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Le cyberespace de l'imaginaire




Points chauds
Laurent Genefort
Le Bélial’, roman (France), science-fiction, 235 pages, avril 2012, 18€

On les nomme les Bouches. Les experts en physique les appellent trous de ver, les amateurs de littérature de l’imaginaire portails. La première d’entre elles s’ouvre sur notre planète en 2019. Quelques années plus tard, elles sont plus de mille. Elles ouvrent sur d’autres mondes, mais surtout elles ouvrent notre monde à d’autres. Les extra-terrestres débarquent, par petits groupes ou par convois entiers. Ils appartiennent à des milliers d’espèces différentes. Le plus souvent, ils ne font que passer : ils cherchent à gagner un autre monde en se dirigeant vers une autre bouche, ouverte simultanément une centaine de kilomètres plus loin. Mais certains d’entre eux s’installent, et quelques années plus tard ce sont plus d’un million six cent mille aliens qui résident sur Terre, parqués dans des colonies, des camps de réfugiés, ou mêlés à la population des banlieues ou des bidonvilles.



« Points chauds » couvre la période s’étendant depuis 2019, année d’apparition des premières Bouches, jusqu’à l’année 2036. Trente-trois chapitres entrecoupés d’une dizaine de dépêches de presse permettent à Laurent Genefort de brosser le tableau de cette période qui changera à jamais le visage de l’humanité. À travers les regards et les aventures d’une demi-douzaine de personnages, l’essentiel sera dit. Ariadne tout d’abord, une adolescente des banlieues au destin étonnant. Prokopié, loser russe descendant des ethnies qui autrefois accompagnaient les rennes dans leurs transhumances, et qui vivra un évènement à la hauteur de ceux vécus par ses ancêtres. Camilla, qui travaille en Somalie pour une ONG protégeant les aliens. Darius, homme d’affaires surfant sur la peur des aliens pour faire fortune en concevant ces ghettos ultra-sécurisés que sut anticiper James Graham Ballard. Raji, chercheur indien dont la spécialité – les exoplanètes – a perdu toute raison d’être, et qui s’obstine à comprendre des êtres à jamais incompréhensibles et des artefacts qui – le passage par les Bouches grillant tout engin électronique – refusent obstinément de fonctionner. Et enfin Leo, soldat de “Rempart”, force d’interposition de l’ONU créée spécifiquement pour les aliens. Des regards différents, des perceptions différentes pour un évènement historique commun.

On serait tenté d’écrire, avec une certaine facilité, qu’une fois encore la science-fiction, non contente de nous parler du futur, permet de se livrer à un décryptage poussé du présent, de jeter un éclairage cru sur ce que nous sommes, de dépeindre sans fard ces réalités de notre monde que nous ne souhaitons, au fond, pas regarder de trop près. Il y a, c’est une évidence, une volonté de mettre en lumière bien des éléments contemporains : les déclinaisons modernes d’un racisme et d’une indifférence éternelles, l’exploitation immonde de toute main-d’œuvre imaginable et de préférence dépourvue de droits, le poids effrayant des croyances et des comportements irrationnels, l’aptitude d’habiles aigrefins à tirer financièrement parti de toute crise, la mentalité de dirigeants plus attachés à la sauvegarde et à la pérennisation de leurs positions et prébendes qu’à la gestion efficace des évènements, les dérives des troupes d’interposition de l’ONU qui dans le chaos se livrent elles-mêmes aux pires excès. Les aliens ont ici fonction de révélateur : en nous conduisant à nous jeter à notre propre visage ce que nous sommes, ils nous forcent à nous confronter non pas à leur altérité, mais à celle qui est en nous.

Là se situe sans doute la pleine réussite de « Points chauds » de Laurent Genefort : en ancrant ses extra-terrestres dans des problématiques a priori strictement humaines et en les présentant à travers le regard non pas d’un narrateur omniscient, mais de quelques personnages au fond très ordinaires, l’auteur parvient à inscrire son récit dans un réalisme qu’atteignent rarement d’autres auteurs. Il est difficile en lisant certains chapitres de « Points chauds » de ne pas songer aux images du « District 9 » et de tous ses extra-terrestres parqués dans d’immenses ghettos en Afrique du Sud. Tout comme le cinéaste Neill Blomkamp, Laurent Genefort prend assise sur le vécu, le documentaire, la séquence d’information d’où sourd en permanence ce réel tragique auquel nous sommes hélas accoutumés. Exodes et camps de réfugiés, massacres, famines, personnes dépourvues de droits, ghettos misérables, bidonvilles sans fin, tentatives de régulation des flux migratoires, et autres “rétentions administratives” à échelles variées.

