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Dépression
Brice Tarvel
Lokomodo, n°16, roman (France, 1990), fantastique, 211 pages, mars 2012, 6€

Initialement publié, sous le pseudonyme de François Sarkel, dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir en 1990, « Dépression » refait surface, entièrement révisé par l’auteur, pour une nouvelle carrière aux éditions Lokomodo. Dans des ambiances sombres et pluvieuses, un roman court et âpre qui mêle réalisme et éléments fantastiques.



« La pluie n’en finissait pas de tisser sa soie grisâtre et glacée. Elle semblait avoir décidé une fois pour toutes d’engloutir à jamais la totalité du monde. »

Triste monde que celui décrit par Brice Tarvel. Des marécages dans lesquels vivent les Pustuleux, humains dégénérés et asymétriques, semi-sauvages, qui se nourrissent de longs vers aquatiques. Durocor, une ville perpétuellement sous la pluie, perpétuellement inondée. La vie y est particulièrement sinistre : les bons jours, on y boit au goulot du lait noir ou de l’alcool d’algue, on y fume des cigarettes au varech, on y mange du rat à divers stades de la putréfaction. Seule la partie haute de la cité n’a pas tout à fait les pieds dans l’eau ; mais une terrible maladie, qui frappe aussi les habitants d’en-bas, n’y épargne personne : la rouille, terrible mycose qui lentement ronge les individus, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, et contre laquelle il n’existe nul traitement.

Les personnages sont au diapason de cet univers. Brice Tarvel nous fait suivre dans les travées humides et glauques de ce monde mi-marécageux mi-urbain la pachydermique Yaya « harpie adipeuse » et loueuse de bouées, Sarg le pêcheur de rats, Zam le Pustuleux, Zarine et Vavette, deux prostituées misérables, un vieux médecin trafiquant d’alcool, et quelques individus malfaisants ou en pleine déréliction, perdus en arnaques piteuses ou en quêtes misérables, égarés en errances dérisoires ou en dérives sans but. Certains à la recherche d’amours perdus ou à venir, mais immuablement condamnés ; certains animés à l’occasion par la naissance d’un espoir, d’une clarté intérieure que la chape de ce monde ne sera pas longue à éteindre.

Car en effet les personnages, mais aussi le lecteur, sont étouffés par une absence d’horizon, une carence de lumière ; l’auteur occulte, opacifie, étouffe son univers qui apparaît comme un lieu clos, écrasé par cette chape de pluie continuelle, noyé dans cette humidité pérenne dont nul ne parvient à savoir si elle est géographiquement limitée ou n’est qu’un reflet à l’image du monde. Si certains, en effet, affirment qu’il existe un ailleurs où brillerait le soleil, personne ne sait s’il s’agit de légendes, d’arnaques, ou de mythomanie pure et simple. Si les Compagnons de l’Arche pensent que nulle autre vérité n’existe que leur rêve d’une île ensoleillée et lointaine, d’autres, fort justement nommés les Hydrolâtres, semblent à tel point résignés qu’ils officient dans une église vouée au culte des aquariums.

On rencontre à travers ce récit des gens qui lisent l’avenir dans les écoulements menstruels, les terribles Squameux, agents d’une police particulièrement barbare, un gardien de cimetière de navires, un vieillard qui refuse de se défaire du cadavre de son épouse, tuée par la rouille, dont les restes décomposés sont fixés au carrelage par d’innommables racines, un étrange robot, des voraces hybrides de chiens et de batraciens dont l’agressivité est décuplée par d’étranges artefacts, et quelques autres surprises bien peu romantiques. Il ne faut, dans un tel univers, s’attendre ni à du romantisme durable, ni à de la poésie prolongée.

Avec un sens du réalisme et du naturalisme qui n’est pas sans rappeler certaines des histoires les plus sinistres de Zola, sans effets de style, sans jamais verser dans la facilité ni dans la complaisance morbide, Brice Tarvel brosse de manière convaincante la dérive des principaux personnages à travers la topographie de l’humide – marais, côtes fangeuses, ville boueuse – mais aussi à travers les territoires en friche de leur paysage mental : croyances et ignorance, naïveté et désirs, rêves et violence. On l’aura compris : même si l’on peut s’attacher à certains personnages, il n’y aura de happy end pour personne.

Si le roman s’achève par une fin si abrupte qu’elle le fait apparaître tronqué, il était difficile d’imaginer dans cette atmosphère un dénouement sinon heureux, du moins porteur d’espoir. Dans la ville de Durocor, le no future est la règle. Le lecteur ne sortira certainement pas de ce petit roman vite lu – à peine plus de deux cents pages – avec un optimisme revigoré, ni avec le moral au plus haut. Mais force est d’admettre qu’en mettant en scène un environnement qui aurait très bien pu naître de l’imagination fertile d’un Jean Ray, l’auteur a réussi à créer une portion d’univers cohérent, aux ambiances particulièrement lourdes, hanté par des individus tragiques, à l’avance victimes du seul destin que ce monde misérable et pluvieux pouvait leur offrir.

Texte - 353 octets
Coquilles Dépression

Titre : Dépression
Auteur : Brice Tarvel
Couverture : Jimmy Kerast
Éditeur : Lokomodo
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 16
Pages : 211
Format (en cm) : 11 x 17
Dépôt légal : mars 2012
ISBN : 978-2-35900-090-0
Prix : 6 €



Hilaire Alrune
30 avril 2012


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