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Corpus Prophetae
Matt Verdier
Mnemos, roman (France), thriller avec voyage temporel, 427 pages, mars 2014, 21€

Premier roman de Matt Verdier, premier thriller aux Éditions Mnémos, « Corpus prophetae » a tout pour intriguer. Un jeune homme est sélectionné pour plonger dans le passé et se faire le biographe du Christ. L’éditeur nous vante une intrigue complexe, un personnage « prisonnier d’un présent qu’il déteste, traqué par un passé qui l’a brisé et rattrapé par un futur impossible, qui entrouvre la porte d’un des plus grands mystères de l’humanité. » Un point sur l’affaire après quelques allers-retours sur la trame fragile du temps et au long de quatre cents pages bien fournies.



En 1727, à Christ Church, le théologien Edward Markham échappe à l’inquisition, de toute évidence enlevé par le diable. En 2079, Vincent Montalescot doit partir dans le passé. Son but : devenir le biographe du Christ. Quelque temps auparavant, Mark Allenster, son ami, a été assassiné après être revenu d’une mission analogue. La vérité sur le Christ ? Curieusement, le Vatican ne s’oppose pas à une telle éventualité. Mais bientôt le Pape meurt. Il sera remplacé par une femme, Giasparone, qui aussitôt promet la destruction totale du conglomérat WorldSPARC, détenteur du monopole du voyage temporel. Quel rapport avec une abbaye impossible, retrouvée quelque temps auparavant au cœur de l’Antarctique ? Et se peut-il que la vierge Marie ait eu un autre enfant, à partir duquel aurait pu se perpétuer la lignée du Christ, dont le sang serait la clef d’une révélation pour laquelle bien des personnages puissants seraient prêts à tuer ? Et quel peut bien être le rapport avec ce qui se passera à Nazareth, en 3991 après Romulus ? De surprises en rebondissements, à travers un récit empruntant à la fois à la science fiction (un futur proche , un futur lointain, le voyage temporel) et au fantastique, le lecteur découvrira bien des nouvelles facettes de l’Histoire.

Des éléments perfectibles

Si « Corpus prophetae » a les qualités d’un thriller, il en a également les défauts. Les incohérences tout d’abord. Une carte géographique d’une précision contemporaine est datée au carbone 14 comme remontant à l’aube de la chrétienté, et lorsque quelques années plus tard l’on invente le voyage temporel il n’y a manifestement personne sur la planète pour penser qu’il puisse exister le moindre rapport. On ne saura jamais comment quelqu’un venu du futur, manifestement sans matériel, pourra, au début du premier millénaire, être capable de faire un aller-retour en Amazonie. On ne peut s’empêcher de trouver totalement invraisemblable que quelqu’un attende en planque durant plusieurs mois dans un domicile mis sous scellés, en attendant que Montalescot y revienne (invraisemblance gratuite qui contraint l’auteur à d’autres invraisemblances : ladite personne n’a pas été trouvée dans la maison lors de la fouille par la police, puis y a découvert suffisamment de nourriture pour y survivre durant ce temps). On ne peut comprendre pourquoi, dans le futur, un ennemi de l’état est puni en se trouvant « contraint » à monter la garde sur les machines les plus précieuses dudit état - tâche bien entendu que l’on ne confierait qu’à une personne de confiance - qui plus est situées quasiment en zone rebelle ! On restera très réservé sur la facilité avec laquelle Kain s’introduit puis repart du sanctuaire, puis sur la manière dont Mark Allenster finit par retrouver Kain. Ce ne sont là que des exemples. Des incohérences ou des invraisemblances scénaristiques, il n’y en a peut-être, au final, pas plus dans « Corpus prophetae » que dans bien des gros thrillers à la mode, mais cela fait tout de même beaucoup. Et l’on sera moins tolérant sur l’artifice narratif de cette « conférence de presse » (on connaît les méthodes classiques pour exposer de manière prétendument vivante une situation au lecteur : le cours d’un professeur, le dialogue entre divers personnages, la conférence, etc.) dans lequel l’auteur s’enferre pour y traiter de tout autre chose que le sujet de ladite conférence, puis conscient de son erreur, essaie de se rattraper en faisant dire à un de ses personnages qu’un « nombre incalculable de conférences » a déjà été donné sur ledit sujet qui n’est pas le bon. Il est hélas impossible pour le lecteur, même naïf, même de bonne volonté, de ne pas tiquer devant de telles maladresses.

