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Automne
Jan Henrik Nielsen
Albin Michel, Wiz, roman (Norvège), post-apocalyptique, 333 pages, janvier 2014, 15,90€

Nanna et Fride vivent avec leur père, dans un bunker sous leur maison de vacances, isolée sur une île d’un fjord. Cela fait des années qu’elles ne sont pas sorties, depuis que la Maladie a frappé la ville (et le monde). Elles regardent l’extérieur avec un périscope, et rêvent de sortir. Jusqu’au jour où Fride s’échappe par une canalisation : dehors, l’air est respirable... A contrecœur, leur père accepte de réintégrer la maison. Mais il faut rester discrets, ne pas être vus d’autres survivants potentiellement dangereux...
Les provisions se raréfient, le père décide d’aller en ville. Mais la fièvre le terrasse et ruine ce projet. Pire, ils n’ont plus de médicaments. Les deux fillettes, immunisées, partent donc. Pour l’aînée, ce voyage, c’est retrouver les traces de son passé. Pour la cadette qui était bébé au moment de la catastrophe, c’est l’occasion de mettre des vraies images sur les mots des histoires de son père et de sa sœur, de découvrir enfin leur ancien monde.
Mais le paysage a changé. La ville abandonnée en catastrophe n’offre pas son plus beau visage, et certains dangers menacent.



Je n’ai jamais été déçu par un livre de la collection Wiz. Mais avec Automne, on atteint des sommets d’excellence en littérature jeunesse.
L’éditeur renvoie, en 4e de couverture, à « La Route », de Cormack McCarthy, cet âpre best-seller primé et adapté au cinéma (avec Viggo Mortensen), où un père et son fils traversent les USA devenus ruines et cendres, avec l’espoir qu’au bout... On se plaint souvent des références accrocheuses en couverture : celle-ci est entièrement justifiée. L’ambiance post-apocalyptique est là, la peur de la mort, de la contamination invisible, imprévisible, la volonté permanente de se protéger au prix d’un isolement proche de l’emmurement prédominent dans la première partie via la figure du père, qui tente de préserver ses filles à tout prix. Mais ainsi que Nanna va le découvrir, les réserves s’amenuisent, et suite à une écorchure leur père est de plus en plus souvent fatigué, et leur consacre de moins en moins de temps, pas comme avant. Ce qui ne fait qu’accroître les envies de sortir de sa petite sœur Fride, qui n’a jamais connu que les murs humides du bunker, et vu l’extérieur uniquement par le périscope.

Leur première sortie est déjà une libération, malgré l’état de leur père qui empire subitement. L’auteur, par les mots simples de deux enfants, sait faire passer ce plaisir merveilleux de goûter de nouveau à la liberté, à la nature (même si la végétation semble morte, comme une perpétuelle fin d’automne).

Lorsque leur père s’écroule, l’aînée sait d’instinct qu’elle devra le remplacer. Pour le sauver lui, en allant chercher des médicaments dans leur ancien appartement, mais aussi pour prendre soin de sa petite sœur. Même si elle se refuse à envisager la mort de son père, cette pensée l’accompagnera tout le voyage, mais elle n’en dira rien à Fride pour mieux se rassurer elle-même malgré les jours qui passent et les obstacles sur leur chemin, et ceux qu’il faudra franchir au retour.

Les deux fillettes partent, malgré les dangers contre lesquels leur père les a mises en garde depuis des années. Elles espèrent ne croiser personne, mais rencontrer quelqu’un, ne plus se savoir seuls, serait aussi tellement un grand soulagement.
L’auteur joue adroitement avec nos peurs, usant à la perfection de cette crainte potentielle plutôt que d’un danger réel (même si ce sera parfois le cas). La tension est quasi-permanente, parce que Nanna est sur le qui-vive, tandis que sa petite sœur avale les yeux grands ouverts ce monde et ces milliers de choses auxquelles elle a rêvés des années.

La ville verra leur rencontre avec Oiseau, un garçon solitaire qui vit là, et les Ombres, de menaçantes silhouettes qui errent dans les sous-sols de la ville et qui pourraient s’avérer dangereuses si les fillettes ne respectent pas leur territoire, ainsi qu’Oiseau les met en garde. Le mystérieux garçon leur viendra en aide plus ou moins directement. Il a des secrets qu’il n’est pas prêt à partager, mais rapidement il va devoir choisir entre sa solitude et la compagnie des deux sœurs.

Oiseau se laissera peu à peu apprivoiser par Nanna, et les derniers chapitres sont bouleversants. Son secret est la lueur d’espoir qu’attendait Nanna, le droit de « s’imaginer vieillir », tandis que la vérité éclate au sujet des Ombres.
Enfin, on appréciera les quelques explications finales pour une conclusion entre larmes et espoir, dont je ne vous révèlerai rien, si ce n’est qu’elle est très logique et naturelle : l’auteur, s’il finit sur l’espoir et des retrouvailles, ne se laisse pas aller à des hasards miraculeux, mais donne une réponse cohérente et des conséquences possibles aux actions et aux observations de Nanna.

Aux différentes étapes de son récit (le bunker, la sortie, le début du voyage, la ville enfin), Jan Henrik Nielsen oppose une écriture d’une invariable poésie et d’une grande délicatesse. La sincérité de ses personnages, qu’ils changent (Nanna, qui finit par ne plus se voiler la face de l’urgence de leur mission, et Oiseau qui abandonne ses mystères) ou pas (Fride, la petite qui découvre enfin la vie dehors), font de cet « Automne » un magnifique récit dédié à la vie.

On pense souvent que jeunes héros font littérature jeunesse. « Automne » m’a bouleversé et captivé, et c’est sans doute le premier livre de cet année qu’il m’a été douloureux de devoir reposer avant d’en avoir atteint la fin. Donc quelque soit votre âge, plutôt que « La Route », lisez « Automne ».


Titre : Automne (Hosten, 2011)
Auteur : Jan Henrik Nielsen
Traduction du norvégien (Norvège) : Aude Pasquier
Couverture : Stian Hole
Éditeur : Albin Michel
Collection : Wiz
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 333
Format (en cm) : 21,6 x 14,6 x 2,5
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 9782226247223
Prix : 15,90 €



Nicolas Soffray
18 mars 2014


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