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Grande Route du Nord (La)
Peter F. Hamilton
Bragelonne, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 524 pages, octobre 2013, 25€

Un nouveau monde futur très proche de celui du Commonwealth. Dans celui-ci, les portails spatiaux n’ont pas été mis au point par Ozzie Fernandez Isaacs au vingt-quatrième siècle, mais dès le vingt-et-unième siècle par un chercheur du nom de Wan Hi Chan. L’Humanité se lance à l’assaut des étoiles ; les États-Unis, la Russie, la France, le Japon, d’autres pays encore colonisent de nouveaux mondes. Si l’on découvre sur ces planètes bien des richesses, on n’y trouve aucune forme de vie intelligente. Pourtant, en 2092, une horreur venue de l’espace, d’une nature impensable, attaque les colonies. Et en 2143, année où commence « La Grande Route du Nord », des soupçons naissent quant à l’existence d’une autre entité extraterrestre, plus sournoise, non plus sur les marges du monde, mais dissimulée dans la population elle-même.



Un monde futur hyper technologique, un meurtre incompréhensible

Si « La Grande Route du Nord » a pu être présentée comme faisant partie, comme la Trilogie du Vide et la Tétralogie de Pandore, de la vaste saga du Commonwealth, cette affirmation n’est donc pas tout à fait exacte. L’auteur ne laisse d’ailleurs planer aucune ambigüité sur le sujet puisqu’il définit ce roman comme un “stand-alone novel”. Pourtant, à l’exception des détails cités ci-dessus, on pourrait en effet avoir l’impression, puisque chronologiquement l’on est 237 ans avant le début du cycle de Pandore, d’être dans un Commonwealth encore embryonnaire.

Un Commonwealth embryonnaire, peut-être, mais surtout parallèle. Si la technologie des portails interplanétaires est née beaucoup plus tôt, la science a par ailleurs pris des directions différentes. Ainsi les techniques d’enquête et de surveillance sont-elles totalement différentes, grâce, par exemple, à cette étonnante technique du « maillage » à partir de particules ubiquitaires répandues dans l’environnement. Ainsi les augmentations et améliorations corporelles sont-elles générées par de minuscules implants intelligents, et les techniques de rajeunissement, à base de cures génétiques, n’en sont-elles encore qu’à leurs balbutiements.

C’est donc dans ce monde à la fois familier et différent que débute l’intrigue. Un membre de la dynastie des North, richissime lignée obtenue, après tâtonnements, par manipulations génétiques, et à la tête de l’importation d’un biocarburant économiquement crucial depuis la lointaine planète St Libra, est retrouvé assassiné à Londres. Le modus operandi stupéfie : il est le même que celui qui, vingt ans plus tôt, a abouti au massacre de plusieurs membres de la même famille, dans une villa hautement sécurisée sur la planète St Libra. Et il surprend d’autant plus que l’assassin présumé, une jeune femme du nom d’Angela Tramelo, est emprisonnée depuis plus de vingt ans. Une jeune femme qui a toujours clamé son innocence et défendu une thèse indéfendable : les North auraient été massacrés par une entité extra-terrestre.

Une intrigue complexe

L’inspecteur Sidney Hurst en est persuadé : l’affaire est trop énorme pour lui, on lui retirera l’enquête dans les vingt-quatre heures. Mais, à son grand étonnement, on lui en laisse la charge. Un cadeau empoisonné, sans doute. Parce que si la famille North bien évidemment s’en mêle, c’est aussi le cas de la toute-puissante Association pour la Défense de l’Humanité, en charge de la lutte contre une entité terrifiante aux marges du cosmos, qui décrète que le meurtre, de par ses similitudes avec ceux commis vingt ans sur St Libra, pourrait être d’origine extra-terrestre. Un postulat dément qui repose sur des bases trop fragiles pour ne pas être suspect. Hurst en est persuadé : le meurtre relève des rivalités entre empires industriels. D’autant plus que la pègre locale semble largement investie. Ce crime pourrait-il être couvert et dissimulé par les instances les plus puissantes ? Mais pour quelle raison ?

«  L’impact de la réalité : c’était le nom que les psys donnaient à ce phénomène. La prise de conscience soudaine de l’immensité du Zanth. Face à un ennemi d’une telle dimension, l’âme humaine se recroquevillait en gémissant . »

En toile de fond, très loin sur les marges de l’espace exploré, se livre une guerre terrible. Le Zanth, une entité incompréhensible, déchire des morceaux d’espace-temps, détruit des planètes entières. Une singularité physique, une aberration quantique, mais aussi, peut-être, une intelligence : les mondes humains semblent l’attirer tout particulièrement. Et sa manière de procéder, par contamination, par transformation, n’est pas sans évoquer quelque abomination à la Howard Philips Lovecraft. Sorti de cette toile de fond, Ravi Hendrick, ex-pilote de combat d’aéronefs engagé dans la lutte contre le Zanth, est affecté comme pilote d’hélicoptère à l’exploration de la jungle de St Libra.

«  La jungle extra-terrestre s’étirait à l’infini dans toutes les directions, végétation glauque et touffue qui s’accrochait à toutes les collines et ravines, plantes qui possédaient une vitalité unique, étouffant les cours d’eau jusqu’à les transformer en marais, flanquant les rivières profondes et les rapides de véritables falaises vertes.  »

Biologiquement, St Libra est une singularité. La vie n’y existe que sous forme végétale. Les plantes y déploient des trésors d’ingéniosité pour se passer de toute autre forme de vie, comme, par exemple, les insectes pollinisateurs. Mais la planète, aux continents multiples, n’a jamais été intégralement explorée. Les scientifiques pensent donc qu’elle a pu être le lieu d’une « évolution enclavée », à la manière des schistes de Burgess (le lecteur intéressé par ce phénomène lira avec profit « La vie est belle », passionnant essai de Stephen Jay Gould). Il faut en avoir le cœur net : des équipes investiront la jungle à la recherche d’une variation génétique suspectée par la toute-puissante ADH.

