La trame générale s’en ressent, et passe par quelques moments de confusion avant de s’orienter vers des intrigues retorses en relation avec le pouvoir, deux caractéristiques évoquant le premier roman de Dick, « Loterie solaire », et témoignant d’une même influence d’Alfred E. van Vogt. Mais, au final, ces quelques manques de limpidité peuvent apparaître justifiés, comme si l’auteur avait souhaité mettre en adéquation la structure de son récit avec le trouble ressenti par son personnage principal.

Si la traduction originale de Maxime Barrière, pour l’édition française de 1978 dans la collection « Le Masque » a manifestement été retravaillée (on trouve des passages qui n’existaient pas dans cette première édition), des erreurs ont aussi été mystérieusement rajoutées. Citons par exemple « il est pratiquement impossible de dissimuler quoi que ce soi très longtemps secret avec eux » (p.181) alors que l’édition au Masque disait plus correctement « il est pratiquement impossible de garder quoi que ce soit très longtemps secret avec eux » ou «  il était aussi un peu protégé par le don de Mutreaux que si celui-ci n’avait pas existé  » p.222 (contre « aussi peu » dans l’édition précédente). À noter également que la couverture de cette première édition (une des œuvres de Chris Foss les moins réussies) est avantageusement remplacée par celle de Flamidon, à la fois plus sobre et plus évocatrice de la trame générale des « Joueurs de Titan ».


Titre : Les Joueurs de Titan (The Game-Players of Titan, 1963)
Auteur : Philip K. Dick
Traduction de l’anglais (États-unis) : Maxime Barrière
Couverture : Flamidon
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Librairie des Champs-Elysées, 1978)
Collection : science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 10818
Pages : 254
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : juillet 2014
ISBN : 9782290033647
Prix : 6 €



Hilaire Alrune
1er décembre 2014


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