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Cinacittà, mémoires de mon crime atroce
Tommasion Pincio
Asphalte, roman traduit de l’italien (Italie), transgenre, 308 pages, juin 2011, 20€

L’Europe en faillite a été rachetée en solde par les Chinois, et Rome est transformée en une gigantesque Chinatown… Et aujourd’hui, le dernier des romains est accusé d’avoir commis un « crime atroce ». Lui qui ne demandait qu’à boire des bières et traîner avec des prostituées ! Comment en est-il arrivé là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?



Il est désormais évident que pour avoir autre chose que de la drouille consensuelle sagement rangée sous ses petites étiquettes, il faut aller chercher du côté des petits éditeurs. On imagine l’angoisse du grand thuriféraire sérieux de la place de Paris cherchant dans quelle case ranger ce texte…

Et pourtant, voilà ce qui est certainement un des grands romans de l’année 2011, un de ceux qui vous lancent un auteur. Plus qu’un récit calibré conçu pour atteindre ce nirvana qu’est l’adaptation cinématographique, il puise au meilleur des genres pour nous fait le triple portrait d’une déchéance.

Chute d’une Europe repue incapable de s’adapter, trop heureuse de donner les clés du pouvoir aux Chinois pour ensuite pouvoir brocarder la vilenie de ces étrangers qui ont même imposé leur monnaie ! Esclaves volontaires réduits à secouer leurs chaînes pour se donner une illusion de révolte. En ce sens, le narrateur anonyme (ce qui relève plus d’une volonté métaphorique que de l’artifice littéraire : le seul nom qu’on lui connait, Marcello, lui est donné sans qu’il confirme ni ne démente) n’est pas différent : tel un Meursault (de Camus) égaré au pays de Dante, il est content de se laisser vivre en énonçant les turpitudes des Chinois sans rien faire pour changer sa condition de glandeur magnifique ! En ce sens, Pincio fait preuve d’une ironie sous-jacente, mais mordante qui rappelle les meilleurs satiristes.

Alors oui, il y a ce crime dit atroce qui sous-tend le récit, face auquel le narrateur reste plus ou moins passif, et il importe moins de savoir ce qui s’est passé exactement que le chemin qui y a mené : le rebondissement final, loin de la dictature du « twist » à la mode, est vécu par le narrateur de la même façon, avec un détachement existentiel qui montre que l’essentiel est ailleurs.

Un roman qui est aussi celui de Rome, la ville monstre où passent les fantômes du « Décaméron » et de Fellini, et qui est un personnage à part entière de l’histoire, ponctuée de notes d’atmosphère et de rappels historiques jamais forcés.

Transgenre, avons-nous dit, mais si ce roman puise dans le polar et l’anticipation (Pincio ayant déjà publié deux roman de SF pure, quoique assez idiosyncratique), une seule étiquette lui convient, fût-elle galvaudée par les hordes salonnardes : celle de littérature. La vraie, celle qui fait réfléchir et embellit l’âme et donne l’impression, au mot « fin », d’avoir accompli un véritable voyage immobile.

Littérature donc, servie par une écriture extraordinaire de justesse, bourrée de phrases qu’on a envie de relire plusieurs fois rien que pour le plaisir, développant une poésie de la déchéance digne des chantres de la décadence du XIXe siècle, qu’on imagine servie par une traduction lumineuse. Et c’est aussi, sous ses détours cyniques, une œuvre profondément humaniste.

Bref, un bijou, et un rare. On ne peut que féliciter les éditions Asphalte d’avoir osé débusquer et publier une telle merveille. Et on se prend à rêver que, si les salons où l’on cause et autres professionnels de la profession traitent cette œuvre par le mépris, ce soit nous, les lecteurs, ceux qui achètent des livres (beurk !) qui fassions son succès. Chiche ?


Titre : Cinacittà, mémoires de mon crime atroce (Cinacittà : mémorie del mio delitto efferato)
Auteur : Tommaso Pincio
Traduction de l’italien (Italie) : Sarah Guilmault
Couverture : Tommaso Pincio
Éditeur : Asphalte
Site internet : page roman (site éditeur), une chronique et une interview de l’auteur
Pages : 308
Format (en cm) : 15 x 20
Dépôt légal : juin 2011
ISBN : 978-2-918767-13-8
Prix : 20 €



Thomas Bauduret
29 septembre 2011


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