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Panopticon
Nicolas Bouchard
Mnémos, Dédales, roman (France), uchronie, 312 pages, mars 2013, 19€


L’avis d’Hilaire Alrune

Nicolas Bouchard, que l’on connaît pour des thrillers ou des polars historiques (la trilogie limougeaude), des romans de science-fiction (« L’Étoile flamboyante ») et des récits de fantasy (la trilogie de « l’Empire de poussière » qui ressort actuellement en poche), expliquait dans un entretien accordé il y a quelques années à la Yozone qu’il ne raisonnait pas en termes d’étiquettes et ne cherchait pas à dissocier les genres, mais avait au contraire plutôt tendance à les intriquer, et notamment à instiller des éléments fantastiques dans ses enquêtes policières. De cette fusion des genres, « Panopticon » apparaît comme une illustration supplémentaire : ni exclusivement thriller, ni exclusivement aventures historiques, ni exclusivement fantastique, le roman relève un peu de ces trois genres, mais contient d’autres ingrédients encore.

« Je suis un honnête serviteur de Dieu, milord, et, je vous le jure, c’est comme si on avait brisé un des sceaux de l’Apocalypse et qu’une des bêtes monstrueuses dépeintes par l’Evangéliste nous attaquait. »

Tout commence à Londres en 1820, au King’s Theatre : lors d’une représentation, des monstres épouvantables, surgis de nulle part, terrorisent la foule et suscitent des mouvements de panique. Les uns après les autres, les gardes du corps du premier lord du Trésor (équivalent britannique du premier ministre et chef du gouvernement), sir Robert Banks Jenkinson, sont assassinés. Par bonheur Cyrus Reed, policier particulièrement affûté, comprend que les créatures infernales ne sont qu’illusion, identifie l’assassin, puis le capture. Mais ce dernier, depuis sa prison, ne fait que générer des visions terrorisant jusqu’aux gardiens les plus endurcis.

La police décide alors de faire appel à l’un des sages parmi les sages, le très âgé Jeremy Bentham (que les historiens et architectes, dans le monde réel, connaissent surtout pour son projet de prison idéale, le fameux Panopticon) qui, après avoir interrogé le jeune délinquant et entendu son extraordinaire histoire, n’hésite pas un instant à se lancer dans un périlleux voyage à travers l’Europe, qui, de Hambourg à Trieste et au-delà, en passant, entre autres, par les Carpates et la Moravie, l’emportera à la poursuite des commanditaires de cette tentative d’assassinat. Il ne manquera pas de découvrir bien des choses étranges : d’autres enfants ayant semblé grandir hors du monde, dans des environnements impossibles, dotés de pouvoirs extraordinaires, avec lesquels il poursuivra sa quête, malgré embûches et guet-apens, pour éviter un autre assassinat, celui du prince de Metternich, et mettre un terme aux agissements d’un mystérieux « homme noir » à l’origine de toutes ces diableries.

En mettant en scène les dangers des pouvoirs conférés à des êtres humains, et, en parallèle, ceux générés par la méconnaissance du monde et des lois morales qui – peut-être – le régissent, Nicolas Bouchard pose à travers son aventure toute une série de problèmes philosophiques qui font écho à ceux de l’époque, et ne manque pas non plus d’évoquer, sans les nommer ouvertement, bien des classiques – ainsi pensera-t-on immanquablement à la caverne de Platon, aux idées rousseauistes, et à bien des interrogations et débats des Lumières.
En imaginant le conditionnement de l’humain et le façonnement de l’être, il effleure également des questions qui trouvent plus d’une résonance dans le monde contemporain. Mais, si l’on en reste au passé, il présente aussi, avec aplomb, l’aspect glacé des expérimentations humaines comme un contrepoint, plus sinistre encore, aux excès de la Révolution et des guerres napoléoniennes.

A la croisée des genres

Ce « Panopticon » pourrait donc, en définitive, être qualifié de « fantaisie historique » un peu sombre, loin de toute fantasy, loin du steampunk dont l’on retrouve certains traits (l’époque, la réutilisation de personnages historiques dans un passé alternatif, la revisitation de théories scientifiques), voire même de « fantaisie historico-philosophico-scientifique. »

Si l’on peut reprocher à Nicolas Bouchard de se contenter d’une prose purement fonctionnelle, alors que bien des situations et des lieux (à commencer par la célèbre prison de la Fleet) méritaient des efforts de style, si l’on peut lui reprocher quelques approximations grammaticales (cf. ci-dessous), et regretter que l’ouvrage ne soit pas agrémenté d’une carte du périple (tout le monde n’est pas familier de la géographie de l’Europe du début du dix-neuvième siècle), on reconnaîtra de nombreuses qualités à l’ouvrage, à commencer par un rythme tendu et certaines habiletés de construction, comme l’intégration de la narration individuelle d’Iepistimia dans l’intrigue. On appréciera également les extraits – réels ou apocryphes – de l’œuvre posthume de Bentham ou de la correspondance de Stendhal, et les amateurs de mots rares et précieux feront leur régal de ce « phantasiéxoussisme » attribué au magnétiseur Hénin de Cuvillers, vocable dont nous confessons ne pas savoir s’il fut effectivement inventé par ce savant ou s’il est dû à Nicolas Bouchard lui-même.

