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Le cyberespace de l'imaginaire




Gradisil
Adam Roberts
Gallimard, Folio SF, n° 372, traduit de l’anglais (Royaume-Uni), science-fiction, 769 pages, mai 2010, 11€

Au cours du 21ème siècle, une poignée de rêveurs obstinés, d’ingénieurs talentueux et d’excentriques fortunés, effarés par l’obsession de leurs pays respectifs à vouloir gagner l’espace à l’aide de fusées aux technologies primitives et coûteuses, imagine d’utiliser les couches successives de la magnétosphère pour conquérir les orbites terrestres. Non seulement ces idéalistes y parviennent à l’aide de jets modifiés, non seulement ils s’y installent pour y vivre, mais ils y créeront un nouveau pays.



Gradisil, c’est ce que comprend Klara Gyeroffy lorsque son père lui parle pour la toute première fois d’Yggdrasil, l’arbre-monde des mythologies nordiques. Cet arbre-monde est pour lui une image, mais aussi une obsession : dans son esprit, les branches de cet arbre ne sont rien d’autre que les couches de la magnétosphère terrestre, sur lesquelles il devrait être possible de s’appuyer pour s’élever sans cesse plus haut, jusqu’à gagner les lointaines orbites. Un rêve fou que vont réaliser, à l’aide de jets trafiqués, Miklos Gyeroffy et quelques autres.

Dès lors peuvent s’installer en orbite, dans des conteneurs modifiés, quelques riches excentriques désireux de se retirer du monde. Milliardaires, rêveurs, artistes, criminels en fuite trouvent dans les Hautes-Landes, le pays en orbite, un monde propice à leur désir de solitude. Grâce à leurs jets, ils peuvent se rendre mutuellement visite dans leurs demeures spatiales séparées par d’immenses espaces, mais aussi redescendre à volonté sur terre.

Après la disparition de son père, Klara vivra longtemps dans cet univers interlope avant, enceinte, de regagner définitivement, du moins le pense-t-elle, la surface terrestre, où elle donnera naissance à sa fille Gradisil. Recrutée quelques années plus tard par les pays européens pour devenir leur ambassadeur dans les sphères orbitales, elle n’y restera que le temps d’y affronter quelques vieux démons.

Mais sa fille ne sera pas longue à reprendre le flambeau, et anticipant la guerre que l’Amérique s’apprête à mener pour s’emparer de ce nouveau pays, s’affairera des années durant à lui donner âme, à fédérer quelques milliers de demeures orbitales et d’individus disparates en une entité capable, non pas de s’opposer militairement à une grande puissance, mais de lui offrir suffisamment de résistance pour que le conflit dure plus longtemps que prévu, jusqu’à un retournement de situation que nul n’attendait. Mais Gradisil trouvera la fin tragique des visionnaires et des révolutionnaires, et l’histoire se poursuivra sur de nouveaux rêves d’un de ses propres enfants, lui aussi visionnaire, qui, alors que les habitants des orbites ont installé des bases sur la Lune, est capable de voir plus loin encore.

Si l’ensemble est séduisant, on pourra faire à ce volumineux ouvrage quelques menus reproches. Des physiciens trouveraient sans doute à redire à certains aspects scientifiques. Dans la première partie, l’aspect « bricolage » des premières habitations orbitales est sans doute un peu trop accentué. La révélation finale de ce premier volet apparaît alambiquée et surtout inutile, dans la mesure où la qualité intrinsèque de ces deux cent cinquante premières pages ne requérait aucun artifice. Une ou deux péripéties semblent assez peu vraisemblables. Et la troisième partie, étonnamment brève en regard des deux précédentes, semble un moment ouvrir sur de nouveaux horizons, puis se referme sur elle-même sans pour autant conclure.

Mais ces imperfections mineures ne suffisent pas à entamer les qualités d’un ouvrage dont la densité et la cohérence apparaissent assez rares dans la littérature de genre. En dessinant cette saga à travers le destin de plusieurs générations d’une même famille, l’auteur parvient à conférer au récit une humanité singulière. Les doutes, les enthousiasmes, les qualités et les failles de ces personnages sont décrites avec un réalisme qui relègue loin derrière lui l’habituelle psychologie de pacotille. La poésie des grands espaces est rendue avec un art consommé de l’écriture. Et, malgré de longues descriptions, l’auteur sait maintenir une tension telle que l’attention ne décroît pas une seule seconde, même sur une seconde partie qui s’étend sur plus de cinq cents pages.

On ne peut que saluer la fort louable initiative des éditions Bragelonne d’avoir traduit et publié en grand format cet auteur inédit en France (du moins sous son nom officiel puisque l’on peut lire certains de ses pastiches sous le nom de A.R.R.R. Roberts) et la bonne idée de Folio SF de l’avoir repris au format poche. Récit dense et fouillé, détaillé, travaillé, atteignant une envergure plus qu’estimable, « Gradisil » est un de ces romans qui assument leur ambition et font pleinement honneur au genre.


Titre : Gradisil (Gradisil, 2002)
Auteur : Adam Roberts
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Elisabeth Vonarburg
Couverture : Masterfile
Éditeur : Gallimard (édition originale : Bragelonne)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 769
Format (en cm) : 10,7 x 17,7 x 3,2
Dépôt légal : mai 2010
ISBN : 9-782070-396726
Prix : 11 €



Hilaire Alrune
14 juin 2011


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