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May le monde
Michel Jeury
Le Livre de Poche, n° 32871, science-fiction, 470 pages, janvier 2013, 7,60€

May est une petite fille atteinte d’une maladie que l’on devine incurable, qui vit dans une sorte d’enclave en bordure de forêt, la maison-ronde, entourée de quelques voisins, dont Roussette, de son grand-père, et bientôt rejointe par Anne la toubab arrivée avec Thomas, Lola et Nora. On devine que ce lieu, ces personnes ne sont là que pour aider May dans ses derniers moments. On attend les résultats des dernières analyses de May ; ils tardent, ils arrivent, ils seraient ininterprétables. Mais c’est le monde de May tout entier, et même les mondes voisins, qui apparaissent bientôt ininterprétables.



« Qu’est-ce qu’on apprend de plus dans une vie comme celle-ci ? À être un peu autre en restant soi-même. (...) C’est nécessaire aussi avant de s’élancer dans la chaîne des mondes. On s’entraîne à subir le changement sans perdre tout à fait la mémoire de soi. »

Le récit est narré d’une part dans ce monde de 2022, celui de May, qui apparaît comme un univers parallèle au nôtre. D’autre part, on découvre le monde en marge du temps d’Isabella – infirmière et sans doute avatar de May elle-même – atteinte de la fièvre X, souffrant d’une dissociation de personnalité, et risquant de rester figée dans une phase nommée délirose. Le troisième monde nommé monde 2 de 2030 est celui de Judith, autre avatar de May sinon sa propre mère. Il y a aussi Mark dans le monde 3, à une époque incertaine, le Dr Goldberg dans les mondes du changement, et beaucoup, beaucoup d’incertitudes autour de l’ensemble ; on ne s’étonnera donc pas de trouver en fin de volume un chapitre dans le monde en décohésion. Si l’on est dans une série d’univers à mi-chemin entre le réel et l’onirique, un peu à la manière du remarquable « Entrefer » de Iain Banks, la structure globale du multivers mis en place par Michel Jeury est beaucoup plus floue. La science, il est vrai, n’y a en définitive que peu de place, et l’on se retrouve confronté à des éléments plus mystiques, et à d’incompréhensibles menaces de changement.

« L’univers est infini, May. Infini, avec une infinitude de mondes. Une infiniade d’infinitudes. C’est ce qu’on appelle quelquefois l’Extension  »

Car même si May se trouve pays de l’Eternété, rien n’est figé. Le changement, l’un des thèmes dominants du récit, est là, tapi en embuscade, à la manière de cette panthère recherchée par des hélicoptères et que nul ne parvient à trouver. Un changement que l’on espère et redoute, et qui pourrait bien être le verdict de la biologie, l’issue finale, ou le passage dans un univers parallèle. Il est question du monde de Grandora, où air et eau sont intimement liés, mais aussi d’autres univers, et d’un mystérieux oeuf-monde avec pour reine une non moins mystérieuse Samara Ming. Les références à la physique théorique (un révérend nommé Feynman, la mention répétée des branes relatives à la théorie des cordes) et une tendance dickienne (les changements d’univers, l’apparition à la fin du roman d’un personnage nommé Horselover évoquant le personnage Horselover Fat de « La Trilogie Divine ») rattachent ce roman au corpus des réflexions sur la nature de la réalité et l’existence de mondes alternes ou parallèles où vont et d’où viennent certains protagonistes. Un mégavers, écrit Michel Jeury, dans lequel les personnages ont « d’autres existences qui viennent et s’effacent. »

« Je voudrais que tu écrives pour moi un livre où tu mettras le monde, la vie, la terre, le ciel, l’infini, les gens, les animaux, les anges, tout.  »

L’ouvrage est marqué par une abondance de néologismes, souvent basés sur des contractions ou amputations, (« cuisie » pour cuisine, « jarg » pour jargon, « cinem » pour cinéma, « hypniser » pour hypnotiser ) ou des alternatives pour les termes vulgaires (« thonneries », « enchiter »). Des jeux avec les mots qui hélas montrent bien souvent leurs limites : « la tutin qui suppute », « le fok roll des hélicos lui fiche le blues », « le désert de Nobi » ou encore un magicien qui se nomme « Harry Topper », qui cela pourra-t-il bien amuser ? Malgré des limites aussi évidentes, certains feront l’éloge de cette audace formelle. D’autres souligneront que de telles tentatives ont déjà été faites il y a plusieurs décennies. Quant à l’insertion ici et là d’allusions aux littératures de genre comme « le nom est forêt », les « trifides » ou au détournement de classiques (dans cet univers parallèle, un Paul Anderson auteur de « Peau d’Âme », un Saint Menoux auteur du « Prince enfant »), certains y verront des trouvailles astucieuses, d’autres de simples facilités de potache.

En dépit de ces innovations lexicales, le champ global du vocabulaire apparaît considérablement restreint, les descriptions réduites et superficielles, ce qui est de toute évidence volontaire : l’ouvrage est voulu, pensé, conçu, travaillé comme répondant pour l’essentiel à la vision d’une enfant et de ses multiples avatars. Le style est donc extrêmement simple, marqué par une dominance de dialogues, basé sur des phrases courtes, donnant à l’ensemble un ton souvent haché, saccadé presque, à dominance puérile (au sens étymologique du terme), souvent nerveux tendance énervé, à l’occasion décousu. Un ton maintenu sur près de cinq cents pages, ce qui représente à n’en pas douter une performance d’écriture, mais qui fera aussi sans doute souffrir certains lecteurs. Cette vision enfantine a aussi des avantages : parfois naïve, elle est à l’occasion marquée par un regard poétique, ou par cette profondeur et cette gravité particulières que seuls les enfants peuvent avoir.

En définitive, « May le Monde » laisse donc une impression en mi-teinte. Celui d’une œuvre très personnelle, d’une littérature à tendance expérimentale, d’une science-fiction « parallèle », d’une nouvelle voie entre littérature générale, littérature enfantine, hard-science et poésie. Un livre qui garde au final bien des mystères et sur lequel plane en permanence l’ombre d’étranges « oiseaux-chemises » dont on ne saura rien. « May le Monde » apportera-t-il une pierre importante à la bibliographie de l’auteur ou ne restera-t-il dans les esprits que comme une simple - et souvent ennuyeuse - curiosité ? Ce sera aux lecteurs de décider.


Titre : May le Monde
Auteur : Michel Jeury
Couverture : Studio LGF / Beyond Fotto / Getty Images
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Robert Laffont, 2010)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32871
Pages : 470
Format (en cm) : 11 x 17,7 x 2,1
Dépôt légal : janvier 2013
ISBN : 978-2-253-16969-7
Prix : 7,60 €



Michel Jeury sur la Yozone :
- [La chronique de « La Vallée du temps profond »>4625]


Hilaire Alrune
24 février 2013


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