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Victimes et Bourreaux (Imaginales 2011)
Stéphanie Nicot (dir.)
Mnémos, Imaginales, anthologie (France), nouvelles, fantasy, 237 pages, mai 2011, 18€

Victime et bourreau. Les rôles sont clairs, et pourtant, parfois, ils se troublent, se mélangent, s’intervertissent. En douze textes d’auteurs français, piliers de l’imaginaire ou poulains de l’éditeur, la frontière entre celui qui assène le coup et celui qui le subit s’estompe...



Après « Rois et capitaines », puis « Magiciennes et Sorciers », Voici donc « Victimes et Bourreaux ». Deux rôles clairement définis, pourrait-on croire, et pourtant, le sel des histoires de ce recueil viendra souvent, on le devine, d’un renversement des rôles. Ce sera en tout cas plus subtil que la seule observation d’une séance de torture...

C’est pourtant là-dessus que Charlotte Bousquet, auteure d’« Arachnae » et « Cytheriae », et coup de cœur des Imaginales 2011, ouvre les hostilités avec sa “Stratégie de l’Araignée”. Une femme, torturée, bouc émissaire, qui résiste, et refuse de s’avouer vaincue. Le texte se déroule dans l’Archipel des Numinées, comme les deux romans précédemment cités, et peut-être certains protagonistes secondaires en sont-ils tirés, mais pour qui ne les ai point lus, comme moi, il semble manquer des clés. Cette première histoire s’avère donc un brin décevante, l’auteure n’y forçant guère son talent.

Michel Robert, qui avait laissé son poulain Julien d’Hem œuvrer dans les deux tomes précédents, propose avec “Qjörll l’Assassin” un univers entre fantasy et western. Son vocabulaire à propos des lieux (la Frontière) comme des adversaires de sa petite troupe (les Pachees) nous fait douter des codes visuels mentaux à poser sur ses mots : sont-ce des cow-boys, avec hache à deux mains et arbalète ? L’histoire mêle d’ailleurs les codes ultra-classiques du genre à cet univers légèrement teinté de fantasy : un héros ancien soldat, dont c’est la dernière mission avant la retraite, un criminel à ramener devant les juges, un territoire hostile à traverser, des poursuivants sans pitié, et alors que la liberté est en vue, la fin de l’espoir dans une ultime bataille digne de Fort Alamo (à moindre échelle, certes). Franchement un bon moment de lecture.

On monte d’un cran, voire deux, avec le “Porter dans mes veines l’artefact et l’antidote” de Justine Niogret. Un texte court, incisif, noir et cruel. Une fantasy qui abolit l’espace (on évoque des voyages d’une planète à l’autre), où tout se joue presque en huis-clos (dans un cirque), entre une poignée de personnages. Un étrange cheval, alien pourrait-on dire, nouvelle attraction du cirque, constate, subit, endure les souffrances d’une écuyère maltraitée par les entités sombres qui dirigent l’endroit. Ode à la souffrance endurée les dents serrées, mais aussi à la force qui jaillit du plus profond de soi pour s’abolir de tout cela, enfin. Le prix Imaginales 2010 nous offre une pépite...

Question noirceur, Maïa Mazaurette n’est pas en reste avec le presque historique “Que justice soit faite !” Son narrateur, face au jeune et unique survivant d’une peste violente, raconte comment c’est lui qui a prié Dieu de châtier les impurs et les infidèles, et son désarroi de ne subir de martyre terrestre pour ce qu’il a fait. Au-delà de l’horreur qui monte de paragraphe en paragraphe, le passage mettant en scène la foule s’en prenant aux Juifs, boucs émissaires habituels, et le moine qui s’interpose, se propose comme victime expiatoire, alors qu’il est le vrai coupable, donne à réfléchir. Et lorsque femmes et enfants hébreux meurent dans les flammes, lui le fanatique prie pour eux, qui étaient innocents... Après « Dehors les chiens les infidèles », encore un texte où la religion avec ses excès est un thème majeur et fort bien traité, sans sombrer dans les clichés.

