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Larmes de Pancrace (Les)
Mallock
Fleuve Noir, roman (France), policier, 462 pages, février 2014, 19,90€

Le commissaire Amédée Mallock est en vacances dans le sud. Gilles Guédrout, son ancien bras droit devenu lui-même commissaire, l’appelle à la rescousse : Jean de Renom, propriétaire d’un vignoble fameux, vient d’être assassiné, et tout désigne Camille, l’épouse de la victime, comme étant l’assassin. Or, Camille est également une amie personnelle de Guédrout : outre les intuitions légendaires de Mallock, il aimerait l’avis de quelqu’un qui ne soit pas personnellement impliqué. Commence alors une enquête complexe qui, si elle ne permet pas d’innocenter Camille, qui ne se souvient de rien, oriente rapidement vers une manipulation par sa propre mère, Sophie de Corneille, qui a fort malheureusement le bras long : elle est non seulement députée, mais aussi candidate à la présidence de la république. Le premier bras de fer, entre d’une part Mallock, Guédrout et le juge Balesta, d’autre part la députée et ses avocats, tourne rapidement à l’avantage de ces derniers. Médias à la botte de la future présidente aidant, Mallock, Guédrout et Balesta sont bientôt traînés dans la boue.



« La vérité était morte depuis pas mal d’années. Personne n’était venu réclamer son corps et aucun commissariat n’avait été chargé d’enquêter. Le politiquement correct lui avait arraché les yeux (...) »

Pas de chance pour la suspecte et ses sbires, Mallock et Guédrout s’acharnent. Et retrouvent dans l’histoire des Corneille et de Renom plus d’un cadavre déjà bien refroidi que l’on pourrait bien, allez savoir, mettre au crédit de la dame. Tout cela, certes, remonte aux décennies précédentes. Mais ce n’est pas tout : il se pourrait également qu’une antique malédiction soit de la partie.

«  Seul Jérôme Bosch aurait pu imaginer pareil spectacle. Les cadavres des pestiférés, leurs possessions et même leurs chevaux s’envolaient dans le ciel pour atterrir au centre de la fournaise . »

Une malédiction qui prend sa source dans une époque trouble de l’Histoire, le massacre des templiers et la vie et la mort de l’un d’entre eux, héros quasiment howardien, détenteur des larmes du Christ et d’autres secrets. Assassiné par traîtrise, il aurait prédit pour sept siècles plus tard sept morts violentes et la fin de la lignée de ses assassins. Comme Mallock peut le constater, c’est déjà bien parti : six sont dès à présent sur le carreau, et l’ultime héritier, l’enfant nouveau-né de Camille de Renom, risque de ne pas vagir très longtemps.

«  Comme d’habitude, son intelligence et sa réflexion allaient devoir ramer pour rattraper ses intuitions, voguant majestueusement sur les fleuves régaliens de l’hypothèse de haut vol.  »

Mallock est fort. Très fort. Mais le puzzle est si complexe que même en s’aidant d’associés virtuoses des techniques les plus modernes de la criminalistique, bien des zones d’ombre demeurent. Les choses sont d’autant moins faciles que pour ce qui est du crime le plus ancien, il y a prescription. D’autant moins faciles que le chevalier d’Assas, grand ami des de Renom et emprisonné, sans doute à tort, depuis plus de trente ans pour le meurtre de Pierre de Renom, père de Jean de Renom, n’est pas précisément clair, ni vraiment bavard. Alors, Mallock fouine, discute, écoute, devine, suppute. Et qu’en sus du vin local, le cœur-corneille, en sus des havanes, qui l’inspirent, il n’hésite pas à convoquer un petit peu de substances illicites.

«  Tous les possibles apparaissaient alors dans une même vaste mare de sang, et Mallock y nageait, baignant dans un océan de folie (...)  »

Car Mallock pratique à l’occasion l’hypnose chimique comme un rituel déductif, si ce n’est divinatoire (et rejoignant ainsi le légendaire Sherlock Holmes, cocaïnomane notoire, au panthéon des enquêteurs toxicomanes.) Mais quel rapport, entre autres exemples, entre un classique crime en chambre close et la technique démente d’un porte-avions d’un nouveau type ?

«  Lire Lovecraft ou Le Rivage des Syrtes au fond des bois, c’est quelque chose . »

Si Mallock finit par résoudre tous ces crimes “sept d’un coup”, c’est que ses intuitions ne reposent pas seulement sur sa fonction d’enquêteur, mais aussi Mallock, quelque part, c’est aussi l’“exception culturelle” à la française. Il a beaucoup bu, beaucoup mangé (on déconseille d’ouvrir l’ouvrage à jeun, tant les scènes de cuisine ravivent l’appétit ; et tout comme chez Patricia Cornwell et quelques autres, on s’interrogera une fois encore sur les rapports que semblent entretenir gastronomie et autopsie), et beaucoup lu. Des qualités qu’appréciera le lecteur français, qui au passage se réjouira de la palette lexicale de Mallock. Il découvrira ainsi de doux termes comme celui de la « balistique terminale », du beau vocabulaire des vins (comme la caudalie ou la véraison) ou des manuscrits des livres (ambon, évangéliaire, lectionnaire, et même plumitif en tant qu’écrit) ainsi que de la riche palette de couleurs (outre le « cœur-de-pigeon » l’amateur appréciera tout particulièrement “la légèreté du rouge oranger du clairet et la puissance dramatique d’un rouge bien plus sombre, sang de pigeon, rappelant les laques chinoises et les grands crus issus du morillon.” Mais restons vigilants, le foetuspalempstiosus inventé par un moine-soldat du nom d’Eposisme le doux pourrait bien être totalement apocryphe, ce que l’on appelle en vocabulaire mallockien un coup de bluff.

Une intrigue retorse, des personnages attachants, une humanité profonde, un humour souvent présent, des perspectives historiques avec – sans sombrer dans les pièges de l’ésotérisme à la mode – un soupçon de malédiction séculaire : le cocktail prend, fonctionne, perdure de rebondissement en rebondissement. Des pinailleurs acharnés pourront faire la fine bouche sur une ou deux séquences (pour notre part, le passage de la fouille, à la recherche de la clef avec le bluff de Mallock et la réaction de la suspecte, nous semble à la fois trop télévisuel et assez peu vraisemblable), mais l’on aurait tort de bouder son plaisir, d’autant plus qu’en même temps que son commissaire éponyme, Mallock s’y entend, et tout particulièrement au long des cent dernières pages, pour souder le lecteur aux « Larmes de Pancrace ». Difficile en effet dans la dernière partie de lâcher le roman avant le dénouement final, une confrontation dans la grande tradition du genre – Mallock et ses sbires face à la suspecte et à ses suppôts – au cours de laquelle l’on assiste, de révélation en révélation, à l’emboîtement des pièces parfaitement usinées de la mécanique du crime. Quatrième roman, donc, pour les deux Mallock – l’auteur et le commissaire – qui tous deux assurent. Belle année en tout cas pour l’un et pour l’autre : entre la parution des « Larmes de Pancrace » au Fleuve et la réédition des premières aventures chez Pocket, l’amateur de romans policiers a de quoi se mettre sous la dent.


Titre : Les Larmes de Pancrace
Auteur : Mallock
Couverture : Axel Mahé
Éditeur : Fleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 462
Format (en cm) : 14 x 22,5
Dépôt légal : février 2014
ISBN : 9782265098473
Prix : 19,90 €



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- Le Cimetière des hirondelles


Hilaire Alrune
13 février 2014


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