Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Immergés (T3) Wilhelm Pelosi
N. Juncker
Glénat

Pas facile d’assister à la mort d’un tel projet. « Immergés » était initialement pensé en vingt volumes, la série s’arrêtera après seulement trois tomes. Elle n’aura convaincu ni les critiques, ni son public. Du moins pas suffisant pour s’assurer une réussite commerciale et s’inscrire dans la durée.
Malgré quelques lacunes évidentes, notamment celle d’un dessin assez peu avenant, les qualités de cette saga étaient certaines. Cet ultime épisode nous présente ainsi un des faits divers les plus étonnants de la Seconde Guerre Mondiale : le torpillage, par les allemands, d’un paquebot britannique transportant notamment près de deux mille prisonniers italiens. L’exploit militaire devient un dommage collatéral. Les nazis vont alors réagir d’une bien étrange manière…



Les BD de Nicolas Juncker ont toujours eu un fort penchant pour l’Histoire, la vraie. Cet historien de formation (ceci explique sans doute cela) a déjà réalisé plusieurs ouvrages basés sur des faits réels (ou pseudo-réels), tels que “Le Front”, “Malet” et “D’Artagnan, Journal d’un Cadet”.
Mais les BD à forte consonance historique ont toujours eu du mal à trouver leur public. La série “Immergés”, qui présente l’Allemagne nazie vue de l’équipage d’un sous-marin allemand, ne déroge pas à la règle. C’est le moins que l’on puisse dire.
Vingt tomes étaient initialement prévus pour cette saga. Un pour chacun des 18 membres d’équipage, se concluant par deux tomes dédiés à leur capitaine. Le projet était ambitieux, il ne verra pas le jour. Faute de succès, l’éditeur a annoncé la fin de la série, qui ne comportera donc que trois tomes.
Décidément, Nicolas Juncker n’a pas de chance avec ses romans. Déjà, à l’époque de “D’Artagnan, Journal d’un Cadet”, il rêvait d’en faire une série sur plusieurs tomes. Le projet avait été revu à la baisse par les éditeurs.

JPEG - 36 ko

Les causes d’un tel coup d’arrêt sont sans doute multiples. Des traits épais, des couleurs passées, des onomatopées surdimensionnées, un grand nombre de personnages secondaires, un récit historique a priori peu avenant, un délai important entre les tomes… sont autant d’éléments qui ont pu repousser les lecteurs potentiels. A premier coup d’œil, il faut l’admettre, cette BD n’est pas des plus sexy. Mais les choix narratifs ou graphiques ne constituent pas la cause principale de cet échec selon moi. Qu’est ce qui a été fait pour la promotion de cet ouvrage ? Malheureusement, pas grand-chose. Peu d’articles sur le Web, peu de couverture médiatique, ont poussé ces albums, le jour même de leur sortie, directement sur les étagères oubliées de nos revendeurs. Pas de tête de gondole, pas de pile centrale, pas de présentoir. Pire, chez mon libraire préféré, pourtant très bien achalandé, les trois tomes de la saga sont tout simplement introuvables.
Pourtant, « Immergés » est une bonne série, qui a d’ailleurs été récompensée par le Prix du Vent du Large 2010 du Salon du Livre de Mer de Noirmoutier. C’est une récompense modeste, mais une récompense quand même. Fort des expériences passées, Nicolas Junker avait anticipé le risque d’un abandon et en avait limité les conséquences. Chaque tome peut se lire de façon complètement indépendante. L’avortement du projet initial n’entrave donc en rien la lecture des albums déjà parus. Seul regret, un événement passé, source du mal-être à bord du sous-marin, évoqué dans les deux premiers tomes, ne sera jamais expliqué par la BD.