Pour autant, Laurent Genefort ne délaisse pas entièrement la science-fiction. La base de son intrigue fleure bon l’âge d’or du genre, et l’apparition des Bouches, au départ décrite sur un ton qui n’est pas sans évoquer les historiettes de Fredric Brown, fait rapidement songer aux phénomènes incompréhensibles et aux “premiers contacts” qui servent de base à plusieurs romans de Clifford D. Simak, ou à certaines de leurs déclinaisons contemporaines par Robert Charles Wilson. Car ni humains ni extraterrestres ne savent grand-chose des Bouches : ni qui les a construites, ni quelle est leur finalité fondamentale, ni comment elles fonctionnent, ni ce qui régit leurs apparitions. La seule chose que l’on parvient à comprendre, c’est qu’elles ne permettent jamais que des transits limités – impossible donc de planifier l’invasion d’un autre monde. Mais les Bouches ne sont pas les seuls éléments échappant aux hommes : l’invraisemblable diversité des aliens est au-delà de leurs capacités. Et leurs arrivées incessantes relèguent l’étude ou la curiosité très loin derrière la gestion de ces afflux et de leurs conséquences.

Les dommages, on le devine, ne seront en définitive pas seulement pour les aliens, mais aussi pour les humains eux-mêmes. L’arrivée des extra-terrestres n’aura apporté ni technologies nouvelles ni richesses de quelque sorte que ce soit. Elle n’aura guère réussi qu’à aggraver encore un peu les maux chroniques dont souffre notre monde. Bientôt, les forces d’interposition sont débordées, et Rempart, que les gouvernements n’ont plus les moyens de financer, se retrouve dissoute. Et tout, peu à peu, se délite : rompant un tabou, quelques gouvernements permettent aux humains qui le souhaitent de franchir les portes et de partir à leur tour pour de nouveaux mondes. Comme un jeu de dominos, d’autres gouvernements flanchent. Quelque chose est en train de s’écrouler, irréversiblement.

Avec une certaine élégance formelle, et non sans une réelle habileté, Laurent Genefort parvient à refermer la boucle de ce qui aurait pu n’apparaître que comme une série de narrations indépendantes, de tranches de vie destinées à donner consistance aux décennies futures à travers un aspect documentaire. En faisant fusionner quelques destinées, en réintégrant in extrémis le personnage entr’aperçu dans le chapitre inaugural, et qui deviendra le premier humain à être revenu sur Terre, l’auteur parvient à conclure un récit qui, par essence, semblait ne devoir être qu’un épisode. Et c’est à mots couverts, avec le nouveau départ de ce “revenant” qui ne reste pas plus de quelques minutes sur notre planète, que Laurent Genefort nous fait comprendre ce qui devait in fine résulter, non pas obligatoirement de toute invasion alien, mais simplement de tout contact prolongé avec d’autres espèces pensantes : la fin du monde tel que nous l’avons conçu et bâti, sa relégation au rang d’élément d’importance secondaire, sa place réduite, très réduite au sein d’un univers différent, dans un paradigme entièrement nouveau.

Pour finir la chronique de ce récit qui fait honneur au genre, notons que l’ouvrage s’agrémente d’un index de près de cinq pages consacré à diverses variétés d’aliens, lui-même suivi de neuf crayonnés de Manchu. Ces annexes sont à considérer comme une introduction au volume parallèle de Laurent Genefort, publié concomitamment à « Points chauds » : « Aliens, mode d’emploi » petit guide venant apporter à cet univers un complément qui – on ne sait jamais – pourrait un jour se révéler fort utile.


Titre : Points chauds
Auteur : Laurent Genefort
Couverture : Philippe Gady
Illustrations intérieures : Manchu
Éditeur : Le Belial’
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 235
Format (en cm) : 13,8 x 20,4
Dépôt légal : avril 2012
ISBN : 978-2-84344-111-0
Prix : 18 €



Laurent Genefort sur la Yozone :
- La chronique de « Aliens Mode d’Emploi
- La chronique de « L’Ascension du serpent »


Hilaire Alrune
28 mai 2012


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