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Dans la tête des tueurs
Véronique Chalmet
Hors Collection, essai (France), 222 pages, juin 2014, 19€

Les ouvrages consacrés aux tueurs, et plus particulièrement aux mass-murders et aux serial-killers, sont loin d’être rares. La fascination du public pour ces criminels sortant du lot est à la fois ancienne et durable. Mais, tout particulièrement depuis l’apparition d’Hannibal Lecter sur les grands écrans dans les années quatre-vingts, un autre personnage, presque aussi étrange, se manifeste à la marge avec une régularité déconcertante. Ce fameux « profiler », pendant légal et moins ténébreux du tueur en série, n’est-il qu’une invention romanesque ? Ou bien, au contraire, existe-t-il véritablement ? Et si oui, quel est donc le « profil » du véritable « profiler » ? Dans cet ouvrage passionnant, Véronique Chalmet apporte des éléments de réponse.



Après une introduction de quelques pages qui retrace sommairement l’histoire de la naissance des profilers – datée très précisément à 1956, lorsque le psychiatre James Brussels donne, avec une précision digne d’un Sherlock Holmes, le portrait type du Mad Bomber qui terrorise New York depuis plus de quinze ans – depuis les premières analyses du comportement à des fins d’investigation pratiquées dès le moyen-âge jusqu’au développement du profiling à la fin du vingtième siècle et à ses succès tout particulièrement dans la traque des serial-killers, Véronique Chalmet retrace la biographie de six experts en tueurs. Six experts parmi lesquels cinq américains, car, explique-t-elle, « on les trouve là où sévit le plus grand nombre de serial-killers, essentiellement aux États-Unis. En quelque sorte, le besoin crée la demande. » Mais ces experts, quels sont-ils véritablement ?

« Le profiling, c’est essayer de dessiner la carte qui définit l’esprit d’un tueur. Il faut posséder cette carte pour pouvoir le prendre en chasse. »

Robert Ressler, jeune passionné de criminologie, s’inscrit à l’Université du Michigan, pionnière dans l’étude du comportement criminel, entre au FBI, enseigne la négociation lors des prises d’otages, multiplie les échanges avec psychiatres et légistes, et peu à peu se met à comprendre les serial-killers, leur mode opératoire, leur psychologie. Il déjoue les lourdeurs de l’administration pour les rencontrer en face-à-face dans les prisons et comprend rapidement qu’ « il est impossible de s’engager dans une conversation avec le démon et d’en sortir indemne. » Une série de rencontres terrifiantes au terme desquelles il formera des centaines d’enquêteurs aux principes du profiling. Fasciné par sa carrière, Thomas Harris s’en inspirera pour créer un archétype romanesque, le célébrissime Jack Crawford du « Silence des Agneaux ».

« La psychiatre ne peut s’empêcher de communiquer avec des serial-killers pour tenter de comprendre leur genèse, leurs motivations – et les siennes  »

Helen Morrison apparaît comme un cas, à tous les sens du terme. Alors qu’elle poursuit un cursus en neurochimie, elle est invitée à travailler avec le département de la justice pour les interrogatoires du tueur en série Richard Macek. Dès les premières rencontres, elle est happée par « cette troublante dichotomie entre l’apparence sociable et l’absence totale d’empathie envers autrui.  » Elle a rencontré son destin, un destin quelque peu morbide qui la poussera à rencontrer et interroger des serial-killers, encore et encore (elle écrira un ouvrage au titre évocateur « My life among the serial-killers : Inside the world of the world’s most notorious murderers » mais sans jamais parvenir à percer leurs secrets. Persuadée de l’existence d’un substratum anatomique ou génétique à la propension à tuer ses semblables, elle conserve chez elle le cerveau (décrit comme strictement normal par les spécialistes) de John Wayne Gacy, exécuté pour avoir commis plus d’une trentaine de meurtres.

« Ce que l’on voit et ce que l’on entend », dit-il, « finit par nous affecter à un moment ou à un autre. On se contrôle en apparence, mais on pleure en dedans.  »

Né en 1945 à Brooklyn, John Douglas fait le désespoir de ses parents. Souvent pris dans des bagarres, d’une agressivité naturelle hors norme, il se fait renvoyer de l’université et n’est pas loin de définitivement mal tourner. La chance de sa vie, c’est l’agent spécial John Haines qui, après l’avoir observé durant plusieurs semaines dans un gymnase, a compris son potentiel et l’a poussé à entrer au FBI. Douglas intègre le Spécial Weapons Attack Tactics, étudie la négociation lors des prises d’otage, puis s’engouffre dans la voie des sciences du comportement. Son passé personnel le pousse à ressentir une forte empathie pour les serial-killers qu’il rencontre et semble comprendre mieux que quiconque : il étudie les actes et les pensées de trente-six d’entre eux. Sa science conduira à l’arrestation puis aux aveux du fameux « tueur des sentiers » Il contribuera à des centaines d’enquêtes mais en subira les contrecoups, jusqu’à tomber gravement malade.

« Le profiling criminel est une opinion. C’est une aide à l’investigation, à utiliser seulement quand on est à court d’éléments ou de pistes dignes de ce nom.  »

Surnommé par Véronique Chalmet « Le parrain du profiling », Howard Teten, à dix-sept ans, est photographe de guerre dans les Marines en Corée. Au retour, adjoint du shérif du comté d’Orange, il se passionne pour la police scientifique, intègre l’école de criminologie de Berkeley, travaille avec le docteur Douglas Kirk, pionnier de l’analyse des scènes de crime (« Kirk enseigne à ses élèves comment calculer l’angle d’attaque à partir de l’élongation des gouttes de sang, combinée à la rapidité de projection. »), suit les enseignements du lieutenant-colonel, illusionniste, mentaliste et du psychiatre Douglas McGlashan Kelley (qui a suivi personnellement, avant le procès de Nuremberg, les vingt-deux chefs nazis responsables de la Shoah) puis entre au FBI, sillonne les États-Unis pour former les policiers au profiling et à l’étude des scènes de crime, en leur démontrant au passage, grâce à la résolution de « cold cases », que ces connaissances ne sont pas uniquement théoriques. Avec son confrère Pat Mullany, sur une intuition de génie, ils parviennent à confondre un serial-killer identifié mais contre lequel la police n’avait jamais pu trouver la moindre preuve.