JPEG - 36.9 ko

Le premier volume décrivait l’ambiance malsaine de délation imposée par le IIIème Reich. En suivant le point de vue de Günther Pulst, maître diesel bourru de 39 ans, le lecteur était témoin de la violence, du racisme et de la suspicion qui régnait au sein de la Kriegsmarine. Comme si les odeurs de gasoil et de sueur mélangées ne suffisaient pas à rendre la vie difficile dans cet univers clos. Le stress et la peur sont palpables dans ce cercueil immergé. Il y a donc quelque chose de plus noir que le fond des abysses : le cœur des soldats qui s’y cachent.
Le précédent épisode présentait Oskar Kusch, alias Grenouille, l’un des veilleurs du sous-marin, et le plus jeune membre d’équipage. Par ses yeux, on retrouvait l’ambiance étriquée, glauque, parfois hostile, qui règne à bord du sous-marin. Par un jeu de flash-backs, on découvrait l’état d’esprit de certaines familles allemandes, humiliées par le Diktat et dont les plus jeunes membres intégraient les jeunesses hitlériennes. Cet album était également l’occasion de faire la connaissance du pasteur Niemöller, personnage réel, qui, en découvrant les camps de la mort, s’est opposé à Hitler et a constitué l’Eglise confessante, avant d’être déporté en 1937. Et c’est là l’un des points forts des scénarii de Juncker : savoir mêler la fiction et les vérités historiques. L’équilibre est souvent subtil.
Dans ce troisième tome, l’équipage allemand ajoute une nouvelle victime à leur tableau de chasse. Le samedi 12 septembre 1942, leurs torpilles envoient par le fond un bâtiment britannique, portant leur score à plus de deux cent mille tonnes de navires coulés. Mais l’enthousiasme des sous-mariniers va vite se calmer lorsque ceux-ci découvrent, avec stupeur, la masse de passagers civils se jetant dans les flots glacés. Pire, il semble que de nombreux militaires italiens étaient à bord. Ce bateau, le Laconia, transporte en réalité 446 militaires du camp adverse, environ 80 civils et… 1800 prisonniers de guerre italiens. La majorité des victimes sont donc des alliés. Comment réagir ? Faut-il les aider, accueillir les quelques chaloupes suppliant de l’aide, au risque d’héberger l’ennemi en son sein ? La décision est prise par le capitaine de corvette Laüwerfus : tous les survivants doivent être sauvés. La position du submersible, envahi par les rescapés, est alors transmise aux britanniques, dans l’espoir que ces derniers acceptent cette solution pacifique. Pour Wilhelm Pelosi, nazi italo-allemand, la contradiction des événements est dure à avaler. Tout comme il a du mal à se réjouir de la mort des civils, il ne peut accepter que les anglais occupent sa paillasse pendant que ses compatriotes cuisent sur la carcasse brulante du sous-marin. Pour ses camarades allemands, les prisonniers italiens, pourtant alliés, ne sont que des sous-hommes. Et la relation d’amitié qu’est en train de nouer Pelosi avec un des aryo-romain sur le pont n’arrange pas les choses. L’attente des secours est longue, très longue, pour l’officier. Et un sous-marin qui reste en surface ne porte qu’un seul nom : une cible.

JPEG - 41.1 ko

On retrouve des faits historiques dans ce récit. Et même plus qu’avant car l’intrigue principale de cet album EST un fait historique. En effet, le RMS Laconia est un paquebot britannique qui réalisa son premier voyage en 1922. Le 12 septembre 1942, à 130 milles au nord-nord-est de l’île de l’Ascension, le bateau, avec approximativement 1 800 prisonniers de guerre italiens, est touché par une torpille sur le flanc droit, qui incendie immédiatement la salle des machines. Cette première explosion fait plus de 450 morts, la plupart des prisonniers italiens. Puis, une seconde torpille achève le bateau qui s’enfonce alors très vite dans l’océan. Quand le commandant Hartenstein de l’U-156 (et non celui de l’U-19 comme l’indique la BD) se rend compte que des civils et des prisonniers de guerre italiens sont à bord, il entreprend de sauver les survivants et lance par radio un SOS. Au bout de quarante-huit heures, deux bateaux allemands, l’U-506 et l’U-507 assisteront l’U-156 dans sa tâche, ignorant les ordres de leur hiérarchie. Ignorant le drame, des avions chasseurs américains repèrent les navires, et mitraillent les passerelles occupées par les survivants. Plusieurs centaines de personnes furent malgré tout sauvés par ces trois submersibles.