On goûtera, dans ce roman, le soin apporté aux aspects historiques – non seulement le contexte, mais aussi, par exemple, la politique, les détails vestimentaires, les moyens de locomotion de l’époque. On appréciera également de retrouver, soit comme personnages, soit simplement cités, toute une série d’individus bien réels dont la présence contribue à crédibiliser l’ensemble et à lui donner une densité véritable : Jeremy Bentham lui-même, mais aussi des théoriciens du magnétisme comme le baron Étienne Félix d’Hénin de Cuvillers et Joseph Custodio da Faria ; ou encore Heine, Stendhal, Fouché, ou le prince de Metternich, pour ne citer que les plus connus. Enfin, cerise sur le gâteau, Nicolas Bouchard nous apporte en épilogue une explication possible au mystère de Gaspard Hauser, mythe littéraire s’il en est puisque de nombreux auteurs du genre se sont penchés sur cette énigme, par exemple René Sussan avec Le mythe de Prométhée.

Notons, pour finir, que les éditions Mnémos ont fait pour la couverture un choix éloigné des canons criards du genre. En recourant à une illustration classique (l’auteur non crédité, est en fait Willey Reveley, en charge, dans les années 1790, des plans et dessins des conceptions de Bentham), elles ont su donner à ce « Panopticon » une allure à la fois élégante et sobre qui en fait un magnifique volume

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Grammaire et coquilles

L’avis de Nicolas Soffray

Début XIXe, Londres. Un attentat est perpétré contre le chef du gouvernement : un homme sème la pagaille au Royal Theater en faisant apparaître des créatures chimériques. Une fois capturé, il n’est pas neutralisé pour autant, aussi fait-on appel au psychologue Jeremy Bentham pour comprendre comment il fait ces choses.
Le vieux professeur, ayant réussi à communiquer avec lui, réalise que quelque part, un cerveau malade a créé ce pouvoir en infléchissant la réalité aux yeux du jeune homme. Remontant la piste jusque sur le continent, en proie aux bouleversements post-napoléoniens, il va rencontrer d’autres « prodiges » de ce genre : Sérafim, un jeune homme apparemment aveugle mais capable de « sentir » le monde (et d’aveugler, pour le coup, ses éventuels agresseurs), Pavlina, une jeune femme revenue à l’état sauvage au sens de la douleur complètement perverti, et Iepistimia, qui possède toutes les connaissances écrites du monde.
De l’Autriche à la frontière italienne, Bentham et ses protégés vont tenter d’empêcher les plans machiavéliques de leur créateur de se réaliser : mettre l’Europe à feu et à sang ! Ils feront également la lumière sur ce qu’il leur est arrivé, et comment. Et là-dessus, Bentham semble, tandis qu’ils approchent du but, avoir une idée…

Nicolas Bouchard est aussi prolifique qu’éclectique : fantasy, polar historique, SF. Il produit avec « Panopticon » une sorte de mélange entre fantastique et historique. Du steampunk sans vapeur, mais bien avec ce grain de folie qui rend possible l’impossible. Ici, de jeunes gens traumatisés, éduqués avec une vision déformée de l’univers au point qu’ils développent certaines capacités dans cet autre monde qu’est pour eux la réalité.
La 4e de couverture parle de « super-héros ». Terme impropre à mon avis, et qui m’a frappé par la suite. Pour l’avoir lu avant publication (et donc sans cette fameuse 4e)(mes excuses à tous : les coquilles relevées ci-dessus par mon collègue m’ont échappé), il ne m’est jamais venu à l’esprit. Peut-être justement parce que ce n’est pas une époque de super-héros ? J’ai en mémoire le comics « Marvel 1602 » signé Neil Gaiman (2004), qui replace les principaux X-men et autres Marvel à cette époque charnière, et là aussi le terme ne vient pas de soi.
Parce qu’il y a « héros », et que les personnages de Nicolas Bouchard ne font rien d’héroïque. Comme beaucoup d’X-men, ils semblent dès le début plus esclaves de leur pouvoir que réellement maîtres, quand bien même ils vivent bien avec : le monde autour d’eux est différent, les oblige à l’anonymat, ou les rejette. Ils sont des monstres. Boucle bouclée, on en revient à la terminologie intemporelle autour de l’Autre, du Différent.

Le roman est du reste aussi sombre que cette époque soi-disant de lumières mais où l’obscurantisme demeure encore sitôt les murs des villes franchis ou le soir tombé. La civilisation n’existe que dans les grandes métropoles. Autour, les ghettos, la misère, la crasse. Plus loin, les campagnes, le froid, la nuit, la peur. Bouchard le fait transparaître tant dans l’action que dans sa narration, sans fioritures ni grandiloquence. Un style d’une redoutable simplicité. On aimerait vibrer sur des phrases ciselées, capables à elles seules de dessiner un univers, mais la prose est ici ô combien aussi accrocheuse dans son économie d’effets de langue, car elle ne rebutera pas le lecteur néophyte, peut-être réticent de ne savoir où il met les pieds, puis happé par l’aventure et la fantasmagorie.

Tout comme ce qu’ont subi ses héros, « Panopticon » est une expérience étrange, effleurant différents genres, en appelant par sa forme au feuilleton et au récit d’aventures moderne, brassant les idées des Lumières sur l’âme, la raison et la psyché, les espoirs sur les miracles qu’elles pourraient produire, les peurs sur ce que certains en ont fait.


Titre : Panopticon
Auteur : Nicolas Bouchard
Couverture : UCL Libray
Éditeur : Mnemos
Collection : Dédales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 312
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 2,6
Dépôt légal : mars 2013
ISBN : 978-2- 35408-154-6
Prix : 19 €



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