Qui sera le bourreau ?” de Pierre Bordage est un texte tout simple. Un tyran déchu doit être exécuté. On choisit de laisser cet honneur à qui a le plus souffert de ses actes. Et chacun de narrer ses malheurs, avant de réaliser qu’il a lui-même infligé bien pire, et peut-être pas mérité son sort, mais provoqué, certainement... Texte sans effet outrancier, succinct, bien construit, et qui répond parfaitement à la thématique de l’anthologie : le bourreau peut être une victime, mais s’il est devenu victime c’est qu’auparavant il aura été bourreau... C’est toujours un plaisir, même s’il est rare, de lire la fantasy de Pierre Bordage. Vivement l’an prochain !

Ton Visage et mon cœur” de Nathalie Dau s’absout de toute bataille. La victime et le bourreau seront les membres d’un triangle amoureux, entre un époux, soldat valeureux élevé à la petite noblesse, sa jeune épousée qu’on lui a choisi, et le prêtre-sculpteur chargé de fabriquer, l’hiver avant les noces, le portrait de pierre de la jeune fille. Le bourreau de cette histoire, c’est la jalousie, qui mine le cœur du soldat, et qui fera de lui son propre bourreau et l’une de ses victimes. Magnifique preuve du talent de l’auteure, un texte parmi les plus sensibles de cette anthologie.

Frères d’Armes” joue un peu sur le même tableau, même si le côté épique est bien plus présent. Dans un collège de magie guerrière, où on forme des escouades de combattants unis, l’arrivée d’un jeune prodige va bousculer les liens entre les ados. Liens débridés par une Jeanne-A Debats qui n’admet aucun tabou dans le monde qu’elle crée, notamment sexuel, ce qui nous contraint (agréablement, je dois dire) à revoir nos codes de lecture des sentiments de chacun. Pour qui ne connaissait pas l’auteure de « La Vieille Anglaise et le continent », de quoi mettre l’eau à la bouche.

Point de rappel aux immense conflits du Vieux Royaume dans le “Désolation” de Jean-Philippe Jaworski. Au contraire, une histoire ramassée, géographiquement et politiquement restreinte (pour un temps du moins) : un clan nain porte secours à un autre, attaqué par des gobelins. Mais pour les rejoindre à temps, il faudrait franchir la vallée du dragon, et la cité interdite... Nains et esclaves gnomes devront s’affranchir d’une crainte millénaire. Mais le chef du clan sait de quoi il retourne, et sa principale crainte n’est pas un dragon, mais la vérité... Coup de maître que cette histoire, où le raccord à la thématique ne se révèle que dans un final qui met fin à une oppression qui va crescendo au fil des pages. Une tournure vraiment originale, et une torture sociale en plus de la torture psychologique instillée par les vieilles légendes...

On change de décor avec “Le Deuxième Œil”. Auteur de « Chevaucheur d’ouragan » chez Mnémos, Sam Nell nous envoie dans les montagnes bouddhistes, aux côtés d’une apprentie qui voit dans l’accomplissement des rites de passage un moyen de s’absoudre du chancre qui la ronge. L’arrivée d’un vieil ennemi du vieux maître du monastère va chambouler ses plans. Très bon récit, loin des codes habituels de la fantasy, aux implications plus larges que ses pages, et au retournement final délectable, dont on ne regrettera que le côté artificiel, au premier abord du moins, de la scène de torture. Elle sert l’intrigue, tout comme la souffrance intérieure de la narratrice.

