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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




La plume et l’absinthe
Entretien avec Francis Thievicz

Dans le brouillard épais, je ne retrouvai le lieu de rendez-vous qu’avec d’extrêmes difficultés. La lueur bleutée des becs de gaz n’éclairait pas grand-chose, et j’eus bien du mal à localiser, à l’arrière du Muséum d’Histoire Naturelle, les vieilles serres botaniques à l’abandon. Francis Thievicz m’attendait au pied des marches.
Lorsque j’arrivai, il siffla un cab qui émergea de la brume, puis, en chuchotant, me pria d’y monter le plus vite possible. Bien lui en prit car, déjà, d’horribles créatures, éveillées peut-être par le grincement des essieux et le claquement des sabots, sortaient en rampant des serres ruinées et se dirigeaient vers nous.
Le fiacre nous emmena dans des quartiers dont j’ignorais l’existence : bas-fonds où rôdaient des personnages difformes, ruelles tortueuses aux façades hérissées de gargouilles, allées tracées dans des forêts de mausolées et de tombes. Durant cet étrange voyage, malgré ma fascination pour les lieux traversés, je parvins à poser quelques questions à l’auteur et à noter l’essentiel de ses réponses. Voici donc ce que je griffonnai ce soir là dans mon calepin, tandis que la lueur des becs de gaz, tombant par intermittence dans le fiacre, donnait à nos visages l’allure froide et bleutée des cadavres :




Vous avez publié en décembre dernier « Le Miroir Noir et Autres Curiosités », un ouvrage totalement inattendu et résolument à contre-courant de ce qui se fait depuis le début du millénaire. Pour commencer, ce volume est composé de nouvelles fantastiques, alors que depuis quelques années les éditeurs s’accordent à dire que de tels recueils sont invendables. Ensuite, ces récits sont étonnamment brefs, alors que la tendance, hors roman, serait plutôt aux « novellas ». Enfin, vous choisissez un style classique, précieux, suranné, que bien peu de lecteurs sans doute sont prêts à apprécier. Enfin, vous pratiquez un humour teinté de macabre qui n’est pas précisément à la mode. S’agit-il pour vous d’une volonté délibérée de vous inscrire à rebours du flux éditorial contemporain ou d’une affinité toute personnelle pour les atmosphères fin-de-siècle ?

Je vous avoue ne pas être au fait des productions littéraires qui ont eu cours depuis la grande guerre, à part Lovecraft et quelques rares autres exceptions. Je ne me pose pas de questions quant à l’insertion de mes écrits dans un courant.
À vrai dire le Club de curiosités n’a pas été initialement écrit pour se voir un jour publié, encore moins pour s’inscrire dans quelque mode que ce soit.

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Les éditions La Clef d’Argent semblent en étroite relation avec votre univers. Elles publient en effet les aventures de Coolter et Quincampoix, investigateurs du bizarre créés par Philippe Gindre et Christian Hibon, et les enquêtes du Club Diogène, de Jérôme Mouret et Guillaume Sorre – depuis lors reprises aux éditions Malpertuis - dans des ambiances ou uchronies proches de la vôtre. On se serait donc attendu à trouver « Le Miroir Noir et Autres Curiosités » dans ce type de collection, alors que vos nouvelles sont sorties aux Éditions de l’Antre, qui n’étaient pas jusqu’alors positionnées sur ce segment de la fiction. Pouvez-vous nous dire par quel chemin votre manuscrit est arrivé chez cet éditeur  ?

Le Club de curiosités était avant tout un moyen pour moi de passer de bonnes soirées en compagnie de gentlemen cyniques qui partagent mon goût pour l’humour bizarre et les choses
insolites.
Mais j’ai partagé quelques-unes de ces aventures littéraires avec un érudit en matière d’histoires étranges, le webmaster de heresie.com. Comme il connait J. Dugast des éditions de l’Antre et qu’il savait qu’il cherchait des textes dans ce genre il m’en a demandé davantage et
les lui a transmis.
Je suis un grand lecteur des ouvrages de la Clef d’argent (Codex Atlanticus, collection Ténèbres et compagnie, collection NoKhThys), probablement proposerai-je quelque chose de l’un de mes autres projets à Philippe Gindre dans un proche avenir. Et à propos de Coolter et Quincampoix, j’ai écrit une micro-nouvelle parue sur le site de l’I.E.A :
http://iea.free.fr/imprevu.php

