Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Décroisade (La)
Pierre Gévart
Lokomodo, science-fiction, roman (France), science-fiction, 317 pages, 8€

Deux hommes reviennent sur Terre, au terme d’un long voyage en temps relatif, 600 après en être parti.
Sagaï, le premier, amnésique, ignore son passé et qui il est. En proie à de violents cauchemars, il erre, aux environs des Pyrénées, sur la Terre devenue désertique.
Le second, le cardinal Alvin Aaleigh, a rempli sa mission : il a trouvé une planète où la forme de vie, les insectoïdes Scranxiens, ont une foi qui ressemble à s’y méprendre au christianisme, avec un dieu fait homme, mort puis ressuscité. Ce qui le choque en rentrant six siècles plus tard, c’est de découvrir l’Église, son Église, totalement inféodée à un Islam qui a conquis la planète devenue désert. Le Pape n’est qu’un pantin, et porte le titre d’Al Abbas.

Pendant ce temps, sur Mars, ça conspire. Les protestants, uniques colons de la planète autrefois rouge, sont ceux qui ont envoyé Sagaï sur Terre, après un léger lavage de cerveau. Car Sagaï est en fait un des derniers Maîtres de la guilde des faiseurs de pluie, un techno-mage capable de rendre la Terre à nouveau verte et fertile. Et dans leur plan, de faire ainsi reculer l’Islam.

Bien sûr, rien ne se passe comme prévu !



Ne vous fiez pas trop à la magnifique couverture de Romain Flamand : « La Décroisade » n’est pas du cyberpunk, mais a au contraire tous les atours d’un SF des années 80. Rien de péjoratif dans ces mots. Le roman de Pierre Gévart, à l’instar d’un récemment réédité « Jeu des sabliers » de J.C. Dunyach, fait la part belle à l’aventure individuelle et à l’introspection, du moins dans un temps, avant d’osciller entre planet-opera et surenchère apocalyptique finale, lorsque chacun joue son va-tout alors que les cartes sont totalement redistribuées.

Sagaï, sauvé de ses cauchemars par la belle Irène, une danseuse qu’il a sauvé des griffes de trafiquants de femmes, accepte le rôle de grand messie que tous veulent lui donner. Échappant à l’agent martien qui devait lever son contrôle mental et lui rendre sa mémoire, le voilà parti à Rome.
Rome où ses pas vont croiser ceux du cardinal Aaleigh, protégé par un ambitieux Émir qui se sert de lui pour créer des troubles côté catholique. Aaleigh devenu nouveau Pape, le voilà qui prêche la Croisade pour redonner à l’Église son lustre d’antan. Avant de se faire damer le pion par Sagaï, soutenu par la ferveur populaire !
Il ne manque plus que la rencontre entre le Scranxien et le technicien informatique juif de l’Émir, et leur parfaite entente, pour que les plans des catholiques revivifiés, des protestants martiens et de l’émir qui voulait être calife à la place du calife, deviennent un chaos imprévisible, les armées ne sachant finalement plus à quel saint se vouer.

Le texte met du temps à dévoiler les rouages les plus complexes de cette intrigue (les protestants martiens), aussi les premiers chapitres sont-ils assez difficiles à saisir. Nous semblons aussi perdus que Sagaï, incapables de deviner où va cette histoire (et on serait bien en peine, en effet). Une fois que les choses se décantent, on en apprécie plus le chaos permanent, et on goûte l’humour que l’auteur saupoudre, entre situations au retournement ubuesque, tant les personnages semblent à moitié fous et fanatiques, pénétrés de leur foi, et petits clins d’œil (les chefs protestants qui ont des noms d’auteurs de SF, notamment).

Si tous ces conflits sont au nom de la foi, c’est bien l’ambition politique que Pierre Gévart dénonce dans « La Décroisade », au travers du cardinal, de l’émir, et dans une moindre mesure des deux femmes de l’histoire, Irène et Velvet, qui refusent de perdre le nouveau statut qu’elles n’avaient pas demandé. Mais c’est davantage un combat pour les droits des femmes qui sous-tend leur position, plutôt qu’une ambition politique. On appréciera d’autant plus le clin d’œil final, en se demandant qui détient le vrai pouvoir.

Déjà publié chez Éons en 2004, le texte a été repris par l’auteur pour la présente édition. Cette dernière n’en souffre pas moins d’une relecture étrangement bâclée : si je n’ai pas souvenir de grosse faute de français (car, assez fatigué, j’avoue ne pas avoir lu avec un crayon), il y manque par contre au moins 300 traits d’union, ce qui rend certaines phrases très mal lisibles (p. 218 : “Vous même, n’êtes vous pas chrétien ?”) (et un seul de trop, par contre, p.305 : “Venez-vous placer face à moi”) ainsi que quelques errances de ponctuation (guillemets français miraculés du passage au tiret cadratin, points absents en fin de phrase, etc.).

Dernier point perturbant, l’auteur joue avec les temps du récit, en changeant en même temps que de personnage, passant du couple présent/passé composé au duo passé simple/imparfait, sans réelle raison narrative. Ce va-et-vient temporel, superflu, rend la lecture assez fatigante, à laisser entendre l’éventuelle antériorité d’une scène sur une autre.

Ajoutez à cela cette lenteur à démarrer qui m’a poussé à la somnolence plusieurs soirs d’affilée, une histoire loin des promesses de la couverture, enfin la maquette des Lokomodo qui n’a pas toute ma sympathie (28-29 lignes par page, un corps important, un interligne large et des marges étroites, surtout en fond de cahier) malgré une souplesse de papier très agréable, en refermant cette « Décroisade » je ne savais pas trop quoi en penser.

Ce n’est qu’à tête reposée, en évacuant tous ces présupposés et ces défauts de pure forme, que l’histoire de Gévart me laisse une bonne impression, celle d’un roman intelligent, appelant nombre de questions sur le pouvoir, celui de la foi parmi d’autres, tout en hésitant pas à les égratigner et les tourner en dérision.


Titre : La Décroisade (2004, version revue par l’auteur)
Auteur : Pierre Gévart
Couverture : Romain Flamand
Éditeur : Lokomodo (édition originale : Eons, 2004)
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 45
Pages : 317
Format (en cm) : 17 x 11 x 1,6
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 9782359001945
Prix : 8 €



Nicolas Soffray
21 avril 2014


JPEG - 33.5 ko



Chargement...
WebAnalytics