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Évariste
Olivier Gechter
Asgard, fantastique, 423 pages, novembre 2013, 20 €

La vie n’est pas simple pour le jeune Évariste Cosson, qui vient tout juste de fonder dans les quartiers de la défense la start-up Évariste Cosson Consulting, cabinet d’ingénierie en occultisme industriel et commercial. Pas simple parce qu’il démarre et qu’il a bien du mal à joindre les deux bouts, pas simple parce qu’il souffre d’un défaut chronique de confiance en lui, pas simple parce qu’il est en butte aux railleries des start-up voisines qui, soit dit en passant, ne valent guère mieux. Mais il a les dents longues et la volonté farouche de réussir. Aussi, lorsqu’on lui demande de jouer les chasseurs de têtes et de recruter des individus pourvus d’aptitudes paranormales, se lance-t-il à corps perdu dans une aventure qui lui réservera bien des surprises.



« Pour moi, la différence qu’il y a entre le vaudou et les théories lacaniennes, c’est que le vaudou, ça marche. »

Le contrat arrive à point, et sa cliente lui plaît sur tous les plans. Aussi Évariste ne ménage-t-il pas ses efforts pour trouver de bons extra-lucides. Mais ceux-ci sont rares, atypiques, et souvent totalement désocialisés en raison de leurs dons. Rendre un punk à chien présentable, amadouer une mère désespérée afin d’embaucher sa fille autiste ne sont pas vraiment des sinécures. Surtout si l’on tient compte du fait que la première personne contactée, la démente Madame de l’Afféterie, du Cercle des Arts Télesthésiques, non contente de refuser ses services à Cosson, lui a en sus déclaré une guerre où tous les moyens sont permis. Dès lors, elle lance ses hommes de main sur le jeune Évariste, dont l’infâme et méphistophélique Viktor Corlax, parodie jubilatoire de tous les « méchants » classiques du domaine de la fiction.

« Côté clients potentiels, une vieille dame m’avait supplié de l’aider à retrouver son chat dans l’au-delà. Je dus l’interroger plusieurs minutes avant d’être sûr qu’elle ne parlait pas d’euthanasie. »

Mais Évariste Cosson ne perd pas le nord. Si le contrat en cours, en sus de lui apporter maintes occasions de passer lui-même ad patres, lui permet de se remettre à flot sur le plan financier, il n’en délaisse pas pour autant les petits boulots accessoires, quitte à les déléguer à son nouvel associé Gidéon Bomba, le sorcier Chimbu, lorsque ce dernier n’est pas lui-même prisonnier de l’infâme Corlax, ou poursuivi par des golems lancés à ses trousses.

« C’est l’inconvénient d’être un occultiste de bon niveau : le moindre orgasme vous envoie le corps astral sur orbite. »

Grâce à l’aide non négligeable de deux amis antiquaires et un peu sorciers appartenant au club fermé des bicentenaires, Aimé le Rond d’Alembert, neveu du fameux encyclopédiste et Stanislas Grgiz (prononcez Gueurguitch) qui a connu Raspoutine, Évariste Cosson parvient à échapper à divers traquenards, à obtenir de nouveaux contrats comme la neutralisation des artefacts magiques des collections du Musée Branly, et même, cerise sur la gâteau, à devenir l’amant de sa principale cliente. Est-ce bien éthique ? Il se trouve que la mère de ladite cliente, elle-même voyante à ses heures, le lui avait prédit. Eh bien, si tel est le destin… il y a des fatalités auxquelles il est doux de se résigner.

« Au fond de la salle, une vieille actrice racontait sa vie à une victime de la thalidomide qui buvait sa bière avec les coudes. »

Aucun temps mort, donc, pour Évariste Cosson qui se décrit de surcroît, et à juste titre, comme « prisonnier à temps partiel du nexus temporel d’un café vietnamien. » Un café bien étrange dans lequel il va, à intervalles réguliers, consommer éternellement le même café-crème indigeste et immonde en compagnie de personnages inaccessibles, englués dans d’autres strates de temps. Mais la solution aux mystères émaillant les aventures de notre conseiller en sciences occultes ne viendrait-elle pas de la sagesse de pacotille que maître Qwan, le tenancier, dispense à travers de la fausse poésie, des sentences incompréhensibles et des haïkus peut-être prémonitoires ?

