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Frank Thilliez : les méandres du mal.
Une interview Yozone
Novembre 2012

Frank Thilliez est arrivé sur la scène du thriller en 2003 avec « Train d’enfer pour Ange rouge ». Remarqué dès cette sortie, il poursuit son bonhomme de chemin dans une veine très française, avec pourtant un petit plus indéfinissable.
Arrive alors « La chambre des morts », un roman ancré dans une région, le Nord, celle de l’auteur, et pourtant l’atmosphère est telle que le roman est universel. Il est d’ailleurs adapté au cinéma deux ans plus tard.
L’auteur passe alors dans un genre plus pointu encore qui est un mélange de thriller psychologique et scientifique. Le lecteur se trouve absorbé à chaque fois dans une foison de découvertes surprenantes et ne peut lâcher le livre.
Aujourd’hui, il s’attaque à l’atome et à Tchernobyl avec un roman noir et angoissant. Et, il faut le dire, Frank Thilliez prouve qu’il est l’un des meilleurs auteurs français de thriller du moment.




Frank Thilliez sur LA YOZONE :
« Atomka »
« Vertige »
« La mémoire fantôme »
« L’anneau de Moebius »


Frank Thilliez, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Plus proche de 40 ans que de 30 ! J’ai, à la base, une formation d’ingénieur en informatique. J’ai travaillé dans des entreprises une petite dizaine d’années, et j’ai arrêté définitivement voilà 6 ou 7 ans. J’habite dans le Pas-de-Calais. Je vis de l’écriture, j’ai écrit onze romans, tous des thrillers ou des polars. Mon 11eme roman, Atomka, est sorti le 11 octobre 2012 aux éditions Fleuve noir.

Dès votre premier ouvrage « La Chambre des Morts », on sent bien que vous n’allez pas faire dans la gaudriole. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le thriller ?

Sa capacité à aspirer le lecteur, à le faire vibrer, à l’emmener là où il n’irait jamais seul. Plus jeune, lorsque je lisais du Stephen King, je me disais « comment ce type, tranquillement installé dans sa maison, ce type qui ne me connait même pas, arrive-t-il à me faire vibrer à ce point ? » Je trouvais cela fantastique, King peuplait mes soirées de cauchemars, et j’adorais ça ! Aujourd’hui, en tant que romancier, j’essaie de faire la même chose : transmettre mes propres cauchemars aux lecteurs et, paradoxalement, leur procurer du plaisir.

Vous êtes-vous dit au départ que vous vous orienteriez peu à peu vers le thriller dit scientifique ?

Disons que la science fait partie de mes influences, de ma formation, de mes centres d’intérêt. Je pense qu’il faut écrire en adéquation avec nos domaines de prédilection. Un auteur écrit un roman historique parce qu’il aime l’histoire et ses personnages, et que faire des recherches, gratter des centaines de pages dans ce domaine lui apporte une forme de satisfaction. Moi, je m’éclate avec la médecine, la biologie, la technologie. C’est mon truc et je ne m’en lasse pas, au contraire !

Pensiez-vous aussi dès le départ suivre vos personnages sur tant d’ouvrages ?

Absolument pas ! Au tout début, j’avais en tête d’écrire des histoires « one shot », avec des personnages uniques, qui naîtraient dans le roman pour disparaître définitivement à la fin. « La chambre des morts », dont l’héroïne est Lucie Henebelle, était écrit dans ce sens : Lucie ne devait plus jamais revenir. Il en était de même pour Franck Sharko dans « Train d’enfer pour ange rouge ». Puis, au fil du temps, j’ai pensé qu’il était pas mal de réutiliser l’un ou l’autre de ces deux personnages. Ils me plaisaient et avaient encore beaucoup de choses à raconter. Cela a donc donné un 2ème roman avec Sharko, et un 2ème aussi avec Henebelle.

Qu’est-ce qui vous a amené à les réunir ?

Pour « Le syndrome E », je voulais écrire un polar qui ferait intervenir soit Henebelle, soit Sharko. Les lecteurs aiment beaucoup ces personnages, et ils me réclamaient soit l’un, soit l’autre, et c’était quasiment du 50/50 ! Je me suis donc dit : pourquoi ne pas les rassembler dans un seul et même roman, ainsi, tous les lecteurs seraient satisfaits et moi, je tiendrais mon couple d’enquêteurs !
Ce sont des personnages très différents, au caractère bien trempé, et il n’était pas évident que leur couple fonctionne. En définitive, tout s’est très bien passé, ils sont très complémentaires et ont énormément de points communs.

