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Entremonde
Hiromi Goto
Baam !, roman traduit de l’anglais (Canada), fantastique, 315 pages, avril 2010, 14€

Mélanie est une ado solitaire, rejetée par ses camarades. Avec sa mère, qui touche le fond entre chômage et alcool, la vie n’est pas facile tous les jours. Lorsque Mélanie rentre et trouve la maison vide, elle s’inquiète aussitôt. Et le coup de fil menaçant d’un certain monsieur Gluant confirme ses pires craintes : sa mère a été enlevée !
Complètement paniquée, elle se réfugie chez une vieille commerçante chinoise, madame Wei, qui l’aide à lever le voile sur le mystérieux Entremonde où elle doit aller...



Dans la mythologie développée dans le roman d’Hiromi Goto, il y a 3 royaumes : celui de la Chair (le « nôtre ») et celui de l’Esprit, avec entre eux le bien nommé Entremonde, zone de transit où on se purge de ses douleurs terrestres avant de devenir un Esprit (et de se réincarner ensuite, comme dans toute cosmologie perpétuelle indo-asiatique). Mais un évènement a bloqué ce cycle : plus personne ne transite d’un royaume à l’autre, et la qualité des âmes s’en ressent : les hommes sont plus moroses, les esprits se délitent, quant à l’Entremonde il voit sa population se changer en monstres incapables de surmonter ces traumatismes d’une vie antérieure, et forcés à les revivre éternellement.
Mais (bien sûr) une prophétie annonce la libération de cette boucle, quand un enfant naîtra en Entremonde. Cet enfant, c’est Mélanie, que ses parents ont conçu en Entremonde. Seule sa mère enceinte a pu fuir dans le royaume de la Chair, grâce au sacrifice de son père et la « faveur » de monsieur Gluant, chef de file ignoble des monstres contents de leur sort. Néanmoins, après 14 ans sur Terre, M. Gluant les contraint toutes deux à rentrer.

C’est donc un voyage initiatique qui commence pour Mélanie. Avec les quelques conseils de la très drôle madame Wei, et le soutien d’une amulette enchantée et d’une Boule 8 Magique, elle part à la recherche de sa mère dans ce monde gris et cauchemardesque.

Les amateurs de Neil Gaiman devraient apprécier l’Entremonde, dont l’ambiance n’est pas sans rappeler les égouts londoniens de « Neverwhere » (sans parler de son récent et éponyme « Entremonde » publié au Diable Vauvert et depuis peu en poche). La monstruosité passe par le non-sens, les créatures aberrantes, hybrides. Monsieur Gluant, humanoïde gélifié et élastique, avec une langue digne d’un caméléon, n’est pas le moins effrayant du lot. C’est un Méchant des plus cruels, qui mange les autres monstres (qui se réincarnent tout de même), et qui refuse que ce monde dont il est roi prenne fin. L’arrivée de Mélanie, qu’il croit contrôler et dominer, va révéler quelques craquelures dans sa superbe, et des velléités de rébellion dans ses rangs.

Le roman est une grande course-poursuite entre Mélanie et les monstres. Elle est contrainte d’aller au cœur des ténèbres pour chercher sa mère, dans un monde qu’elle ne connaît ni ne comprend, sans alliés, et visible comme une torche dans la nuit, seule à être en couleurs (et chaude) dans cet univers gris.

Hiromi Goto ne ménage pas son héroïne, et jusqu’à la fin, les épreuves vont se succéder, malgré un relatif happy-end quand la prophétie s’accomplit.

« Entremonde » n’est donc pas désagréable à lire. Mes principaux reproches viennent des points sous-exploités par l’auteure, comme le physique de Mélanie. Sur le site de Baam !, dans le résumé, il est précisé que Mélanie est « complexée, ronde ». Or cette information est absente de la 4e de couverture, et ne saute pas aux yeux à la lecture du roman : hormis une allusion dans le premier chapitre (lorsque ses camarades de classe la traitent de « grosse vache », P.21), il ne doit pas y avoir plus de 3 ou 4 adjectifs y faisant référence dans le reste du roman. Le poids de Mélanie n’est pas mentionné lors des multiples efforts physiques qui jalonnent le récit.
La narration est certes centrée sur Mélanie, le point de vue externe nous laisse régulièrement entrer dans les pensées de la jeune fille, mais très rares sont les occasions où ses complexes font surface. On comprendra que face à ce monde bizarre et l’urgence de sauver sa mère, elle pense à autre chose que son poids ou son apparence, néanmoins l’auteure aurait pu appuyer un peu le trait, et exploiter cette spécificité de son héroïne comme un élément de fond : qu’elle souffre de son apparence, qu’elle finisse par l’accepter ou y remédier.

Au final, s’il n’y avait la couverture montrant une asiatique rondelette (et son reflet), on aurait bien du mal à se représenter la corpulence de Mélanie. Son prénom européen ajoute au flou, et il faut le rappel régulier des noms de ses parents (Fumiko et Shinobu) pour ne pas l’imaginer comme une adolescente brune comme on en croise tous les jours en France, voire à l’assimiler, une fois fait le rapprochement stylistique avec Neil Gaiman, à la version animée de « Coraline ».

« Entremonde » se lit donc agréablement, pour autant qu’on puisse prendre plaisir à lire les souffrances subies par cette ado pour sauver sa mère, mais la relative platitude de l’héroïne - malgré ses qualités, son courage, etc.- en regard de ce que l’auteure aurait pu lui faire porter comme thématiques adolescentes fortes - l’acceptation de soi, de son corps, de sa différence - échoue, à mon avis, à le tirer véritablement au-dessus du reste.
Demi-réussite ou demi-échec, à vous de juger. L’univers fantastique est captivant, effrayant, loin de l’acidulé de la littérature ado - où le rose se cache souvent derrière le noir. La cruauté des Méchants n’est pas non plus édulcorée, et rarement le terme « d’héroïne » aura été aussi durement mérité. Mélanie sauve le(s) monde(s), mais elle en paie le prix jusqu’au bout.

« Entremonde » est entre deux, au-dessus du flot du tout-venant jeunesse, mais n’atteint pas les sommets des livres dont on se souvient sa vie durant. Mais est-ce ce que vous demandez à tous vos livres ?


Titre : Entremonde (Half World, 2009)
Auteur : Hiromi Goto
Traduction de l’anglais (Canada) : Marie de Prémonville
Couverture : Jillian Tamaki
Éditeur : Baam !
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 315
Format (en cm) : 13 x 20 x 2,5
Dépôt légal : avril 2010
ISBN : 978-2-290-03282-2
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
30 décembre 2011


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