Vient ensuite, enfin, mon texte préféré. Celui que je me suis retenu de lire en premier, de dévorer. Et il n’en est que meilleur. Dans “Au-delà des murs”, Lionel Davoust nous ramène sur le champ de bataille de Clerdanne, assaut narré dans l’excellent “Bataille pour un souvenir” (publié dans l’anthologie « Identités » et le recueil « L’Importance de ton regard »). Un soldat, survivant de Clerdanne, n’a plus aucun souvenir d’un massacre perpétré dans le monastère des guerriers-mémoire. Dans un sanatorium impérial, il tente, avec l’aide d’un médecin, de balayer les ténèbres de son esprit. Mais au fil de cette remémoration, qui nous donne un autre point de vue des évènements de “Bataille...”, une idée germe en lui... Et je ne vous en dis pas plus. Le texte est magnifique, la montée en puissance savamment contrôlée, l’épique des souvenirs de Clerdanne alterne avec le calme tendu de la thérapie, et la fin, bon sang, la fin... est à couper le souffle, tant le retournement est aussi implacable, logique et violent qu’incroyablement inattendu.

Après cela, “Le Démon de Mémoire” de Paul Beorn m’a paru bien terne. L’histoire, une fantasy assez classique, est sympa, et la torture que subit le narrateur pour conter son récit est assez subtile, mais très accessoire. Le jeune auteur de « La Perle et l’enfant », chez Mnémos, s’il ne peine à captiver, ne semble pas donner la pleine mesure de son talent. Pour ne pas avoir voulu sombrer dans les facilités du thème imposé, il passe à côté, ce qui est un peu dommage.

Heureusement (ou pas), pour le rattraper, l’anthologie se termine sur l’inepte “Mazbaleh”. Xavier Mauméjean pond un texte court, découpé façon Évangiles, bourré d’ellipses à base de majuscules pour parler du Grand Barbu. Si le style est là, le fond est d’un mysticisme fantastique relativement abscons et on apprécie que cela ne dure qu’une poignée de pages.

Dernier bémol, comme les années précédentes, et malgré un correcteur remercié en fin d’ouvrage, encore beaucoup de coquilles (plus de 40), dont certaines impardonnables, car un simple traitement de texte les signale : puits sans s p. 129, des majuscules accentuées une fois sur deux, ou encore une espace avant la virgule aux pages 65 et 214. Les bios des auteurs n’y échappent pas, comme en témoigne le “Plagueurs” pour Jeanne-A Debats. (liste exhaustive sur demande)

Il faudra donc admettre qu’à l’exception des extrémités un peu décevantes, ce troisième opus des Imaginales est très plaisant. Le thème est bien traité par les auteurs, avec suffisamment de variété et d’inventivité pour susciter l’enthousiasme à chaque nouveau texte. On n’atteint pas la perfection, certes, mais le plaisir de lecture est au rendez-vous plus souvent qu’à son tour, et cela pardonne les quelques scories, faiblesses et écarts.

Signalons pour terminer le grand absent de ces histoires, à savoir le bourreau professionnel. À croire que personne n’a voulu s’engager sur le chemin du grand-œuvre de Gene Wolfe. La couverture de Julien Delval me semble un peu en deçà des précédentes, figée, la victime n’interpellant guère le spectateur, par un regard ou une pose. Elle semble au mieux résolue à son sort. Là encore, mon avis est biaisé par le dessin de Guillaume Sorel pour l’édition Denoël - Lunes d’encre de « L’Ombre du Bourreau » (voir lien ci-dessus).


Titre : Victimes et Bourreaux
Direction de l’anthologie : Stéphanie Nicot
Auteurs : Jeanne A. Debats, Paul Beorn, Pierre Bordage, Charlotte Bousquet, Nathalie Dau, Lionel Davoust, Jean-Philippe Jaworski, Xavier Mauméjean, Maïa Mazaurette, Sam Nell, Justine Niogret, Michel Robert
Couverture : Julien Delval
Éditeur : Mnémos
Collection : Fantasy / Imaginales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 237
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2011
ISBN : 978-2-35408-118-8
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
28 juin 2011


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