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Meurtre des Nuages (Le)
Lil Esuria
Les Netscripteurs, roman noir, roman (France), fantastique très noir, 142 pages, octobre 2009, 9,50€

Max est à deux doigts de la mort. Et se confesse : nous ne devons pas le plaindre, le prendre en pitié, car il a plus que mérité ce qui l’attend. Pire, il en a été l’artisan pleinement conscient.

Lycéen invisible dans la masse, torturé par le romantisme des grands ados, bourré de clichés qu’il croit être le premier à inventer sur la beauté et les femmes, Max se sert de l’écriture comme exutoire à ses fantasmes.
Jusqu’au jour où un de ses textes se réalise. Puis un second. Sa prose est prophétique. Désormais, il lui suffit d’écrire pour avoir. Tout. Sans limite. Et c’est bien là le problème...



Pas besoin de vous brosser le tableau bien plus avant : après avoir séduit la fille de ses rêves, puis sa prof d’Histoire, et les avoir jetées l’une et l’autre d’une simple ligne (d’un simple trait de plume, serais-je tenté de dire), Max s’affranchit du lycée, des limites, de la morale, il s’écrit rock-star locale, adulé, immunisé aux effets secondaires de l’alcool et des drogues qu’il consomme sans modération, couvert de filles qui ne demandent qu’à assouvir le moindre de ses désirs.
Dans cette spirale de sexe et de drogues, Max perd pied rapidement, jusqu’à ce que tout lui revienne en pleine figure, que son pouvoir échappe à son contrôle, que de marionnettiste il devienne pantin. Et dès lors qu’il prend conscience de ses actes, plus dure sera la chute...

Le texte de Lil Esuria n’est pas pour les âmes sensibles. La confession de Max, qu’il rédige dans les dernières heures de sa vie, alterne récit de ses actes, de la découverte de son pouvoir à sa perte de toute envie de vivre (en énumérant pour notre plus grand dégoût la folle poursuite du Plaisir Absolu, toujours fuyant face à la facilité avec laquelle Max l’assouvit) et l’auto-flagellation de Max, qui nous implore régulièrement de ne pas avoir pitié de lui, car il l’a bien mérité. Notre ignorance des détails nous pousse, les premiers temps, à la compassion, mais celle-ci s’estompera vite au fil des pages, passée la première moitié de ce court roman-confession.
Car si, comme le dit l’auteure en post-face, “Max n’est, après tout, qu’humain”, et qu’on n’a aucun mal à comprendre les premiers excès qu’il s’autorise avec son pouvoir (assouvir ses premiers fantasmes : sa camarade de classe qui ne le voit que comme un ami, et sa professeure), on peine à suivre lorsque brutalement, par un saut dans le temps -de combien de jours, de semaines, je ne saurais dire-, Max s’est propulsé rock-star se vautrant dans le sexe et la drogue.
Si la gymnastique est un peu dure pour le lecteur, l’auteure, qui ne s’exprime que par la voix de son personnage, ne nous aide guère : nos repères sont brouillés par cette vision interne forcément parcellaire. Ainsi, en plus du temps, on restera longtemps dans le flou du comportement des proches de Max, car lui-même s’y intéresse peu, et d’une ligne se charge de détourner l’attention de qui lui ferait des remontrances...

Bref, la seconde moitié du roman est une longue et pourtant rapide dégringolade de rock-star, avant un retour à ce que Max est vraiment : un lycéen en manque de repères. Mais il n’est plus de retour en arrière possible, le mal est fait. Et continue. Et maintenant que nous savons tout, nous ne plaignons plus ce gamin qui s’est pris pour Dieu, oh non ! Mieux, nous souhaitons aussi ardemment que lui qu’il en finisse.

D’une noirceur extrême, ce roman pose la question du pouvoir absolu. Tout lecteur condamnera tôt ou tard l’usage que Max fait de son pouvoir : un usage personnel et égoïste, alors qu’il aurait pu être altruiste. Mais encore une fois, pour reprendre Lil Esuria, si nous avions été à sa place, où nous serions-nous arrêtés ? Qui n’a jamais voulu, en plus de la paix dans le monde, toucher le Loto ? Qui n’a jamais rêvé de sortir, coucher avec ces mannequins, ces acteurs/actrices qu’on voit sans cesse, d’une beauté telle qu’on n’a qu’une envie : toucher, posséder, puis finalement, comme Max, souiller, rabaisser, détruire ?
C’est la nature humaine. Bienvenue parmi nous.

Toi qui entres ici, abandonne tout espoir”. Le frontispice de l’enfer de Dante pourrait parfaitement convenir à ce « Meurtre des Nuages », ouvrage d’une noirceur sans concession quant à ce dont l’être humain est capable pour peu qu’on lui en laisse les (pleins) pouvoirs. Noirceur violente, parfaitement rendue par les choix esthétiques de la couverture.

Il y a très longtemps, j’ai lu « Hell » de Lolita Pille, qu’on décrivait alors comme une jeune auteure montante, révélation de l’année et tout le toutim. Une histoire de jeunesse dorée, désabusée, qui sombre dans les excès, qui se croit sauvée par l’Amour, et qui replonge. Un petit bouquin que je vous déconseille, car tant sur le fond que la forme il ne vaut pas même le papier sur lequel il est imprimé. Au pire, regardez le film, pas meilleur (si c’est possible), qu’on en a tiré. Eh bien, « Le Meurtre des Nuages », s’il joue sur le même registre d’un ado en manque de repères, est à cent lieues de cela. Au-delà de la dimension fantastique du texte, on a une vraie plume, un style percutant, travaillé, qui vous prend au tripes. Presque trop, serais-je tenté de dire.

Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains, donc, et à lire comme un thriller, genre « Silence des Agneaux ». Avec de la distance vis-à-vis de ce héros qu’on ne pourra que détester.

Après le premier tome fantasy de « Prophets » (et dont le deuxième vient de paraître), c’est donc un second ouvrage remarquable, sinon recommandable, qui sort chez les Netscripteurs. Je ne peux qu’acclamer, une nouvelle fois, le travail d’Isabelle Marin et la volonté de la maison de publier d’aussi talentueux jeunes auteurs.

Texte - 972 octets
Le Meurtre des nuages - corrections

Quelques coquilles demeurent, rien de bien grave. J’ai eu plus de soucis à certains passages avec la culture dont fait montre Max, lui qui est censé être un élève plus que moyen. Si je peux comprendre que l’ado en quête de Beauté se plonge classiquement dans « Les Fleurs du Mal », qu’il fasse des analogies littéraires et picturales (notamment l’œuvre de Miro) dans sa confession post-rock-star shootée m’a laissé dubitatif. Se serait-il “écrit” quelque part une ligne lui donnant cette science ?


Titre : Le Meurtre des Nuages
Auteur : Lil Esuria
Couverture : Laurie Liautaud
Editeur : Les Netscripteurs éditions
Collection : Roman Noir
Site Internet : Page roman (site éditeur)
Pages : 142
Format (en cm) : 11 x 17 x 1,3
Dépôt légal : octobre 2009
ISBN : 978-2-9529994-1-0
Prix : 9,50 €



Nicolas Soffray
17 mars 2011


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