Pour information, Wilhelm Pelosi est un des rares membres d’équipage (peut-être même le seul) dont le nom n’est pas celui d’un véritable commandant de U-boot. Peut-être était-ce celui d’un des submersibles italiens de cette époque.

Comme le scénario, le graphisme s’améliore au fil des albums. La mise en scène et le cadrage sont intelligents. La majorité des scènes se déroulant en extérieur, il n’est plus question de case étriquée ou de plans serrés. Les points de vue sont plus larges, on a presque l’impression que les images ont grandi, à l’instar de l’environnement qui entoure les hommes. L’auteur utilise quelques originalités dans le cadrage, comme les ronds des jumelles, qui rendent la lecture particulièrement dynamique et immersive. Cette astuce rend la scène du chavirage du bateau encore plus choquante.
De plus, l’auteur prend le temps de nous exposer ses situations narratives, et, en quelques cases, il sait nous présenter les relations d’amitié entre les hommes, les conflits internes, les états d’âmes.

Les couleurs de Greg Salsedo, lavis retravaillé par ordinateur, mettent parfaitement en valeur l’environnement du récit. Ainsi, deux ambiances se distinguent : l’univers clos et terne du submersible d’une part, celui des scènes extérieures lumineuses et colorées d’autre part. On retrouve un peu le travail, tout en subtilité, que l’artiste avait montré dans « Nous ne serons jamais des Héros ».
Enfin, parmi les améliorations apportées, on peut citer l’effort qui a été fait sur la différenciation des personnages. Dans le tome précédent, il m’était parfois difficile d’identifier les traits des membres d’équipage. Il n’y a rien qui ressemble plus à un barbu sous-marinier nazi qu’un autre barbu sous-marinier nazi ! Curieusement, dans cet épisode, je me suis surpris à reconnaître certains personnages en arrière plan. Soit les traits de Juncker se sont affinés, soit je commençais à m’imprégner de l’ambiance de cet ouvrage. Si c’est le cas, l’abandon du projet est d’autant plus regrettable.
Même si elle ne verra sans doute jamais le jour, Nicolas Juncker avait commencé à plancher sur la suite de la saga. Le quatrième tome devait aborder les liens contradictoires entre la pègre et le nazisme, avec Walter Kaeding comme narrateur. Le cinquième tome devait, à travers le regard de Helmut Schmoeckel, aborder l’histoire de l’Allemagne depuis 1918.

JPEG - 45.6 ko

Comme conclusion anticipée, les dernières planches de cet album présentent le retour de mission des sous-mariniers. Leur dernière mission, après sept années de service sous la mer. La dernière phrase est prononcée par Albrecht Brandi : « C’est nos adieux à la mer… on va arroser çà ? ».
Indirectement, cette phrase est sans doute prononcée par Nicolas Juncker lui-même…


(T3) Wilhelm Pelosi
- Série : Immergés
- Scénario : Nicolas Juncker
- Dessin : Nicolas Juncker
- Couleur : Greg Salsedo
- Editeur : Glénat
- Collection : Treize étrange
- Dépôt légal : 30 novembre 2011
- Format : 240 x 320 mm
- Pagination : 56 pages couleurs
- ISBN : 978-2-7234-7855-7
- Prix Public TTC France : 13,50 €


A lire sur la Yozone :
- Immergés (T2) Oskar Kusch


Illustrations © Juncker et Glénat (2011)



Allison & Julien
4 février 2012




JPEG - 19.1 ko



JPEG - 17.4 ko



JPEG - 21.6 ko



JPEG - 27.4 ko



JPEG - 35 ko



JPEG - 30.8 ko



JPEG - 24.7 ko



JPEG - 42.3 ko



JPEG - 38.2 ko



Chargement...
WebAnalytics