Vous prenez soin de ne pas situer avec précision les lieux ni l’époque. Tout naturellement, on pense au Paris de la Belle Époque, mais on sait, depuis le début de « Si par une nuit d’hiver un voyageur », d’Italo Calvino, à quel point il faut se méfier de ce type d’impression. En fait, on pourrait tout aussi bien être dans l’une ou l’autre des mégalopoles naissantes d’Europe, voire même dans le Londres post-victorien qui est, via le genre « steampunk », devenu le lieu emblématique du genre. Mais on constate également que tout est question de tonalité, et que l’ambiance générale de vos récits est, sans doute, rehaussée par cette imprécision, ce flou qui est aussi une estompe, comme le smog des rues londoniennes, sur le plan pictural, génère une atmosphère particulière. Avez-vous adopté cette imprécision, disons, de manière stratégique, pour vous autoriser une plus grande marge de manœuvre en évitant le carcan de détails architecturaux ou historiques ou bien s’agit-il au contraire d’un impératif poétique, une sorte de monde généré en vous par la fusion de villes et d’époques diverses, et qui vous semblait convenir au mieux pour y animer vos personnages et développer vos intrigues ?

Situer le Club dans une ville précise lui ferait perdre de son charme. Dès que quelque chose devient trop précis il en perd en mystère, un peu comme un livre dont on a imaginé les décors et que l’on découvre au cinématographe, tout est différent de ce que l’on se figurait. La ville du Club de curiosités n’est ni Paris, ni Londres, ni aucune autre réelle, seulement celle que le lecteur créé à partir des bases jetées sur le papier. Et on ne peut de toutes façons pas s’y tromper, la ville est dans le livre, littéralement, juste entre l‘encre, le papier et l‘imaginaire.

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Vous ne décrivez pas longuement les lieux, mais parvenez à les suggérer en peu de mots. L’imagination du lecteur fait le reste. Pourtant, ces lieux, ces ambiances sont particulièrement importantes. Aviez-vous à l’esprit, malgré le flou évoqué plus haut, des images bien définies, votre univers a-t-il été généré par quelque influence architecturale ou picturale ?

Tout est très précis dans mon esprit, j’ai véritablement passé des centaines de soirées à la taverne de Howard l’hydrocéphale. Vraiment, ce n’est pas parce que c’est imaginaire que ça n’a pas lieu !

Je pourrais parler d’influences, des esthétiques Belle époque ou Victoriennes, mais je crois qu’au-delà de tout c’est un certain idéal nostalgique de l’inconnu qui se dégage. J’aime ces vieilles photographies floues en noir et blanc, ces daguerréotypes où l’on ne distingue plus qu’à peine les visages et les silhouettes, et les vestiges architecturaux de ces époques qui se distinguent avec un indéniable et éloquent charme de l’urbanisme du XXI°. Ce ne sont que des notes, des touches en ultra basse définition qui pourtant flamboient tellement plus que tout ce qui a pu suivre... Et comme cela appartient à quelque chose qui est à la fois fini mais incomplet, il suffit de laisser son imagination combler les trous.

Ces auteurs dont on ressent, à travers vos textes, l’influence à la fois poétique et sarcastique – Jules Lermina, Villiers de l’Isle-Adam, Philarètes Chasles par exemple – comment sont-ils, à travers plus d’un siècle, parvenus à vous atteindre ? Les pages jaunies de leurs vieux volumes ont-elles été le miroir sépia reflétant leurs idées directement dans vos prunelles avides d’étrange et de sensationnel, ou bien les fantômes de ces écrivains sont-ils parvenus à s’installer à l’intérieur même de votre boîte crânienne afin d’y jouer de vos axones comme d’un instrument, et de leur faire exécuter des symphonies semblables à celles qu’en leur temps ils interprétèrent ?

