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Alliage de la justice (L’)
Brandon Sanderson
Le Livre de Poche, Orbit, traduit de l’anglais (États-unis), fantastique / steampunk, 451 pages, janvier 2014, 7,10 €

Rattaché au cycle des Fils-des-Brumes, mais séparé par plusieurs centaines d’années des aventures précédentes, ce roman ne s’y intègre que très partiellement, et pourrait donc, même si sa fin est suffisamment ouverte pour laisser place à une suite, être considéré comme un simple « one-shot ». Un « one shot », certes, mais pas précisément du côté des coups de feu, puisque l’on s’y entretue dans une frénésie d’action qui, de toute évidence, n’est pas sans constituer un appel du pied aux « majors » hollywoodiennes.



Un appel du pied d’autant plus indéniable que la structure même du roman est purement cinématographique. Les premiers chapitres sont on ne peut plus clairement des démarquages des scènes introductives des « blockbusters » américains. Mais hélas, elles en partagent les caractéristiques les plus fréquentes – pas écrites, pas prenantes, pas convaincantes, dépourvues d’âme – et ne donnent l’impression d’être là que parce que cela fait partie du rituel.

Pas écrites, tout d’abord. Si la prose de Sanderson pouvait convenir à des ouvrages humoristiques destinés à la jeunesse comme la série des « Alcatraz » que nous avons précédemment chroniquée, elle devient vite insuffisante pour un roman adultes. L’absence de soin apporté à l’écriture est par moments particulièrement flagrante (qu’on en juge par les répétitions suivantes « Un train était arrêté en raison d’une diversion sur les rails – les premiers temps, un arbre à terre. Plus tard, un train fantôme qui surgissait des brumes et fonçait droit vers le train. Les mécaniciens arrêtaient le train, paniqués, mais le train fantôme s’évanouissait devant eux. On redémarrait alors le train. ») et l’on se retrouve, quasiment en permanence, confronté à une prose strictement basique et utilitaire.

On ne peut que le regretter dans la mesure où les éléments constitutifs du roman, ou plus exactement du scénario, étaient prometteurs. Dans le monde de Scadrial décrit par Sanderson, quelques individus ont des pouvoirs liés non pas uniquement à leur essence propre, mais à la détention ou à la proximité de métaux. Cette forme de magie « violente, brute et puissante » est liée à seize métaux de base utilisables. Ainsi les Brumants Lance-pièces (c’est le cas de notre héros Waxillium) sont capables d’exercer des poussées sur les sources métalliques proches, soit pour les mouvoir , soit pour se mouvoir eux-mêmes (par propulsion ou répulsion, c’est-à-dire qu’ils peuvent sauter à des hauteurs impensables ou chuter depuis des hauteurs également impensables). Les Brumants Glisseurs (c’est le cas de Wayne, complice du héros) peuvent brûler le cerrobend pour constituer autour d’eux une bulle de temps transitoire. Les Brumants Exalteurs brûlent du zinc pour exalter les émotions des individus proches. Certains de ces brumants sont pratiquement immortels, leur pouvoir leur donnant la possibilité de se régénérer rapidement après toute blessure. Avec seize métaux les possibilités, on le voit, sont nombreuses.

Waxillium, alias Lord Ladrian, vient de passer vingt ans à rendre une justice (que l’on devine expéditive) dans ces territoires sans foi ni loi que sont les Rocailles. Lassé, il rentre à Elendel où il doit reprendre son statut de Lord. Un Lord hélas ruiné, mais convoité par de riches fortunées selon un schéma très classique. Dans cette société très victorienne qu’est celle d’Elendel, Waxillium se résout à se fiancer avec Stéris, un riche héritière, même s’il éprouve beaucoup plus d’attirance pour la cousine officielle de celle-ci, en réalité sa sœur bâtarde, la très perspicace Masari. Mais quand on enlève Stéris sous ses yeux, Waxillium n’a d’autre choix que de ressortir les flingues.

Le schéma est classique : un individu pas tout à fait dégrossi obligé de se glisser dans des habits trop civilisés pour lui, mais pourvu de qualités et d’un courage faisant défaut aux gens qui l’entourent, et bien entendu finissant par l’emporter, non sans s’attirer l’estime générale. Tout ceci, avec l’astucieuse utilisation des pouvoirs, aurait pu être palpitant si l’intrigue n’était aussi linéaire, aussi prévisible, et si les scènes d’action, à la fois longues et nombreuses, n’étaient pas si basiquement descriptives : virevoltantes mais purement visuelles, et, là encore à la manière des longs-métrages hollywoodiens, entièrement superficielles. On n’y ressent ni tension, ni danger, ni émotion, les personnages sautent dans tous les sens et se dézinguent et se dynamitent avec entrain, mais sans âme.

Un récit, donc, qui après avoir peiné à démarrer s’enferme dans une intrigue simpliste et s’enferre dans une action à grand spectacle et sans grand suspense. Mais résumer « L’Alliage de la justice » par cette seule phrase serait méconnaître sa qualité majeure : le don de Brandon Sanderson pour les dialogues. Car c’est avec un indéniable talent qu’il procure au roman son attrait principal en mettant en scène la dynamique « chien et chat » de Waxillium et de son ami Wayne, lui aussi originaire de la Rocaille. Des échanges souvent hilarants, avec parfois la participation de la fine Masari, et qui avec leur aspect théâtral et comique, donnent sel et saveur au roman.

Que conclure au terme de « L’Alliage de la justice » ? Que l’on ne peut lui dénier une inventivité certaine grâce aux possibilités offertes par les divers métaux mais qu’à partir de telles bases l’intrigue reste grandement superficielle et se positionne tout de même très loin, dans le registre, derrière des romans d’envergure comme le remarquable « Magie brute » de Larry Correia (L’Atalante). Qu’en dépit de ses défauts, « L’Alliage de la justice  » amuse, et, peu exigeant, plaira sans doute à de nombreux lecteurs qui recherchent avant tout la distraction.

Si « L’Alliage de la justice » est agrémenté de deux cartes (une vue d’ensemble des bassins d’Elendel et un plan d’Elendel), de plusieurs reproductions de la gazette de la ville, d’un tableau « Ars arcanum » récapitulatif des métaux, d’un glossaire desdits métaux et de leurs propriétés, d’une annexe consacrée aux trois arts métalliques et d’une nouvelle assez oubliable, « Le onzième métal », on ne trouve nulle part de table des matières permettant de s’y référer, lacune d’autant plus regrettable que sa rédaction n’aurait pas pris plus de trois minutes à l’éditeur.

Qualités et défauts : un bilan en demi-teinte, donc, pour ce roman aux bases prometteuses mais inabouti qui, vite lu, ne devrait pas laisser grande trace dans les mémoires – à moins que le volume suivant ne vienne donner à l’ensemble une plus vaste envergure.


Titre : L’Alliage de la justice, une histoire des Fils-des-Brumes (The Alloy of Law : A Mistborn Novel , 2010)
Série : Fils-des-Brumes (Mistborn), tome IV
Auteur : Brandon Sanderson
Traduction de l’anglais (États-unis) : Mélanie Fazi
Couverture : Chris McGrath
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Calmann-Levy, 2012)
Collection : Orbit
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 451
Format (en cm) : 11 x 18 x 2
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 978-2- 253-17711 - 1
Prix : 7,10 €


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Hilaire Alrune
9 février 2014


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