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Héritier du Temple (L’)
José Luis Corral
Hervé Chopin éditions, roman traduit de l’espagnol (Espagne), histoire, 477 pages, 4e trimestre 2012, 22€

Jacques de Castelnou, vassal orphelin du comte d’Empuries, intègre l’Ordre du Temple dès son entrée dans l’âge adulte. Dernier chevalier d’une génération idéaliste, il va participer autant qu’assister à la fin de l’Ordre, d’abord en Terre Sainte, puis en Europe où Philippe le Bel a décidé de s’emparer des richesses conservées par les soldats de Dieu.



José Luis Corral n’est pas que professeur d’histoire médiévale. Homme de média, il met régulièrement en valeur sa matière à la télévision espagnole, et est conseiller historique pour le cinéma (notamment sur « 1492 » de Ridley Scott). Auteur d’une quinzaine de romans historiques, il est assez peu traduit en français. « L’Héritier du Temple » date de 2006.

Son héros, Jacques de Castelnou, est un vrai personnage de roman. D’abord par sa naissance et sa filiation : une branche paternelle entachée par le catharisme pousse son père à partir laver son nom à la croisade. Sa jeune mère meurt en le mettant au monde. C’est son suzerain qui l’élèvera comme son propre fils, faisant de lui un jeune homme plutôt intelligent, ouvert d’esprit et surtout redoutable épéiste, avant de le confier aux Templiers.
Jacques subit tout le rituel, lent et éprouvant, qui fera de lui un chevalier du Temple. Sans être parfait, il est cependant poussé par un idéalisme, au début proche de la naïveté, qui fera de lui l’archétype du Templier : un respect absolu de la règle et de la hiérarchie. Ce n’est qu’à la fin de sa vie que ses réticences, initialement liées à son humilité, se teinteront de prémices d’opposition. L’expérience parle : les échecs en Terre Sainte, les manœuvres politiques que seul Jacques de Molay, le nouveau maître, ne voit pas s’ourdir contre l’Ordre, les liens qui unissent Philippe le Bel et le pape Clément V, tout cela fait douter Jacques d’une reconquête du tombeau du Christ.
Et comme on lui a confié le trésor de Terre Sainte à la chute de Saint Jean d’Acre, c’est encore à lui, le presque parfait, le plus jeune de la génération des « vrais » Templiers à la foi pure, que sera confié le trésor du Temple, non pas de l’or comme l’espère le roi de France, mais une relique, qu’il devra mettre en sécurité.

Plus qu’acteur, car il est souvent contraint, obéissant aux ordres en bon petit soldat, Jacques de Castelnou est témoin de la fin des Templiers. Témoin idéal : membre de l’organisation, suffisamment reconnu pour assister voire participer aux grands évènements, il est cependant restreint -par la règle- et agit peu sur l’Histoire. Car on est bien dans un roman historique, et le but de l’auteur n’est pas d’en changer le cours. Il ne fait qu’y insuffler un peu d’épique, juste une pincée, car le ton qui domine est celui de la règle, de l’humilité de Jacques, de sa presque neutralité. Archétype et coquille vide à la fois, il voit, nous fait voir, mais ne laisse pas la moindre trace dans l’Histoire.

Le roman historique et la fantasy ne sont guère éloignés, et les Templiers, avec la légende noire qui les accompagne et que José Luis Corral clarifie en fin d’ouvrage, sont une matière apte à enflammer l’imaginaire. Mais l’objectif de Corral est tout autre : loin des best-sellers renchérissant sur les bêtises énoncées depuis 7 siècles, théories du complot et autres chasses éternelles après un trésor fabuleux, il présente les éléments de la vérité historique telle qu’on peut l’établir aujourd’hui. Mais « L’Héritier du Temple » n’est pas un livre d’histoire (Corral a justement écrit une Brève Histoire de l’Ordre du Temple, non traduite), c’est bel et bien un roman, et l’aventure est là pour boucher les trous du passé.
L’amateur de fantasy ne trouvera donc pas ici une grande épopée flamboyante et pleine de panache, mais plutôt une vie, certes peu ordinaire, jalonnée d’aventure et de dangers, mais dont le récit semble cadencé, modéré par le style de vie des Templiers : humilité, encore et toujours. Les talents d’escrimeur de Jacques lui sauveront certes la vie à de multiples reprises, mais jamais il ne s’en vante, pas plus que l’auteur ne s’étend sur un duel, expédié en une ligne, ou une journée de bataille acharnée, narrée en un paragraphe. Ce n’est point l’action, encore moins individuelle, qui prime, mais le collectif, le travail de mois, d’une vie. La distanciation est quasi permanente, donnant au récit un aspect détaché.

La meilleure surprise vient de la lente évolution de la mentalité de Jacques. Face à un ordre rigoureux et très encadré, et tandis que sa voix est de plus en plus écoutée, ses soupçons, maintes fois répétés (on se lasse avant lui de l’aveuglement de Molay), restent lettre morte. Et donc son esprit critique s’éveille, s’enrichit, expérience après expérience, il se débarrasse des lambeaux de foi aveugle qui l’habillait à son entrée au Temple. plus que les échecs en Terre Sainte, c’est la politique, dont il devient un agent, qui lui ôte ses dernières illusions : la papauté commence par s’allier avec d’anciens ennemis contre l’Islam, s’abaissant en pure perte, puis elle devient elle-même un simple pion dans le jeu du roi de France. Asservie à un pouvoir temporel, elle n’est plus rien, et seul Jacques semble le voir. C’est une ficelle littéraire certes un peu grosse, mais cela permet de mieux expliciter la foi aveugle de Molay en l’avenir du Temple.

Rare survivant du coup de filet du roi de France contre le Temple, Jacques vivra caché, observant de loin le sort infligé à ses anciens camarades. Il a de son côté une ultime mission à accomplir, avant de pouvoir rendre les armes et d’achever en paix une vie bien remplie. Témoin d’une page de l’Histoire, il pourra disparaître sans laisser de trace.

D’une lecture agréable, malgré une fin déjà connue (comme pour tout bon roman historique), « L’Héritier du Temple » nous replonge dans les réalités d’un univers trop souvent idéalisé : une vie monacale, une pensée tournée vers Dieu et trop peu vers les hommes, des combats violents, une humilité de tous les instants. Point de panache ni d’héroïsme, juste une vie, menée par une règle stricte.
Tout semble facile, de la lecture à l’écriture, et rien ne l’est.


Titre : L’Héritier du Temple (El caballero del Templo, 2006)
Auteur : José Luis Corral
Traduction de l’espagnol (Espagne) : Anne-Carole Grillot
Couverture : Luca Tarlazzi
Éditeur : Hervé Chopin éditions
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 477
Format (en cm) : 14,5 x 22 x 3,8
Dépôt légal : novembre 2012
ISBN : 9782357200951
Prix : 22 €



Nicolas Soffray
23 décembre 2012


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