Je dois avouer que j’ai une mémoire véritablement défectueuse. Il m’est déjà arrivé de lire plusieurs fois un livre sans rien m’en rappeler. Si je précise cela c’est parce qu’il m’est difficile de savoir si j’ai seulement lu ces écrivains en particulier, même si leurs noms résonnent en moi de manière assez familière. Je crois que le problème vient aussi du fait que je lis rarement les titres et les noms des écrivains. Les écrivains que je relis avec plaisir et dont les écrits me restent en mémoire sont Lovecraft pour sa plume atemporelle et Maupassant pour ses nouvelles fantastiques qui sont à la fois simples et libres d’interprétations. Mais peut-être les cité-je parce que ce sont les livres qui n’ont pas de place dans ma bibliothèque mais qui sont, avec un recueil de Schopenhauer, toujours à portée de main sur le guéridon près de mon fauteuil.

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La publication de votre ouvrage a attiré les louanges. Mais il y a, comme toujours, un revers de la médaille. Quelques subjonctifs désaccordés ont heurté quelques puristes. Gustave Flaubert et Barbey d’Aurevilly ne se sont pas contentés de se retourner dans leur tombe : on dit que leurs spectres désormais vous apparaissent, vous poursuivent, vous harcèlent. Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur ces manifestations posthumes et sur la manière dont vous envisagez - si cela est humainement possible – de mettre fin à cette hantise littéraire ?

Ah ! les fantômes des écrivains sont si aisés à manipuler... Quelques louanges et voilà les vaniteux qui cessent de faire traîner leurs chaînes sur le parquet. Ils ne me dérangent pas tant qu’ils ne me forcent pas à les écouter se vanter de leur légende.

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Dans le compte-rendu que nous avons fait de votre ouvrage, nous avons signalé un certain nombre de coquilles. On trouve pourtant assez facilement, de nos jours, l’améliorateur orthographique éthérique inventé par Sam Van Hoffen, sorte de concasseur lexical à fautes de frappes, qui, couplé au balayeur de pages à triple engrenage spiroïde de Malpighi, permet de débarrasser un volume de deux cents feuillets de ses scories en quelques dizaines de minutes. N’avez-vous pas utilisé ce mécanisme, ou bien quelque vent trans-dimensionnel inopportun a-t-il renvoyé, de façon diabolique, ces scories entre vos pages ?

L’éditeur a dû subir mes petits caprices. Je changeais certaines tournures, hésitais sans cesse entre plusieurs synonymes, etc... Comme nous échangions des fichiers dans un format avec correcteur automatique de Spalovitch seules les coquilles russes nous ont été signalées.

Mais évidemment tout cela n’est pas vraiment crédible, il n’y a aucun correcteur automatique de Spalovitch. On devinera aisément que ce sont les cadavres des écrivains évoqués plus haut qui ont tenté d’entacher ma réputation en venant insérer quelques malicieuses et peu visibles coquilles ! Mais comme me l’a justement dit Miss Stiple, la lady du Club : « Il n’y a pas d’erreurs, seulement des curiosités. »

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On sent chez vous, dans cette ambiance fin-de-siècle, la tentation bien naturelle du steampunk. Dans le « Rapport offert à l’attention des nucléo-cyber sympathisants du club, improbables entités vivant aux inconcevables ères du deuxième millénaire », en ligne sur votre site, vous faites mention d’un inverseur mécanico-pneumatique d’ondes sonores qui n’est pas sans évoquer les machines infernales néo-victoriennes, alors que de tels objets ne figurent guère dans vos nouvelles rassemblées en volume. Était-ce-ce une intention délibérée de votre part, un souhait de ne pas vous inscrire trop manifestement dans ce courant littéraire, ou bien avez-vous décidé de privilégier dans un premier temps l’atmosphère et l’ambiance, et de réserver de prodigieuses inventions pour les volumes à venir ?

Je ne sais pas où commence ni où finit le steampunk. Son côté grotesque ne me déplait pas théoriquement, mais dans les faits ça ne fonctionne pas trop sur moi. Je préfère le fantastique classique où l’incroyable s’insinue plus sournoisement, où la science fiction a ce côté « steam » sans trop … « punk » .