Des qualités évidentes

On regrette d’autant plus ces incohérences heurtant ici et là le lecteur que l’intrigue mise en place par Matt Verdier apparaît inventive et solide. Car son récit ne manque par ailleurs ni de complexité ni d’astuce, surprises et rebondissements abondent, et des séries d’éléments à la fois nouveaux et inattendus viennent conférer à ses personnages, mais aussi à la trame globale, une densité sans cesse croissante. Avec finesse, Matt Verdier évite à son intrigue de s’enliser dans les ornières du trop prévisible et du déjà-vu (non, le biographe projeté dans le passé ne deviendra pas lui-même le Christ), et, entre les machinations des uns et des autres, entre les gouvernements, les firmes privées et l’Église, entre les jeux de dupes et de pouvoir au sein même de chacun de ces groupes d’influence, entre les redistributions de cartes générées par l’intervention d’électrons libres aux comportements imprévisibles, entre les interventions de la divinité et du démon eux-mêmes, on finira par comprendre que ceux qui étaient au départ persuadés de tirer les ficelles seront peut-être les premiers à y perdre leur latin – et bien plus encore.

Le tout est servi par une écriture efficace, composant des chapitres courts et assez visuels, un peu à la manière cinématographique. Si l’on exprime – en toute subjectivité – une réserve sur l’écriture de certaines scènes d’action, on reconnaîtra à l’auteur un talent certain pour la création d’ambiances et pour les dialogues qui sonnent le plus souvent très juste. Et on trouve ici et là des éléments plaisants, des petites phrases qui en quelques mots – “Une nuée de corbeaux inonda le ciel bleu marine dans un bruissement lugubre” – viennent transformer une scène en tableau.

Un premier roman honorable, un auteur à suivre

On l’aura compris : premier opus d’un auteur qui a, de toute évidence, un fort potentiel, « Corpus prophetae » est un roman ambitieux, avec ses qualités et ses défauts. À ce titre, et sur cette thématique précise, il fera bonne figure aux côtés d’autres romans eux aussi ambitieux mais imparfaits comme le « Jésus vidéo » d’Andreas Eschbach ou les « Manuscrits de Kinnereth » de Frédéric Delmeulle.

Pour finir, et pour le plaisir, quelques-unes des nombreuses citations susceptibles de donner une idée des ambiances de « Corpus prophetae »  :

Ton œil brille, Edgar. Dieu t’a foudroyé de Sa lumière. Mais ne l’écoute pas. Il se trompe.

Le prêtre dégaina son Uzi et leva la gâchette de sécurité. La facilité avec laquelle il manipulait son arme avait de quoi laisser perplexe. Visiblement, le sermon n’était pas le seul moyen de prêcher la bonne parole.

La parole de Jésus, quelque qu’elle soit, n’avait plus sa place dans la géométrie des dogmes. Le Messie de chair et d’os avait un double officieux : celui des Écrits.”

Sous son enveloppe de marbre, Gabriel avait frissonné. Il venait d’expédier quatre hommes en direction des limbes, mais il avait oublié pourquoi. La brume de rage, l’onde de choc sur le fleuve noir de son âme.


Titre : Corpus prophetae
Auteur : Matt Verdier
Couverture : Dave Wall / Arcangel Images
Éditeur : Mnemos
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 427
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 3,4
Dépôt légal : mars 2014
ISBN : 9782354081751
Prix : 21 €


Texte - 672 octets
Coquilles Corpus prophetae

Hilaire Alrune
3 juin 2014


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