C’est donc sur St Libra que s’achève le roman. Les équipes de militaires et de xénobiologistes établissent des camps de plus en plus profondément dans la jungle. Mais on y meurt beaucoup, et l’on y meurt surtout de manière inexplicable. Pire encore, on ne meurt, semble-t-il, que dans l’environnement proche d’Angela Tramelo, sortie de prison et emmenée avec l’expédition en tant que consultante. Une Angela Tramelo qui de toute évidence semble être bien plus que ce qu’elle paraît. Mais d’autres personnages aussi... Angoisse et suspense ne font que croître. Hélas, l’on n’en saura plus que dans le volume suivant.

Du pur Peter F. Hamilton

On retrouve dans « La Grande Route du Nord  » la plupart des “constituants génétiques” de l’œuvre hamiltonienne. Un monde futur, des progrès scientifiques et une enquête policière, l’implacable l’obstination de Sydney Hurst évoquant celle de la fameuse Paula Myo du Cycle de Pandore. Mais aussi un monde en colonisation recouvert de jungle – on pensera par exemple au premier tome du cycle de l’Aube de la Nuit – et des combats spatiaux contre un ennemi colossal, là aussi comme dans la Tétralogie de Pandore. On retrouve également les inévitables sectes de cinglés ou de religieux, les Adorateurs du Zanth, les Gardiens de l’Évangile qui noyautent l’Alliance pour la Défense de l’Humanité, et même Zébédiah North, survivant du massacre survenu vingt ans plus tôt, qui semble reconverti dans un bien curieux combat pour l’écologie de l’environnement de St Libra, tous éléments qui ne sont pas sans évoquer les deux cycles de l’auteur se déroulant dans le Commonwealth. Et ne parlons pas d’Angela Tramelo, séductrice à la détermination implacable, bien au-dessus pourtant des fantasmes adolescents des divertissements bas de plafond, personnage mystérieux, aux capacités sans doute un peu plus qu’humaines, et typique elle aussi de l’œuvre hamiltonienne, comme le sont la Mellanie Rescoraï du cycle de Pandore ou l’Araminta de la Trilogie du Vide.

Sur le plan scientifique, comme souvent chez Peter F. Hamilton, tout reste très vague. Le mode de fonctionnement des portails spatiaux demeure inconnu, on ignore quelles sont les modalités des cures de rajeunissement génétiques, la nature physique, « quantique » du Zanth est mentionnée comme en passant – il n’en est, il est vrai, que plus terrifiant. Quant aux manipulations génétiques à l’aide desquelles les North ont créé leur lignée, leur description très succincte prête à sourire. Sur ce plan, et depuis ses débuts, l’auteur a toujours été honnête : il ne cherche ni à faire de la hard-science, ni à en imposer au lecteur. Les progrès scientifiques ne sont là que pour servir l’intrigue.

Il est délicat de donner un avis définitif au sujet d’un ouvrage composé de deux tomes dont on n’a lu pour l’instant que le premier, mais l’on connaît suffisamment l’auteur pour deviner que les quelques lacunes qui ici et là subsistent seront rapidement et astucieusement comblées. Les romans de Peter F. Hamilton, on le sait, sont denses, fouillés, profus ; pas de retournements de situation à chaque chapitre, pas de rythme trépidant mais la tension quasi-permanente d’une mécanique parfaitement huilée, et la mise en place, méticuleuse et progressive, d’une nuée d’éléments en apparence disparates, d’intrigues et de personnages secondaires – du moins le croit-on – qui tous auront en définitive leur importance, et après avoir convergé s’emboîteront à la perfection. Une profusion de détails qui justifie la présence d’un index des principaux personnages, d’une chronologie des temps futurs, et d’une carte du monde de St Libra, laquelle présente suffisamment d’îles, de continents, de colonies pour orienter l’aventure vers des directions inattendues. En attendant la parution du second tome, prévue pour le premier semestre 2014, les amateurs du genre auront déjà passé un bon moment de lecture dans cet habile mélange de space-opera, de cyberpunk, de polar/thriller et de récit d’aventures, dans cette profusion de mystères servie par le talent de romancier et de feuilletoniste de Peter F. Hamilton.


Titre : La Grande Route du Nord (Great North Road, 2013)
Auteur : Peter F. Hamilton
Traduction de l’anglais ( Grande-Bretagne) : Nenad Savic
Couverture : Fred Augis
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 524
Format (en cm) : 15,2 x 23,6 x 3,3
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 978-2-35294-678-6
Prix : 25 €



Peter F. Hamilton sur la yozone :

Peter F. Hamilton sur la Yozone :
- La trilogie du vide
tome I « Vide qui songe »
tome III« Vide en évolution »
- La tétralogie de Pandore
tome I « Pandore Abusée »
tome II « Pandore menacée »
tome III « Judas déchaîné »
- La trilogie Greg Mandel
tome I « Mindstar »
tome II « Quantum »
tome III « Nano »
- Un volume de nouvelles
Manhattan à l’envers


Hilaire Alrune
31 octobre 2013


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