Concernant la nouvelle placée sur le Myspace elle a été écrite comme une lettre ouverte d’un membre du Club de curiosités à l’attention des lecteurs du futur, alors il tente de présenter l’époque trépidante dans laquelle il vit et en rajoute un peu. J’avais bien conscience que cela pourrait fausser l’idée que l’on peut se faire du Club avant d’en lire davantage, mais les curiosités ne sont pas absentes des sciences appliquées.

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Le Club de Curiosités fait mention de plusieurs boissons fortes atypiques, mais on n’y trouve guère d’hallucinogènes. La littérature de l’époque qui vous intéresse est pourtant à ce sujet d’une richesse quasiment sans fin – citons par exemple Fitz Hughes Ludlow, Louisa May Alcott, Thomas de Quincey, Joseph Moreau de Tours. S’agit-il d’une volonté délibérée de votre part, ou d’un concours de circonstances, un hasard dû au choix opéré parmi vos textes pour la composition de ce volume ?

Ce n’est qu’un fait du hasard qu’il n’y ait davantage de substances hallucinogènes. Il en est assez régulièrement question, pour diverses raisons, mais vous verrez tout cela dans la suite des aventures de ces curieux personnages.

Le ressort fondamental de la plupart de vos textes n’est pas le fantastique mais plutôt – comme le nom du Club le laisse entendre – l’anormal, le tératologique, l’exception. Mais ces anomalies, qu’elles soient physiques ou psychologiques, induisent par leur essence ou par leur mise en scène un fort sentiment d’irréel, comme si leur étrangeté même contaminait l’ensemble des récits. Et sous la désinvolture abondamment cultivée par les protagonistes, on devine parfois une sourde terreur. L’exception est-elle, pour vous, immuablement grotesque, inquiétante ? Ne concevez-vous pas de curiosité qui puisse être esthétique, lumineuse, porteuse d’espoir ?

Je ne qualifierais pas la terreur comme quelque chose de forcément opposé à l’esthétique, l’espoir ou la lumière. Je crois qu’il a été avancé (par qui et quand ?) qu’on lit des histoires d’horreur pour se figurer qu’il y a pire que le quotidien. Il me semble pourtant que ce que j’écris est plus plaisant et plus amusant que la réalité. Je préfère ce Club à n’importe quel autre société réelle.

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De manière générale je n’aime pas connoter les évènements ou les actes, ils ont des portées trop vastes et complexes pour pouvoir prétendre les qualifier de bonnes ou mauvaises.

L’anormal peut permettre le génie, la tératologie n’est qu’une forme de normalité marginale, et c‘est après tout par l‘exception et la capacité à tirer partie de ses faiblesses que l‘on peut se distinguer. Mais une curiosité pourrait tout à fait être telle que vous l‘entendez, majoritairement considérée comme agréable et belle, c’est l’œil de l’observateur qui le détermine.


À la lecture de votre recueil, « Le Miroir Noir et Autres Curiosités, il apparaît clairement que vous êtes fasciné par les tératologies. Êtes-vous vous-même un monstre ?

Je suis cul-de-jatte et pied bot. On m’a dit que ce n’était pas possible, pourtant c’est le cas... Mais même sans cela je serais un monstre, du moins j‘espère.

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Les aventures du Club de Curiosités peuvent êtres décrites non seulement comme une recherche systématique du bizarre, mais aussi comme une série d’examens attentifs des faits. Vos récits tiennent donc de l’investigation policière, de l’expertise scientifique, de l’examen anatomique ou psycho-pathologique, bref, de l’enquête. Vos activités extra-littéraires, qu’elles soient professionnelles ou non, vous conduisent-t-elles à mener de telles investigations ou à pratiquer des activités parallèles, mais dont la démarche pourrait s’apparenter à celle pratiquée par vos personnages ?

Je suis un insatiable investigateur imaginaire. Les seules activités extralittéraires notables sont musicales mais j’avoue ne pas y exceller autant que je le voudrais. Tout le reste n’a aucune importance pour moi.

