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Salauds Gentilshommes (Les), tome 2 : Des Horizons Rouge Sang
Scott Lynch
J’ai Lu, Fantasy, n°10460, roman traduit de l’anglais (USA), maîtres-voleurs, 761 pages, 8,90€

Locke et Jean ont fui Camorr pour Tal Verrar, un archipel en Verre d’Antan qui fourmille de tentations pour leurs compétences très spéciales. Ils ont jeté leur dévolu sur la chambre forte, réputée inviolable, de Requin, le propriétaire de la plus grande maison de chance de la cité. Mais après deux ans de préparation, de recherches et alors que le plan encore une fois tordu de Locke est sur le point de réussir, les deux complices sont alpagués par l’Archon, le chef militaire de Tal Verrar, qui sur la suggestion des Mages Esclaves (un rien rancuniers), leur confie une étrange mission : créer une menace pirate dans les eaux territoriales, afin qu’il redore son blason et dame le pion au Priori, le conseil politique et mafieux de l’archipel. Et pour s’assurer leur obéissance, l’Archon les empoisonne. Pas de résultats, pas d’antidote !
Le seul souci, c’est que Jean et Locke n’ont jamais navigué sans rendre tripes et boyaux par-dessus bord. Comment passer pour des pirates ?
Et comment mener à bien leur cambriolage, dans tout ça ?



Scott Lynch, après le chef-d’œuvre unanimement reconnu qu’était « Les Mensonges de Locke Lamora », tente un pari risqué : ne pas retomber dans la redite, et mettre la barre plus haut. Pari à moitié gagné. Je m’explique
J’ai adoré ces « Horizons rouge sang ». J’avais hâte de retrouver Locke et Jean, encore sous le choc du finale des « Mensonges de Locke Lamora ». Cette suite commence sur des chapeaux de roues, par un flash-forward saisissant : 4 protagonistes, 4 arbalètes pointées vers 4 têtes, et... tout bascule. Il faudra attendre la 631e page pour parvenir à cette scène et se délecter du dénouement, imprévisible.
Scott Lynch reprend son ancienne formule : le casse est sur le point d’aboutir, et au fil des besoins de l’histoire, il revient sur l’acquisition de certains outils ou l’obtention de certaines informations. Flash-backs jamais innocents, il est rare que ces scènes passées ne servent qu’un seul point de vue. Elles n’en sont que plus appréciables.

Mais voilà, comme l’arrivée du nouveau Capa dans le tome précédent, un élément perturbateur intervient dans les plans des deux voleurs. Mais cette fois, Locke et Jean vont radicalement changer d’horizon et s’éloigner de leur plan initial. Ce n’est pas une simple épine dans le pied, c’est une épée de Damoclès qui les envoie sur les flots, loin de Tal Verrar et de leur cambriolage.

Et ce choix de l’auteur m’a d’abord semblé bizarre : dépayser ses héros, presque partir sur une toute autre histoire, était un gros risque. Du fait de leur navigation, ils s’écartent du récit initial, et nous aussi, un bon moment Certes, ils gardent à l’esprit leur casse, d’autant que certains rouages sont déjà en place et qu’ils ne peuvent plus reculer.
C’est un exercice d’équilibre auxquels auteur et personnages se livrent alors, pour mener à bien leurs plans et tirer leur épingle du jeu : survivre tout d’abord, au poison, à la mer et aux pirates, réussir leur casse, et se venger de ceux qui se sont servis d’eux. Quelques détails sont un peu expédiés en fin d’ouvrage (le contact avec le Priori, notamment, une organisation restée en toile de fond jusque-là), mais encore une fois, c’est un feu d’artifice final qui met à bas les plans des puissants, nos deux héros profitant de la pagaille pour filer avec leur butin. Sauf que...

De gros risques donc, quelques craintes tandis que les pages défilent pourtant toujours à toute allure, car la plume est toujours là, le ton aussi. Jean et Locke sont deux grands gamins capables de se chamailler pour un rien, mais ils sont les meilleurs amis du monde. Au début, alors qu’après les évènements à Camorr, Locke est au plus bas, Jean ne le laisse pas tomber, et se fait le vecteur de sa guérison tant physique que morale. Si la constante du duo demeure - Locke est le petit génie gouailleur, Jean les muscles et le pragmatique - ce second tome est aussi celui des clashs, car les deux héros ne mûrissent pas au même rythme, chacun en écho à ses propres épreuves. Si Locke est toujours blasé des femmes (avec l’arlésienne de leur ancienne camarade camorrienne mystérieusement disparue), Jean découvre l’amour. Et tout ce qui va avec, le meilleur comme le pire. Sur ce passage-là encore, Lynch fait merveille, avec des personnages toujours justes et cohérents : pirates comme voleurs vivent au jour le jour, et profitent des plaisirs immédiatement, tant qu’ils sont encore en vie. Carpe diem. Une sorte d’étrange contrepoint à la fureur et au danger, omniprésents.
L’humour « lamorien » est toujours là, un peu plus noir encore si c’était possible. Les réparties cinglantes et les traits assassins fusent encore, malgré une ambiance générale guère à la rigolade, puisque les deux voleurs ne sont rapidement plus maîtres du jeu, et que les catastrophes s’accumulent aussitôt que tout semblait vaguement aller mieux. Lynch est capable de mettre de la tension dans n’importe quelle scène, même la plus insignifiante (comme l’exercice d’escalade) et son Locke utilise sa langue et son humour pour désamorcer les pires bombes. Pour nos plus grands frissons et notre plus grand plaisir.

Bref, les ingrédients qu’on avait appréciés sont là, mais la recette a changé, pour ne pas tomber dans la redite. Nos héros ont grandi, mûri. Ils ne sont plus les maîtres de leur monde, les gros poissons de la petite rivière ont rejoint l’océan. Mais ils ne craignent pas les requins. Ils ne craignent personne. Qu’eux-mêmes. Leurs limites. Si elles existent.

Suite à une petite dépression, Scott Lynch aura mis 5 ans à écrire la suite, tant attendue : « La République des Voleurs ». Elle est annoncée pour cette année chez Bragelonne, qui pour l’occasion réédite « Les Mensonges de Locke Lamora » et le présent « Des Horizons Rouge Sang ». Les couvertures des poches de J’ai Lu n’ayant pas à rougir de la comparaison, c’est à vous de voir quel prix vous voulez y investir. D’autant que les quelques coquilles, broutilles, qui restent dans le poche n’auront certainement pas disparu de la réédition...


Titre : Des Horizons Rouge Sang (Red Seas Under Red Skies, 2007)
Auteur : Scott Lynch
Traduction : Olivier Debernard
Couverture : Gary Jamroz
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Fantasy
Site Internet : fiche du roman (site éditeur)
Numéro : 10460
Pages : 763
Format (en cm) : 17,8 x 11 x 3,4
Dépôt légal : août 2013
ISBN : 9782290068298
Prix : 8,90 €


- Tome 1 : Les mensonges de Locke Lamora


Nicolas Soffray
2 mars 2014


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