Après « Vertige » où vous étiez dans le huis-clos claustrophobique, vous avez décidé de prendre l’air avec « Atomka » et pourtant l’atmosphère y est aussi angoissante et étouffante. Comment faites-vous ça ?

J’aime alterner les univers. Je reste dans le polar, certes, mais c’est un genre très vaste, où l’on trouve de l’enquête policière, du thriller, du roman psychologique à suspense, etc…
Je prends beaucoup de plaisir à écrire des histoires très « policières », avec des enquêtes et pas mal de documentation (souvent scientifique, d’ailleurs), mais je m’amuse aussi avec les histoires à ambiance, qu’il s’agisse de huis-clos ou de récits à forte atmosphère. J’ai toujours adoré ce genre de film ou de lectures, alors, je reste fidèle à ce que j’aime et me fait plaisir avec des deux catégories d’intrigues !

Pourquoi vous être attaqué à l’atome ? Est-ce un moyen d’avoir aussi vos savants fous dans vos romans ?

« Atomka » (comme son nom l’indique) tourne autour de l’atome, en effet, mais pas uniquement. J’aime m’attaquer à des domaines qui nous concernent tous, qui parlent aux lecteurs. J’essaie « d’écrire intelligent », c’est-à-dire de transmettre un savoir au-delà de l’intrigue, je veux que le lecteur, au terme du récit, ressorte avec des interrogations plein la tête, et une vision du monde un peu différente que celle qu’il avait avant sa lecture. Le polar, de façon générale, s’attaque à un dysfonctionnement, qu’il soit politique, social, écologique… Me concernant, je m’intéresse aux dérives de la science…

Après toutes vos recherches sur Tchernobyl, êtes-vous plus inquiets à ce propos, plus concerné par le nucléaire, peut-être même positionné politiquement sur cette source d’énergie ?

Je suis plutôt pour le nucléaire, je trouve que c’est une énergie formidable et que sans les centrales, ce serait difficile d’avoir le confort énergétique que nous avons. Cela ne m’empêche absolument pas de pointer du doigt les dérives liées à l’atome ! Je ne prends pas vraiment de position ou d’engagement politique dans mes romans, ça ne m’intéresse pas. Je me contente d’exposer les problèmes, de les expliquer aux lecteurs. Libre à eux ensuite de se constituer leur propre opinion.

Vos personnages voyagent beaucoup dans ce roman. Avez-vous visité tous les endroits que vous décrivez ou la documentation vous a-t-elle suffi pour rendre aussi bien l’atmosphère des lieux ?

Ça dépend, parfois je connais, parfois les données sont issues de la documentation. Pour Tchernobyl par exemple, je n’y suis jamais allé, mais je suis sensibilisé à ces régions irradiées depuis des années déjà, puisque j’ai accueilli, il y a longtemps, un enfant provenant de ces zones contaminées. C’est d’ailleurs le souvenir de cette expérience (les enfants étaient venus par le biais d’une association pour passer un mois en France, dans des familles) qui m’a donné l’une des idées fondatrices du roman.

Lucie et Sharko, après tant d’horreurs subies dans les précédents romans, sont maintenant ensemble. N’est-il pas difficile de gérer une relation amoureuse entre des personnages principaux qui nagent dans la noirceur en permanence ?

Au contraire, je crois que c’est ce qui constitue la force de leur couple ! Sharko et Henebelle sont unis dans la souffrance, ils ont chacun de leur côté surmonté de rudes épreuves pour en arriver là. Seule un Franck peut comprendre une Lucie, et vice-versa. En tant que romancier, j’ai en tout cas besoin de cette noirceur pour les faire évoluer, si tout allait bien dans leur couple, si leur destin était une ligne droite, je crois que je m’ennuierais… Et eux aussi !

N’avez-vous pas été tenté de faire une fin encore plus tragique dans ce roman ?

J’ai fait beaucoup de fins tragiques, je crois qu’à un moment donné, il faut trouver un équilibre pour le lecteur, qui doit traverser des moments de joie, de rage ou de peine pour vivre pleinement sa lecture. Ce qui est intéressant, c’est de laisser planer un doute à chaque fois, il ne faut pas habituer le lecteur à des happy end par exemple, sinon, il sait que tout va bien se terminer, quoi qu’il arrive aux personnages au cours du récit.