La taverne dans laquelle ont lieu les rencontres du Club est aussi une sorte de Musée du Bizarre. Les protagonistes sont à l’évidence tous des collectionneurs. On devine que vous êtes un vous-même. Il ne fait aucun doute que ces crânes amassés par le narrateur sont pour vous quelques chose de bien trop conventionnel. Quels objets inouïs collectionnez-vous ?

Je collectionne principalement les idées sans conclusions tangibles.

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Trouvez-vous l’inspiration dans les livres ou bien dans des lieux plus concrets, muséums, cabinets de taxidermie, amphithéâtres d’anatomie, nécropoles, lieux à l’abandon, quartiers anciens, foires aux monstres, cabinets de fantasmagorie, ateliers d’artistes, resserres d’inventeurs fous, fabriques d’automates, gares anciennes, ou encore dans ces contrées connues de vous seul que sont vos propres songes ?

Je ne trouve que très peu d’inspiration dans la réalité. Les seuls musées que je visite sont imaginaires. Véritablement je ne trouve aucun intérêt à déplacer ma carcasse et user de mes sens physiques. J’ai longtemps cru que rien ne m’intéressait, finalement je crois que c’est qu’il n’y a rien d’intéressant. Même les vieux cimetières commencent à voir leurs vieux caveaux et mausolées remplacés par des blocs hideux rectangulaires dépourvus de tout attrait.

Les personnages du Club ont-ils été crées ex-nihilo, élaborés à partir de modèles littéraires, ou bien élaborés à partir d’individus de votre entourage ?

Ils ont été rencontrés dans mon imaginaire, au fur et à mesure des soirées passées au Club. Eux m’ont dit que c’est moi qu’ils ont inventé, que c’est vous, moi, ce fiacre et tout le reste qui n’existe pas.

En lisant votre recueil, on ne peut s’empêcher de penser au volume d’Edgar Poe « Ne pariez jamais votre tête au diable et autres récits non traduits par Baudelaire. » Un humour fin-de-siècle assez particulier imprègne plusieurs de ces nouvelles. Ce volume vous a-t-il marqué spécifiquement ou l’humour dont font preuve vos personnages résulte-t-il d’influences diverses ?

Je ne me rappelle pas avoir lu ce livre (pourtant je suis sûr de l’avoir lu…), je ne sais que vous dire. Je crois que l’humour des personnages est tout simplement le même que le mien, mais aussi qu’une certaine partie de l’humour ne sera pas considérée ainsi par le lecteur. Je ne sais faire rire que moi, le jour où je serai mort je ne pourrai plus les raconter mes plaisanteries cyniques.

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Vous êtes parvenu à élaborer, sur des thèmes que l’on pourrait qualifier de canoniques, voire même de rebattus, des variantes intéressantes. Pensez-vous que le genre doit obligatoirement reposer sur une poignée de thèmes appelés à être déclinés à l’infini, et auxquels les meilleurs parviendront à trouver des facettes nouvelles, ou considérez-vous au contraire qu’il sera toujours possible de trouver des thèmes entièrement nouveaux ?

On dit souvent que les mêmes thèmes reviennent en littérature. En tant que lecteur je suis à vrai dire déçu que justement les ambiances comme celles des ghost stories victoriennes n’existent plus et ne s‘enrichissent de nouveaux récits. Il n’en existe pas énormément, des véritables récits fantastiques classiques, terrifiants, bien écrits, dont l’ambiance sait être juste et équilibrée. Je n’attends que cela : de bonnes histoires de vampires, de fantômes, et de revanches post-mortem.

En tant qu’écrivain je ne me soucie pas de ce qui a été écrit, d’étonner le lecteur ou d’innover. Je peux comprendre que certains veulent écrire ce qui va leur paraître libéré des influences passées, qui va leur faire penser qu’ils sont des génies ou que sais-je. Mon but est simplement de passer un bon moment dans des ambiances qui me plaisent. Je pense que tout acte créatif devrait en priorité avoir cette motivation, une sorte d‘hédonisme pur et onirique, le reste est peu important.

