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Roi en jaune (Le)
Robert Chambers
Le Livre de Poche, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique, 402 pages, octobre 2014, 8,90€

1895 : telle est la date originale de publication du « Roi en jaune ». Le « Roi en jaune », ce sont ici et là, sous la plume de Robert Chambers, des apparitions de Carcosa, ville maudite inventée par son compatriote Ambrose Bierce quelques années auparavant, en 1891. « Le Roi en jaune », c’est, dans une belle tradition littéraire, la description des milieux d’artistes parisiens de la fin du dix-neuvième. « Le Roi en jaune », c’est surtout un livre maudit dans la plus pure tradition lovecraftienne, qui, en revenant à travers une poignée de nouvelles, suffit à susciter dans l’esprit du lecteur un trouble durable. « Le Roi en jaune », c’est aussi un livre maudit chez nous : il aura fallu plus d’un siècle ans pour en avoir enfin, grâce à Christophe Thill, une première traduction complète.



«  On sait comment il se répandit comme une maladie contagieuse, de ville en ville, de continent en continent, interdit ici, confisqué là, dénoncé par la presse et les Églises (….)  »

Dans des années 1920 inventées donnant, très brièvement, au récit des allures d’anticipation anciennes, « Le restaurateur de réputations » fait découvrir au lecteur, par l’intermédiaire de la folie – réelle ou présumée – du narrateur, les espoirs et ravages nés de ce livre maudit qu’est le « Roi en jaune ». Entre un armurier qui n’est peut-être pas ce qu’il croit être, un individu difforme ayant pris le titre de « restaurateur de réputations » (profession que n’eût sans doute pas reniée Gilbert Keith Chesterton lorsqu’il écrivit « Le Club des métiers bizarres ») et qui, s’il apparaît surtout dérangé, fait néanmoins des prédictions impossibles, un chat diabolique, la cité de Carcosa, la couronne d’un royaume peut-être à venir, et l’inévitable pointe de romance, Chambers promène le lecteur entre doutes et certitudes, entre rire et horreur. L’intégration parfaite d’éléments en apparence disparates, le jeu permanent de l’ambigüité, la mise en abîme des sources de folie possibles font de ce récit un modèle du genre.

«  Le Masque  » apparaît moins fort car certains de ses passages romantiques frôlent, voire même atteignent, la mièvrerie sentimentale. Une nouvelle qui vient néanmoins s’inscrire sur une thématique classique – la pétrification – qui, depuis les mythes anciens, aura connu d’innombrables déclinaisons. Le récit, qui lui aussi évoque le « Roi en Jaune » ainsi que Carcosa, se conclut, assez étonnamment, sur une fin heureuse.

«  La nuit tomba et les heures continuaient à s’écouler, mais nous parlions toujours du Roi et du Masque blême, et minuit sonna aux clochers de la ville noyée de brume . »

Avec « Le Signe jaune », Chambers renoue avec la réussite de la première nouvelle du volume. Milieu bohème, artiste – comme dans la nouvelle précédente et plusieurs de celles qui suivront – comme cadre de la montée lente et insidieuse de l’horreur. Hantise, visions, et, pour finir, triomphe du « Roi en jaune » sur un final hideux, bouleversant et parfaitement lovecraftien. « La Cour du dragon » apparaît comme un juste complément aux nouvelles précédentes. En une petite douzaine de pages, Chambers parvient parfaitement à créer une ambiance de terreur. Sombre et désespéré, ce récit fait lui aussi intervenir « Le Roi en jaune » et la mythique cité de Carcosa.

«  Il est facile d’arriver ici, cela ne prend que quelques heures. En repartir est chose différente… cela peut prendre des siècles . »

Dans « La Demoiselle d’Ys  », un jeune chasseur s’égare dans les marais ; il y rencontre une jeune fille pratiquant et enseignant la fauconnerie. Le coup de foudre est rapide, mais pourquoi ces mœurs passées et ce vocabulaire ancien ? Avec un parfum de fable, «  La demoiselle d’Ys » apparaît comme un récit fantastique classique proche de la perfection, et indépendant de la mythologie « chambersienne » développée dans les textes précédents.