Comment en tant qu’écrivain de thrillers aussi noirs réussit-on à « survivre » à ses propres romans ?

Il faut juste faire la part des choses entre le travail et le reste. Ecrire est une passion mais surtout un travail, et quand je suis au travail, je peux écrire sur n’importe quel sujet, c’est mon job. Ceci fait, je redeviens un « citoyen » comme n’importe qui. J’ai tendance à comparer le métier d’écrivain (surtout dans le polar) à celui de médecin légiste : le jour, il est avec ses cadavres, il applique des protocoles, suit des règles, mais ensuite, il retrouve sa vie de tous les jours et nulle part il est écrit sur son visage qu’il est légiste !

Quel chemin parcouru depuis votre premier roman. Comment se déroule, et comment vivez-vous cette reconnaissance ?

La reconnaissance des lecteurs est, je crois, ce qui peut arriver de mieux à un auteur. Après tout, nous, romanciers de fiction, écrivons pour être lus, nous partageons nos histoires. C’est un vrai plaisir de voir, chaque année, les lecteurs au rendez-vous, des gens qui vous accordent leur confiance et apprécient ce que vous faites. D’un autre côté, cela renforce la pression à chaque roman : il faut être à la hauteur, proposer une nouvelle histoire différente des autres, mais qui soit au moins du même niveau. En tout cas, je pense en permanence à mon lecteur lors de l’écriture, j’essaie d’imaginer ses réactions, ses attentes, avec toujours le même objectif : lui offrir une histoire la plus aboutie possible.

Comment trouvez-vous le paysage éditorial de « mauvais genre » en France ?

Je trouve qu’il évolue dans le bon sens. Le polar perd de plus en plus son image un peu péjorative de « roman de gare ». Auparavant, on achetait effectivement un polar avant de prendre le train, on le lisait pendant le trajet et aussitôt sorti du train, aussitôt oublié. Aujourd’hui, les romans sont plus épais, les intrigues plus complexes, les thèmes abordés plus sérieux. Ils n’apportent pas que de la distraction, mais aussi une réflexion sur notre société. Les deux sont mêlés habilement, ce qui fait qu’ils sont normalement faciles à lire, à comprendre : le lecteur s’instruit en prenant du plaisir de lecture. J’ai le sentiment que le clivage des genres est typiquement français. Aux Etats-Unis par exemple, on parle de roman, de livre en général, et non pas de « roman noir » ou « littérature blanche ». En France, les « polars » ne font pas partie des sélections de grands prix de littérature, et pourtant, il y a de « grands polars ». Pourquoi ? Parce que c’est la tradition, c’est ainsi… Le terme « populaire » que sous-entend le polar ne plaît pas à tout le monde. Mais petit à petit, les barrières se brisent. De toute façon, c’est le lecteur qui décide, et le genre « polar » est le genre le plus lu !

Où aimez-vous travailler ?

Je me sens plus à l’aise dans mon bureau, au calme, mais il m’arrive d’écrire dans les trains, je voyage pas mal.

Avez-vous une méthode de travail particulière ?

Cinq jours sur sept, de 8h00 du matin à 17h00 ! J’ai gardé, dirons-nous, le rythme et la discipline de l’entreprise. Ecrire ce genre de romans ne se prend pas à la légère, il faut du travail et beaucoup de sérieux.

Avez-vous un objet fétiche en écriture ?

Pas vraiment, non…

Avez-vous un rituel avant de commencer un livre ? Pendant l’écriture ? Après l’avoir terminé ?

Boire un bon coup une fois la dernière ligne posée, c’est sûr !

Auriez-vous quelques conseils à donner à un aspirant-écrivain ?

L’important, c’est d’avoir une histoire à raconter, et de se dire : « est-ce que cette histoire me plairait si j’en étais le lecteur ? »
Il faut de la persévérance, et plutôt deux fois qu’une. De la persévérance pour aller au bout de son histoire, et de la persévérance pour être édité, car ce n’est pas un milieu facile.
Finalement, il faut avant tout écrire parce qu’on aime ça. La notion de plaisir est certainement la chose la plus importante.

Quel est votre futur éditorial ?

L’histoire de 2013 sera une intrigue sans Lucie et Sharko, une histoire bien tordue qui, je pense, sera vraiment très originale. On reste évidemment dans le domaine du suspense à l’état pur.

Merci beaucoup à vous, Frank.


Michael Espinosa
18 novembre 2012


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