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Création
Johan Heliot
J’ai Lu, n° 10300, roman (France), science-fiction, 248 pages, mars 2013, 6€

Le Proche-Orient, dans les années 2020. Saïd Machker, reporter câblé façon « Michaelmas » d’Algys Budrys, est subitement embauché par le webangéliste milliardaire Zacharie Granville pour le suivre dans une expédition mystérieuse au Sinaï. Le Sinaï où un jeune soldat français, au cours d’une escarmouche avec des intégristes, voit subitement le désert autour de lui se transformer en forêt. Le Sinaï où, depuis trois ans, Rachel, jeune botaniste de l’Université de Jérusalem, a été recrutée par le Shabak, la sécurité intérieure israélienne pour poursuivre des recherches dans l’ancien complexe nucléaire de la Dimona. C’est en suivant les parcours de ces trois personnages que l’on va découvrir un bien étrange secret.



«  Non, nous sommes ici en quête des véritables auteurs de ce monde.  »

L’histoire des Esséniens, l’Elucidarium d’Honorius, les rouleaux de Qumran, mais aussi la métaphysique et les sciences fondamentales – génétique, physique théorique et même cosmologie – viennent dès lors s’articuler autour de mystérieuses graines découvertes avec les fameux manuscrits de Qumran, des graines que, dans le fameux complexe de la Dimona, les scientifiques sont parvenus à faire pousser. Mais les arbres qui en résultent demeurent une énigme pour les scientifiques, qui, à force d’investigations, finissent par comprendre que les graines ne sont rien de moins que celles du Jardin d’Éden. Rien de moins, mais surtout beaucoup plus ; car le jardin en question n’offrirait pas que des perspectives théologiques : il serait également un « monde entre les mondes », un « espace intermédiaire » entre les branes décrits par la physique théorique, et une possibilité, peut-être, de voyager entre les univers et de rencontrer nos créateurs.

Des défauts incontestables

Le propos, on le voit, est d’une ambition considérable. Mais, hélas, le roman refuse d’assumer lesdites ambitions. Il s’enlise dans des péripéties insuffisamment convaincantes et se heurte à diverses failles et raccourcis que sa structure d’emblée bancale rendait inévitables. Ainsi, la dissimulation du Jardin derrière de simples palissades, échappant aux satellites par quelques lignes de code dans une des zones les plus surveillées par toutes les grandes puissances ne peut guère qu’apparaître aberrante, et les arguments avancés en filigrane – la dénucléarisation d’Israël ayant entraîné le désintérêt des grandes agences de renseignements pour cette région – sont tout de même assez difficiles à admettre, surtout dans le contexte de relance de combats dans le Néguev décrit par l’auteur. Néguev où Israël aurait demandé l’intervention de commandos français contre les terroristes infiltrés pour « ne pas ternir davantage sa réputation » ! Cela fait beaucoup d’invraisemblances pour justifier la présence d’un protagoniste français qui n’avait rien de bien nécessaire et apparaît complètement alambiquée. De même, la scène où les mercenaires du milliardaire Zacharie Granville ouvrent le feu sur une patrouille de Tsahal et en capturent les membres sans aucune difficulté, ni sans aucune inquiétude pour la suite, est parfaitement risible, même si l’auteur tente, en vain, de la rendre crédible en précisant qu’il ne s’agissait que de jeunes recrues. Enfin, le montage d’un aéronef et son vol en toute innocence en direction du territoire le plus contrôlé et surveillé d’Israël, siège de l’opération secrète en cours depuis des décennies, ne manquera pas de faire tiquer jusqu’aux plus crédules des lecteurs.

Il y a hélas ici et là d’autres maladresses. On se demande bien pourquoi l’auteur a glissé un soldat romain dans le Jardin, certes introduit par un évènement historique relaté au début du roman, alors qu’il est plus question d’un carrefour entre les mondes que d’une faille temporelle. Pourquoi lui et lui seul, alors qu’il pourrait venir dans ce cas des individus de toutes les époques, et surtout des entités de tous les mondes, soit invitées, soit elles aussi intempestives et traquées par son Gardien ? Un Gardien de ce Jardin d’Éden qui, en n’apparaissant malgré les potentialités sans fin offertes par le carrefour des univers, que comme un quelconque géant de fantasy bas de gamme confère au récit un aspect de pacotille qu’il ne méritait pas. On notera également, autres défauts, certains dialogues bien trop courts pour être vraisemblables – ainsi celui où le soldat de Tsahal et celui de l’armée française se rencontrent dans le Jardin et où le premier délègue à l’autre un rôle qu’il accepte sans discuter – et des derniers chapitres particulièrement expéditifs, qui, compte tenu de l’envergure des thèmes abordés, composent une fin fortement tronquée.

Une idée magnifique

On regrette d’autant plus ces défauts que le roman aurait pu être pleinement réussi. D’une part parce que l’auteur a suffisamment de recul pour jouer avec les clichés (le fantassin qui dort avec son fusil d’assaut, le vieux savant « à l’œil malicieux ») et les stéréotypes des thrillers à prétention cinématographique (le mercenaire Decker, l’administratif glacial Rafi Amit), d’autre part parce que le concept de départ est assez original et que l’auteur parvient à mêler habilement les aspects historiques et scientifiques.

Le séquençage du récit en cinq parties « Projet Hawila », « Les Délices », « Le Dessein », « Bienveillance » et « Contact », elles-mêmes segmentées en chapitres courts, offre une facilité de lecture considérable, et ceci d’autant plus que l’auteur, dans la tradition du roman-feuilleton, s’y entend pour maintenir l’intérêt en passant d’un personnage à l’autre, et échappe à l’écueil classique des thrillers souvent artificiellement épaissis en se limitant à deux cent cinquante pages.

Ce qu’il faut retenir de ce roman, c’est cette idée magnifique de recréation de Jardin d’Éden, lequel serait donc bien plus que ce que l’on en croit habituellement. Une idée fascinante qui, tout comme l’élégante illustration de couverture de Flamidon, n’a pas fini de faire rêver. Alors, pour permettre aux graines semées dans ce premier volume de germer et d’aboutir pleinement, un second roman dans l’univers de « Création » ? Ce ne serait sans doute pas une mauvaise idée.


Titre : Création
Auteur : Johan Heliot
Couverture : Flamidon
Éditeur : J’ai LU (édition originale : J’ai Lu, collection « Nouveaux Millénaires )
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 10 300
Pages : 248
Format (en cm) :10,5 x 17,3
Dépôt légal : mars 2013
ISBN : 978-2-290-06986-8
Prix : 6 €



Johan Heliot sur la yozone :

- La critique de la Trilogie de la Lune
- La critique du roman « Ordre noir »
- La critique de « Les Fils de l’air »
- La critique de « Secret ADN »
- Un entretien avec Johan Heliot


Hilaire Alrune
14 janvier 2014


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