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60 kilos
Ramon Palomar
Prisma, collection Prisma Noir, traduit de l’espagnol (Espagne), policier, 352 pages, novembre 2013, 18,95€

Quand un truand s’enfuit avec soixante kilos de cocaïne, on pourrait penser qu’il court à sa perte. Mais ils sont trop nombreux à se lancer à sa poursuite.



«  Le pyjama de glace du macchabée se fendilla et Gamin acquiesça, satisfait de constater l’utilité de son invention et de sa trouvaille.  »

Don Anselmo Antunez Cabrera, alias Frigo, règne sur un vaste pan citadin du trafic de drogue. Il compte parmi ses employés deux petites frappes, Charli et Gamin, qui, après avoir passé avec succès le « test de la viande congelée » (n’ayons pas la naïveté de croire que les congélateurs ne contiennent que du comestible ), commencent à monter dans la hiérarchie des hommes de main. Trop vite, sans doute : un beau jour, à Porto, après réception d’une livraison importante, Charli met les bouts avec soixante kilos de cocaïne pure : quand on sait qu’un kilo de cocaïne pure peut rapporter jusqu’à soixante mille euros, on imagine la perte pour Don Anselmo. Une perte d’autant plus tragique que l’explosion de la bulle immobilière, précisément le domaine où il avait tant investi, le laisse pratiquement sans le sou. Mais c’est aussi une question de principe : on ne vole pas Don Anselmo.

«  Gamin aurait dû arrêter la coke, et Charli ne savait pas comment le lui dire, bien qu’il eût essayé. Elle lui trouait le cerveau, et le peu de raison qui lui restait s’échappait par l’orifice.  »

Nous avons donc une petite frappe, cocaïnomane à ses heures, partie sur un coup de tête, sans plan préconçu, avec à ses trousses son ancien associé, également ancien militaire et responsable de crimes commis outre-mer sur des civils, et également cocaïnomane. Ne faisant confiance à personne, Don Anselmo lui adjoint Mauro Garcia Nogales, dit Le Requin, ancien légionnaire qui lui n’a jamais tué personne mais a déjà brisé tant d’os pour le compte de Don Anselmo que cela revient au même. On le voit, nous sommes dans un monde plein de douceur et de poésie.

«  Il regarda les deux valises contenant les soixante kilos de cocaïne pure. Il les regarda avec l’amour de l’attraction fatale.  »

Mais décidément, quand tout fout le camp... Parce que si Gamin est bien décidé à récupérer la coke, il commence à avoir comme qui dirait l’idée de la récupérer surtout pour lui-même. Et parce que si Mauro n’épargne pas non plus ses efforts, c’est parce que lui et l’une des poules de Don Anselmo (une jeune fille originaire d’outre-Atlantique dont le père, un biker-dealer, a tué involontairement la mère en coupant sa coke avec de la strychnine ) ont décidé de s’envoler avec un maximum de pognon. Et aussi parce que s’il y en a un qu’on ne remarque jamais, c’est bien le comptable de Don Anselmo qui voudrait bien, un jour au l’autre, refaire sa vie. D’alliances improbables en complicités fatales, les choses s’annoncent mal pour beaucoup de monde.

«  Pourtant, c’était lui, Gamin, qui se trouvait à l’épicentre de l’hécatombe, et il ne savait que faire.  »

Les choses s’annoncent d’autant plus mal que l’amour s’en mêle. Charli cherche, fortune faite, à refaire sa vie avec Susana, une prof d’anglais trash sado-maso avec laquelle il a eu une liaison, et Gamin avec une jeune fille (toxicomane également) d’origine angolaise. On voit mal comment de tels sentiments pourraient ne pas les conduire à leur perte. Quant à Mauro, alias « Le requin », il décide de faire affaire avec un de ses anciens supérieurs de la Légion, du côté de Tanger. Et pour corser le tout, Don Anselmo, qui finit par comprendre que tout le monde cherche à le flouer, fait appel aux tueurs de Salvador Perez Castillejo, alias Le Marquis, un de ses anciens ennemis. Quand on voit un tel panier de crabes, et la traque qui s’engage de Porto à Madrid, Valence, Tanger, Tarifa et Algésiras, on se demande bien qui finira par survivre.

«  Ils entrèrent dans le salon, allumèrent leur première cigarette, se préparèrent à boire et se racontèrent leur vie, l’histoire de leurs existences errantes, déstructurées, dysfonctionnelles, martiennes, marginales, personnelles, troublées.  »

Ramon Palomar s’y entend pour rendre crédible la schizophrénie de personnages aux passés à la fois miteux et chargés, que la drogue ou l’oscillation perpétuelle de l’humeur transforme tour à tour en épaves ou en gangsters flamboyants, en individus tantôt conscients, jusqu’à l’abîme, de leur caractère de looser, tantôt persuadés, coke ou remontée du moral aidant, qu’ils sont les véritables acteurs et héros de leur vie, et qu’ils ne manqueront pas de l’emporter sur les autres, et sur tout le reste. Mais leur soif de vengeance, parfois totalement disproportionnée, sinon même pathologique, et qui, pensent-ils, prouve qu’ils sont fondamentalement des vainqueurs, apparaîtra comme l’un des éléments les plus dangereux de toute cette histoire. Et c’est en définitive le destin, et le destin seul, qui décidera de ce qu’ils sont vraiment.

Le destin, et lui seul : car les circonstances qui, de manière inexorable, ont fait de ces individus ce qu’ils sont, aboutiront également à leur perte. Quand les uns traquent les autres, le moindre détail prend toute son importance et devient rouage de l’inexorable mécanique de la fatalité. Une bribe de confidence jamais oubliée par celui qui l’a entendue, un individu figurant sur une photographie, la faiblesse de l’un, de l’autre, ou même d’un tiers, tout va concourir à transformer – on le devine dès le début – la plus grande partie des protagonistes en viande froide.

«  Il vit des têtes exploser et le sang du comptable et de son tondu arroser les paquets de coke et les liasses de billets.  »

Avec « 60 Kilos  », la collection Prisma Noir (le souffle des polars d’ailleurs) nous deale, outre ses lourdes valises de coke, un monde sinistre où chacun, en cherchant à se tailler une place au soleil, ne fait guère que se précipiter vers les ténèbres. Galerie de personnages à la fois terrifiants et pitoyables, à la fois tragiques et sans scrupules, à la fois dépravés et désireux de trouver une vie meilleure, « 60 kilos » tient ses promesses. Ramon Palomar met en place une mécanique rôdée, lubrifiée à l’aide d’une huile dans laquelle viendront l’un après l’autre, quasiment jusqu’au dernier, déraper les acteurs et protagonistes. Au total, taillé en soixante-huit chapitres courts et percutants, un roman noir de chez noir qui, à défaut de réconcilier le lecteur avec le genre humain – mais ce n’est pas vraiment ce que cherche l’amateur de ce type de récit – en propose une vision pas résolument optimiste. Pour l’auteur espagnol Ramon Palomar, un premier roman, rythmé, sans longueur, qui se lit facilement, et dont l’objectif apparaît pleinement atteint.


Titre : 60 Kilos (Sesenta kilos, 2013)
Auteur : Ramon Palomar
Traduction de l’espagnol (Espagne) : Marianne Millon
Couverture : Igor Therekov
Éditeur : Prisma
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 352
Format (en cm) :14 x 24
Dépôt légal : novembre 2013
ISBN : 978-2-8104-0472-8
Prix : 18,95 €



Hilaire Alrune
11 décembre 2013


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