On l’aura compris : on s’amuse bien en compagnie d’Évariste Cosson, personnage picaresque, débrouillard, bon vivant, légèrement obsédé, et pourvu d’un sens de l’ironie à toute épreuve. Qui aura lu le remarquable « Bureau des atrocités » dans lequel Charles Stross mêlait habilement horreur lovecraftienne et ironie permanente d’un fonctionnaire britannique ne manquera pas de considérer Cosson comme le pendant franchouillard et gouailleur de Bob Howard. Car, comme sans y toucher, Cosson passe le monde entier à la moulinette sarcastique, depuis le monde de l’entreprise et les maudits power-points (que Stross n’avait pas non plus épargnés, les transformant même en vecteurs d’entités maléfiques) jusqu’au moindre des us et coutumes de la capitale. Aidé par des fantômes couverts de dettes, qu’il dupe en brûlant pour eux de vieux billets de Monopoly, Cosson pratique le stockage de sortilèges et le « reverse engineering » occulte, bricole des antennes paraboliques à contrer l’énergie mystique, manipule des jauges Aleister permettant de détecter plus facilement les objets maléfiques et finit par révolutionner la science des sortilèges. Pour contrer des ennemis acharnés et inventifs comme l’infâme Viktor Corlax, il fallait au moins ça.

Un roman agréable et qui appelle d’autres aventures

Péripéties et inventions font d’ « Évariste » un roman agréable dont on ne peut que regretter qu’il ait été gâché par le redoutable amateurisme de la maison d’édition, amateurisme qui fait l’objet du post-scriptum ci-dessous. Car avec son humour et son ton particulier, Olivier Gechter a réussi à créer un personnage et une ambiance qui à l’évidence ne demandent qu’à être repris dans d’autres aventures. Il est difficile de ne pas songer, dans un registre voisin, aux romans de Ben Aaranovitch, consacrés aux aventures d’enquêteurs paranormaux à travers Londres, et qui mêlent eux aussi, avec humanité et humour, des ingrédients empruntés au fantastique, au thriller, et au roman policier. Alors, Évariste Cosson bientôt de retour avec Gidéon Bomba, Stanislas Grgiz (prononcez Gueurguitch) et Aimé le Rond d’Alembert ? S’ils reviennent, aucun doute là-dessus : il y aura des lecteurs pour les suivre.

Hilaire Alrune

En guise de post-scriptum : une absence totale de travail éditorial

On s’en voudrait de déconsidérer le travail d’un auteur, à la façon des propos d’un entrepreneur en démolitions du regretté Léon Bloy, mais on ne peut pas passer certains défauts sous silence. Car, hélas, dès les premières pages, ce roman est gâché par une prolifération insensée de coquilles donnant l’impression que le livre a été conçu par des gens pas encore très au fait de l’orthographe. S’il est rare de trouver dans « Évariste » une page sans coquille majeure, il n’est pas exceptionnel que la lecture soit hachée par plusieurs fautes criantes sur la même page. Confusions systématiques entre imparfait et passé simple, entre conditionnel et futur (si souvent retrouvées dans d’autres livres de cette maison d’édition, tout comme le « sensé » au lieu de « censé », ici identifiable en pas moins de dix occurrences, que l’on se demande si la collection ne bénéficie pas des services d’un correcteur dont la fonction serait de rajouter des fautes) ou traits d’union refoulés dans quelque dimension parallèle, pour ne retenir que quelques exemples. S’il fallait ne citer qu’une seule coquille, entre plusieurs centaines, ce serait le très humoristique « garde mangé » dont on ignore s’il désigne l’endroit où l’on stocke la nourriture vomie, une nouvelle forme de constipation particulièrement opiniâtre, ou encore un vigile prédigéré. Il faudra que les éditions Asgard/Midgard/Lokomodo, ou les marchands qui sont derrière, finissent par comprendre qu’on ne vend pas des livres comme des savonnettes et qu’un véritable travail éditorial est indispensable. Car, on est au regret de l’écrire, cette prolifération vertigineuse de coquilles fait d’ « Évariste  » le genre de produit qu’un puriste, au bout de quelques pages, hésitera entre jeter directement à la poubelle et mettre de côté pour aplatir la voûte crânienne de son libraire – car, oui, cela surprendra sans doute certains éditeurs ou prétendus tels, mais il existe encore de vrais livres et de véritables libraires.


Titre : Évariste
Auteur : Olivier Gechter
Couverture : Geoffrey Soudant
Éditeur : Asgard
Pages : 423
Format (en cm) : 15,5 x 23,2 x 3,2
Dépôt légal : novembre 2013
ISBN : 978-2365740067
Prix : 20 €



Olivier Gechter sur la Yozone :
- « La Lettre de refus » dans la chronique d’AOC n° 23


Hilaire Alrune
6 janvier 2014


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