« Les lieux sont propices à ses projets meurtriers : des milliers de kilomètres carrés permettent de se débarrasser facilement des corps. »

Né en 1938 dans les Rocheuses, Roy Hazelwood a vingt ans lorsque sa petite amie est retrouvée assassinée dans une grange. Bouleversé, il choisit, pour commencer sa carrière dans l’armée, de s’engager dans la police militaire. Il combat au Vietnam, devient à son retour cadre dans la police, travaille sur les crimes sexuels, puis commence à réaliser des « profils » criminels, et, avec son coéquipier John Douglas, commence à étonner la police par la justesse de ses déductions. Tous deux se glissent si facilement dans la peau de leurs proies qu’ils parviennent même à duper les psychiatres et à se faire passer eux-mêmes pour des schizophrènes paranoïdes ! Dans les années quatre-vingts, ils mettent au point les tableaux de criminels organisés et désorganisés, qui seront d’une aide précieuse pour bien d’autres enquêteurs.

« Quand j’interroge un serial-killer, je plonge dans les ténèbres de son âme. Je connais bien ce sentiment de solitude, de vacuité, de solitude, de dépression, de mort, de toute-puissance et de peur. »

Seule « profileuse » non américaine de ce volume, Micky Pistorius est née en Afrique du Sud en 1961. Excentrique, titulaire d’un master en philosophie et d’une maîtrise en psychologie, elle est poussée par un des professeurs à faire un mémoire sur les serial-killers. Elle a, dès lors, rencontré son destin. Elle entre dans le South African Police Service et s’investit totalement dans les affaires les plus abominables, utilisant son exceptionnel don d’empathie pour les résoudre. Scientifiquement, mais aussi un peu mystiquement. Mais son investissement sera tel, formant d’autres policiers, participant à l’arrestation d’une douzaine de serial-killers, « poursuivant les tueurs jusque dans les méandres de leur esprit malade » qu’elle décrochera à trente-huit ans, sans doute avant qu’il ne soit trop tard pour son esprit à elle.

Six biographies pour un seul volume

L’ouvrage de Véronique Chalmet n’est donc pas à considérer comme un véritable essai : il constitue plutôt une belle ouverture sur une vaste thématique. Ces six biographies sont autant d’introductions à un sujet que le lecteur découvrira par autant de facettes différentes. À l’appui de cette approche riche et composite, l’auteur donne en bas de page les références d’entretiens, de biographies et d’ouvrages spécialisés dont la plupart ne bénéficient pas encore de traductions en langue française. On le regrette, car, même pour qui n’est pas attiré par le crime, ces courtes biographies deviennent rapidement passionnantes. Et si l’on apprend beaucoup sur les succès extraordinaires des profilers, on aimerait aussi avoir une idée de leurs échecs, qui ont sûrement existé, et leur ont permis d’affiner leur art et leur méthode.

Si nous avons résumé brièvement ces six portraits, c’est parce qu’ils sont dissemblables. Et si cet ouvrage de Véronique Chalmet n’est pas véritablement un essai, il permet, à partir des éléments mis en lumière, de se faire une idée de ce que peuvent être les profilers. Une profession, de toute évidence, sans profil véritable, tant les portraits décrits ci-dessus apparaissent différents. Ne serait-ce que par l’approche de l’horreur, qui va de l’empathie – qu’elle soit pour la victime ou pour l’assassin – à la froideur clinique. « Quand vous examinez un cadavre dans la perspective d’un profiling, vous regardez une pièce de viande qui recèle des indices », écrit Howard Teten. Mais il ajoute : «  On commence à perdre confiance en l’être humain quand on voit de quoi il est capable. Mais il ne faut pas céder à l’émotion (…) on devient moins intelligent (… ) on peut passer à côté d’un détail crucial… » On le voit, la froideur n’exclut pas l’empathie, elle est vue comme une distanciation nécessaire à la qualité du travail. Mais aussi à l’équilibre personnel : « Peu importe ce qu’on fait comme boulot, il faut garder l’équilibre dans sa vie privée. Qu’on soit boucher, dentiste ou profiler, c’est pareil ! » explique Ted Mullany, un psychiatre travaillant avec Howard Teten. Mais tous, et même ceux qui prêchent cette distanciation, parfois hantés, épuisés, défaits, ne sont pas à l’abri des dégâts personnels, des vies privées entièrement détruites. Car, précise Véronique Chalmet, « tous décrivent leur faculté d’empathie comme un fardeau ou une blessure. » Et d’ajouter, ce qui nous tiendra lieu de conclusion, que l’activité de profiler est « un mode de vie et une activité étrange – entre vocation et malédiction » Si l’on est loin, on le voit, des archétypes cinématographiques, on ne pourra ôter à ces individus bien des attributs romanesques.


Titre : Dans la tête des tueurs
Auteur : Véronique Chalmet
Couverture : dpcom.fr
Éditeur : Hors Collection
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 222
Format (en cm) :14 x 22,5
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782258107892
Prix : 19 €



Hilaire Alrune
21 juillet 2014


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