Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Blade Runner
Philip K. Dick
J’ai Lu, n°1768, traduit de l’anglais (États-unis), science-fiction, 282 pages, mai 2014, 6€

C’est en 1968 que Philip K. Dick publie « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », qui deviendra plus connu sous le titre de son adaptation cinématographique, « Blade Runner ». Période faste pour Dick, puisque c’est celle durant laquelle il écrit également un autre classique, « Ubik », peut-être la plus percutante de ses œuvres. Si « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » a fini par être éclipsé dans les esprits par l’ambiance noire et marquante du long-métrage de Ridley Scott, il est intéressant de savoir que Dick est parvenu à sauver son roman en refusant d’écrire le scénario du film, scénario qui devait être réédité en lieu et place du roman. Un roman qui, plus ambitieux, plus riche, et peut-être plus âpre encore que sa version filmée, mérite assurément d’être lu.



Dans l’avenir mis en scène par Philip K. Dick, la vie n’est pas particulièrement rose. Les retombées radioactives ont tué la plupart des animaux. Les humains survivent tant bien que mal et sont à présent scindés en classes distinctes en fonction des dégâts que la radioactivité leur a infligés. Mars et quelques autres planètes ont été colonisées, mais il ne s’agit pas vraiment d’une victoire ; plutôt une fuite, une échappatoire aux radiations qui tuent lentement les hommes.

Rick Deckard survit tant bien que mal dans ce monde déliquescent. Pour survivre, un sale boulot : chasseur de primes. Il est chargé de “retirer” de la circulation les androïdes conçus pour aider les hommes à coloniser d’autres planètes et dont certains, illégalement, reviennent des profondeurs de l’espace. Indiscernables, ou presque, des êtres humains, ils n’ont pas droit à l’existence. Deckard les identifie, les traque, et pour finir les tue.

Des faux êtres humains, mais pas seulement. Car si ce monde futur ne bascule pas d’emblée dans le doute dickien habituel sur la nature fondamentale du réel, les faux-semblants y sont néanmoins nombreux, récurrents, incessants. Car les animaux eux aussi sont factices. À commencer par les chouettes, qui ont disparu les premières (qu’eût donc été « The Owl in daylight », que Dick n’écrivit jamais ?) avant que la plupart des espèces ne leur emboîtent le pas. Rick Deckard possède un mouton, officiellement vivant, mais en réalité un faux (le fameux mouton, électrique qui, dans le monde réel, a donné son nom à une maison d’édition française.) Deckard rêve de s’acheter un véritable animal, seul signe extérieur de richesse dans un monde où tout a disparu. Il y parviendra. Un faux humain l’en dépouillera. À la frontière du désert, Deckard découvrira un crapaud, espèce que tous croyaient disparu. Son épouse, après avoir réalisé qu’il s’agit d’un animal factice, lui donnera à manger des mouches également mécaniques.

Tragédie et dérision, donc, ironie grinçante pour ce “privé” hanté par le doute, pour cette humanité qui ne parvient plus à définir ce qu’elle est ou n’est plus vraiment, qui se heurte à des difficultés considérables pour identifier la race des androïdes dont elle ne diffère plus vraiment. Une confusion perpétuelle symbolisée par la phrase hautement symbolique de Deckard, qui, échappant de justesse à un androïde tentant de se faire passer pour un policier, lui affirme : “Vous n’êtes pas Polokov. Vous êtes Kadalyi” au lieu de lui dire : “Vous n’êtes pas Kadalyi. Vous êtes Polokov.
Jeu de miroirs incessant entre l’authentique et le factice, le monde futur de « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques » s’articule, ou plus exactement tente de se définir, de se construire autour d’une notion fondamentalement humaine : l’empathie. Les humains en seraient dotés, les androïdes non. Mais la frontière, tout comme le reflet, se brouille. Car cette empathie apparaît bien difficile à préciser. Car les ressentis humains apparaissent eux aussi artificiels – pour preuve l’utilisation du fameux « orgue à humeurs » rencontré ailleurs dans l’œuvre de Dick, qui apparaît ici dès les premières pages. Pour preuve également le « Mercérisme » et la boîte à empathie, trouvaille mystico-dickienne typique qui vient brouiller, cette fois-ci, non pas la frontière entre l’authentique et le factice, mais celle qui sépare le réel du délire. Mais on le sait déjà : les univers de Philip K. Dick ne sont rien d’autres que de perpétuels jeux de dupes.

«  Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques », s’il est donc éminemment dickien, n’est pas pour autant parfait. Certains dialogues apparaissent artificiels et les rebondissements ne sont pas toujours mis en scène avec la maîtrise que l’on attendrait de la part d’un auteur de thrillers ou de romans policiers. Peu importe : cette galerie de miroirs, de faux-semblants et de doutes reste suffisamment riche pour convaincre, et la multiplicité des thématiques abordées, qu’elles figurent au premier plan ou en arrière-fond, lui donne un intérêt tout particulier. Si « Blade runner – Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques  » ne constitue pas le sommet de l’œuvre dickienne, ses qualités en font néanmoins un ouvrage important dans l’œuvre de l’auteur, et un roman qui mérite assurément d’être lu.


Titre : Blade Runner (Do androids dream of electric sheeps ?, 1968)
Auteur : Philip K. Dick
Traduction de l’anglais (États-unis) : Sébastien Guillot
Postface : Étienne Barillier
Couverture : Flamidon
Éditeur : J’Ai Lu
Collection : science-fiction
Site Internet : page roman
Numéro : 1768
Pages : 282
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : mai 2014
ISBN : 97822900094495
Prix : 6 €



Philip K. Dick sur la Yozone :
- « Le Temps désarticulé »
- « Les Chaînes de l’avenir »
- « L’Œil dans le ciel »
- « Docteur futur »
- Dick en cinq livres, par Étienne Barillier
- La trilogie divine


Hilaire Alrune
13 septembre 2014


JPEG - 26.9 ko



Chargement...
WebAnalytics