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Musiques de la frontière
Léa Silhol
Editions De l’Oxymore -380 pages - 21,30 euros-


Ils se tiennent main dans la main sur le quai d’une gare.
Elle, Need, gamine révoltée et déterminée, prête à tout pour arriver au bout du voyage ; Lui, Gift, innocent et déjà en danger malgré son jeune âge, portant sur le monde un regard si vif et si différent. Cet « autre regard » que les hommes, les « regs », refusent et combattent impitoyablement.

Plongés dans un labyrinthe où la folie humaine et sa mauvaise foi dominent, ils ne devront compter que sur eux-mêmes et l’aide d’un inconnu pour, enfin, parvenir au terme de leur périple : les portes d’un autre Monde, où Gift retrouvera ses frères et sœurs « changelings », ces êtres qui dérangent parce que doués de pouvoirs surnaturels et apparentés aux « fays ». Des retrouvailles qui, malheureusement, ne pourront se concrétiser sans douleurs ...

À travers douze nouvelles, Léa Silhol tisse subtilement un univers où réalité et imaginaire se côtoient, où poésie et violence se mesurent dans un face-à-face équilibré. D’un récit à l’autre, le lecteur assiste à une mise en relation intelligente où protagonistes nouveaux et ceux rencontrés quelques pages précédemment se trouvent liés par un même élément : leur appartenance, à un moment ou à un autre et à divers degrés, à cet univers appelé « Frontier ». Au fil des mots, le lecteur ne pourra que s’attacher à ces personnages même si, parfois, ils paraissent insondables, détachés des événements qu’ils traversent. Voire inhumains ...

Déroutant.

Tel pourrait se résumer ce que l’on ressent en parcourant les premières pages du recueil. Car l’univers de Léa Silhol transpire de tant de singularité qu’un novice en la matière pourrait ne pas se laisser happer par son charme. Pas de mise en garde ou d’entrée en la matière progressive dans le recueil : le style entraîne directement le spectateur dans une plongée en Enfer. Libre à chacun de poursuivre ou d’arrêter là sa lecture. L’intérêt des nouvelles réside entre autres dans cette possibilité d’adhérer rapidement ou non à un auteur.
Le style utilisé participe à brouiller les pistes : Léa Silhol joue entre le « je » et « tu » du monologue intérieur, et le style narratif classique. Avec une telle maîtrise que, souvent, le lecteur dépasse son statut de simple « voyeur »* passif pour devenir, à son tour, un témoin direct des situations psychologiques vécues par les personnages.

*le sens de -voyeur- n’est pas à prendre ici au sens péjoratif, mais dans son sens ancien à savoir -témoin-.

Captivant.

Si l‘on ose aller plus loin (et la qualité de l’écrivain mérite d’avancer dans la lecture), on se trouve rapidement « pris au piège » d’un imaginaire où violence (des mots, des situations, des psychologies des personnages) et poésie cohabitent, s’entremêlent avec un savant dosage. Pour finalement laisser la primeur aux figures poétiques. Oxygène indispensable pour s’immiscer dans l’univers de Léa Silhol somme toute profondément noir et pessimiste. Néanmoins, l’on peut se demander si la source d’inspiration de l’auteur n’est pas simplement une transposition -stylisée certes- mais très réaliste de notre monde contemporain. Errance, discriminations, recherche d’une Terre Promise ... ne sont-ils pas des thèmes récurrents du XXIe siècle ? Léa Silhol force peut-être les traits, mais si peu finalement ...

Une œuvre “symboles”.

Léa Silhol se plaît à apporter une symbolique tout au long de l’œuvre, avec une prédilection pour le chiffre « deux » subtilement présent.
Tout d’abord dans cette opposition entre le Bien et le Mal, élément fédérateur de l’œuvre.
Cette dualité se retrouve dans les descriptions entre Monde des « regs » et Monde des « fays » (opposition entre lieux fermés et sombres (monde des « regs ») / lieux ouverts et emplis de lumière (monde des « fays ») ; opposition entre espaces aux formes invariablement géométriques (monde des « regs ») / espaces aux formes rondes (monde des « fays ») ...) ; entre Nature (omniprésente à -Frontier -) et architecture des « regs » extra-futuriste ; dans la construction narrative de chaque nouvelle qui met en scène, ou du moins met en relief, deux personnages.
L’utilisation de symboliques, respectées ou détournées, comparées à d’autres textes littéraires, apparaît intéressant à étudier pour en déceler les effets et conséquences portées sur le texte et le lecteur.

Une partition bien orchestrée .

Léa Silhol dispose de qualités littéraires fortes et maîtrisées. « Musiques de la Frontière » ne peut laisser insensible. Son univers, son approche stylistique frappe, immanquablement. Plus particulièrement dans certaines descriptions ciselées, émotionnellement très fortes ...
À tel point qu’il arrive de perdre sa respiration, submergé par la spirale de mots et d’images terriblement évocatrices. Ainsi pour « Voix de sève » qui, malgré un style parfois empesé, est une des nouvelles les plus abouties et les plus belles.
La chronologie des nouvelles se succédant, imbriquées intelligemment les unes aux autres, participe à pénétrer l’imaginaire de l’auteur.
La mise en page même, le format du livre, la typographie, les blancs (ces « soupirs » de lecture ») ... apportent un confort au lecteur qui mérite d’être souligné.
Deux bémols cependant :
- peut-être aurait-il été intéressant d’offrir à chaque extrait de chanson, poème ... une approche en français ?(tout le monde ne maîtrise pas forcément la langue de Shakespeare) ;
- était-il indispensable d’illustrer le recueil ? La couverture n’invite pas à se saisir du livre-objet, bien au contraire. Et les dessins intérieurs ne reflètent absolument pas l’imaginaire de l’ouvrage. Elles auraient plutôt tendance à le dénaturer.

Musiques de la frontière
Léa Sihlol

Prix Imaginales 2005 catégorie nouvelles

Couverture :Amar Djouad

380 pages

ISBN 2-913939-47-3

Editions de l’Oxymore : http://www.oxymore.com

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Prix : 21,30 euros


Libellule
11 juillet 2005


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Amar Djouad illustre les « fays » de Léa Silhol.



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12 illustrations intérieures par Frédérique Breton.
ar Frédérique Breton.



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Collection Fission : une version « luxe » illustrée par Sébastien Bermès.



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