On a donc, dans «  Le Roi en jaune  », plusieurs textes fantastiques de tout premier plan. Des textes dont l’influence sur les auteurs ultérieurs aura à n’en pas douter été considérable, à commencer par Howard Phillips Lovecraft lui-même, qui exprimera le regret que Chambers se soit détourné des nouvelles fantastiques pour se consacrer à d’autres types romanesques.

«  Ses haillons étaient retenus par une corde nouée autour de sa taille. Un rat y était pendu, encore chaud et saignant.  »

Pas de fantastique, dans « La Rue des Quatre-vents », court récit d’une dizaine de pages mettant en scène le milieu parisien de l’époque, une histoire « fin-de-siècle » et légèrement morbide. Pas de fantastique non plus dans « La Rue Notre-Dame des champs » et « Rue Barrée » : deux nouvelles romantiques, bien éloignés du cynisme contemporain qui ne serait pas long à les qualifier de bluettes, deux histoires de galanterie à l’ancienne, d’amour courtois, sensibles, poétiques, évoquant avec talent ce milieu d’artistes parisiens que Robert Chambers fréquenta de 1886 à 1892. Plus âpre, mais avec également une puissance d’évocation rare, « La rue du premier obus » décrit le même milieu d’artistes, cette fois dans Paris assiégé par les armées prussiennes, et la participation de l’un d’entre eux à une tentative militaire désespérée de forcer le blocus.

À la frontière du genre, relevant plus de la prose poétique que de la nouvelle, « Le Paradis du prophète » est composé de huit textes courts, qui, pour se référer à la prose poétique française, ne vont pas sans faire penser à certaines des ces fantaisies qu’écrivait au dix-neuvième siècle le trop rare Aloysius Bertrand. Il se peut d’ailleurs que Chambers les ait lues, puisqu’elle furent publiées en 1842, soit quelques décennies avant les années parisiennes de l’auteur du « Roi en jaune ».

À noter que la première édition française, sous le titre « Le Roi de jaune vêtu », chez Marabout, en 1976, ne contenait que quatre des dix textes du recueil original, le cinquième texte du volume français, intitulé « Le Croquis » étant en fait la traduction de « A pleasant evening  » tiré d’un autre recueil. Par rapport à l’édition établie par Christophe Thill, ce volume au Livre de Poche présente quelques différences : s’il ne comprend pas la préface érudite de Christophe Thill, ni les autres pièces annexes (sa « Note sur la traduction », « Le Roi en jaune et ses critiques », les « Commentaires » et la bibliographie), il n’est néanmoins pas pour autant dépourvu d’annexes, puisqu’il offre au lecteur une brève biographie, un article de Christophe Thill intitulé « True Detective et Le Roi en jaune » ainsi qu’une fameuse nouvelle d’Ambrose Bierce, « Un habitant de Carcosa », dont d’aucuns auront déjà lu, dans le volume intitulé « De telles choses sont-elles possibles ? », une traduction de Bernard Sallé aux éditions Rivages. Quant à ceux qui voudraient en apprendre plus auprès de Christophe Thill, ils trouveront une intéressante ressource informatique, en anglais comme en français, en suivant ce lien

On ne peut que recommander la lecture du « Roi en jaune » à ceux qui aiment vraiment le fantastique et n’ont pas encore lu Chambers. Un classique à lire et à relire, et excellente idée de la part du Livre de Poche que de profiter de la présence de Carcosa dans un feuilleton télévisé à la mode, « True Detective » pour offrir enfin aux lecteurs une édition complète, mais néanmoins accessible à tous, du célèbre livre maudit de Robert Chambers.

Titre : Le Roi en jaune (The King in yellow,1895)
Auteur : Robert Chambers
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Christophe Thil
Couverture :
Éditeur : Le Livre de Poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro :
Pages : 402
Format (en cm) : 11 x 17,5 x 2,3
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 978-2-253184003
Prix : 8,90 €



Hilaire Alrune
27 octobre 2014


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L’édition chez Malpertuis (2007, rééd. 2009)



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