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Mémoire Vagabonde
Laurent Kloetzer
Mnémos, Dédales, roman (France), post-fantasy, 317 pages, janvier 2014, 20€

Jaël de Kherdan est un auteur à succès, succès dont il use auprès des femmes, prenant pension chez les plus mûres et les mieux installées dans le beau monde, séduisant les plus jeunes et naïves, quoique, les autres aussi.
Mais une vilaine affaire d’honneur et une pointe de jalousie le conduisent à un duel, et sa défaite, troublante, le pousse à reprendre la route pour Dvern, ancienne grande cité impériale aujourd’hui plus périphérique, loin de contrées où ses livres s’arrachent et où son seul nom lui ouvre toutes les portes.
Accompagné de son valet aux manières un peu trop familières, Jaël va tenter de remonter la pente dans cette nouvelle ville, d’y trouver un protecteur le temps de toucher ses droits d’auteur.
Mais cette société semble régie par des codes qui lui échappent. Et comme si cela ne suffisait pas, Jaël est atteint d’un mal étrange de plus en plus fréquent : une sorte de dédoublement de personnalité. Sa mémoire lui joue des tours, et il s’en réfère de plus en plus souvent à sa prose, ses « Mémoires vagabondes » dont il rédige le second tome. Quel Jaël est aux commandes de son corps ? Le « vrai » ou celui de ses histoires un peu enjolivées ? Sont-ils une seule personne ? Et lui, qui est-il vraiment dans tout cela ?



La valeur de « Mémoire vagabonde » tient, au-delà de l’indéniable plume de Laurent Kloetzer, à un fond envoûtant et à une forme troublante. L’auteur cherche à nous perdre comme il perd son héros.

Après une défaite et une fuite penaude (fort similaire à l’incipit de « Petites morts », mais j’y reviendrai), Jaël part pour Dvern. La vieille cité cache en son cœur une société de masques, un autre niveau de jeux de pouvoir, basé sur la possession d’une drogue, l’Amance. Société que Jaël, pour les dettes et les engagements contractés depuis son arrivée, va être contraint de fréquenter. Société où les uns et les autres, notamment son employeuse et ses deux enfants, vont user et abuser de son sens du chevaleresque et de ses talents d’épéiste. À moins qu’il ne s’agisse là de talents du Jaël de Kherdan des Mémoires Vagabondes.

Car Jaël a des trous de mémoire. Il a la sensation que dans ces moments où il est, ou doit être, lumineux, merveilleux, héroïque, c’est n’est pas tout à fait lui, c’est son personnage qui apparaît. Se transcende-t-il dans ces instants-là ? Ou bien un autre lui, celui de son auto-fiction, de ses aventures enjolivées, magnifiées, prend-il le dessus ? Et qui écrit les Mémoires vagabondes ? Lui ou l’autre ?

Entre les effets de l’Amance et son propre mal, tout le roman joue sur la notion de réalité, de vérité, l’opposant au rêve, au désir d’être autre chose. Des questionnements intimes de Jaël aux masques vénitiens de la Petite Dvern, s’accumulent secrets et mensonges, faits à soi-même ou aux autres. Une mascarade qui finira par prendre fin dans le sang et l’ambition très matérielle des certains protagonistes, mais par des voies et des moyens empruntant aux mythes et à l’onirisme.

Le roman se finit sur une boucle, laissant planer le doute sur la réalité de tout cela. Laurent Kloetzer redouble ce jeu de miroirs dès les premières pages de Petites morts, avec cette fois un Jaël à cheval sur deux réalités et deux mondes, dont le nôtre. Pour moi qui n’avais pas lu « Mémoire Vagabonde »,« Petites morts » avait été un choc, une expérience un peu violente. « Mémoire Vagabonde » adoucit quelque peu l’entrée en matière, mais ne se limite pas à une simple fantasy historique light aux accents de Renaissance, mais impose un vertige digne du carnaval de Venise, un déferlement de passions et d’interdits, de pièges et de faux-semblants, d’illusions auxquelles lecteur comme personnages ne demandent qu’à croire.

Une édition définitive à ne pas manquer, et la meilleure porte d’entrée dans l’univers de contrastes de Laurent Kloetzer.


Titre : Mémoire vagabonde (édition définitive)
Auteur : Laurent Kloetzer
Couverture : Isabelle Jovanovic
Éditeur : (édition originale : Mnémos, 1997 et 200X)
Collection : Dédales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 317
Format (en cm) : 21 x 15 x 2
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 9782354081706
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
23 février 2014


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