Vous avez inséré entre les nouvelles du recueil quelques scènes minuscules, qui parviennent, en quelques mots, à accomplir ce que vos nouvelles, pourtant brèves, font déjà : suggérer le bizarre, le grotesque, et parfois l’horreur. D’où vous est venue cette idée ?

C’est simplement que j’ai trop d’idées qui, à force d’errer dans mon esprit, m’obsèdent tant que je ne les ai pas évacuées. Et j’aime vraiment l’idée de condenser, de seulement donner quelques éléments suffisamment pertinents pour se suffire mais laisser libre chacun de construire ce qu’il souhaite.

Lorsque je commence à lire une nouvelle j’aime qu’on me laisse de l’espace pour ne pas être un simple spectateur impuissant. Dès qu’un récit est trop long il s’enlise, il s’agrémente de maintes choses inutiles. Cela ne signifie pas que je suis pour le minimalisme, bien au contraire, certaines histoires méritent plusieurs dizaines voire centaines de pages.

Ceux qui comme vous pratiquent l’humour froid, l’ironie macabre, la causticité distanciée, et qui ont la fort répréhensible habitude d’appeler un chat (noir) un chat, remodèlent inévitablement, et le plus souvent sans le vouloir, le paysage humain qui les entoure. Les uns, effrayés par ce qui n’est pas absolument conventionnel, s’éloignent lentement mais sûrement, les autres, plus rares, peu à peu se rapprochent. Avez-vous ainsi, au fil du temps, constitué un petit cénacle de semblables ? Êtes-vous membre d’une confrérie qui aurait, avec le Club de Curiosités, un ou plusieurs points communs ? Ou même de toute une série de ces congrégations à la fois abominables et secrètes – et malgré tout pleines d’humour ?

Je suis membre du Club de Curiosités...

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La lecture de votre recueil donne l’impression que vous êtes étranger à votre temps. Mais il est sans doute malaisé de faire en permanence abstraction de l’air que l’on respire. Il n’est point besoin d’être devin pour subodorer qu’un jour ou l’autre on vous a reproché votre attrait pour cet humour macabre et fin de siècle que les âmes faibles qualifient volontiers de pathologique. Alors que les bien-pensants, dans une époque qui sans doute n’a jamais autant été dominée par le politiquement correct, se multiplient comme un fléau, et, paradoxalement mais inévitablement, constituent le public toujours croissant de ces « torture-movies » destinés aux salles et aux âmes obscures, qu’avez-vous pour habitude de leur rétorquer ? Que, pour reprendre un mot célèbre de Pascal « la vraie morale se moque de la morale » ? Ou bien êtes-vous finalement si indifférent au présent que ces reproches vous semblent concerner un autre ?

Un ami canidé portant avec élégance le haut-de-forme et le monocle m’a fort à propos dit : « Si ça ne marche pas sur ses quatre pattes, méfie-toi. » Mes amis sont en majorité des chiens, mais j’avoue aussi avoir quelques amis chats ou lapins. Jamais je ne les ai entendus émettre le moindre jugement ni adhérer au politiquement correct. Je ne vois pas de qui vous parlez.

On devine chez vous une certaine jubilation à construire des histoires qui ne terminent pas vraiment de façon enchanteresse. Pourtant, on n’assiste nulle part à des fins véritablement épouvantables, que ce soit physiquement ou psychologiquement, et ces fins épargnent systématiquement les membres du club. La fin idéale, pour vous, serait-elle simplement l’instant précis où le manège macabre, après avoir effectué une rotation complète, repart pour un tour ?

La fin idéale ce seraient des vapeurs narcotiques d’où émergerait un géronte nu et édenté qui jouerait de la flûte sur un Grand-bi. Mais si c’est un affamé qui dévore sa langue ça ne serait pas pour me déplaire.

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Vous avez publié le premier volume du « Club de curiosités » en décembre 2010, à la fin d’une année qui restera certainement, dans l’histoire du livre, comme une période charnière au cours de laquelle bon nombre d’éditeurs se sont engagés dans une voie parallèle à celle montrée par Gutenberg. Dans votre attachement pour la fin du dix-neuvième siècle, on devine que votre préférence ira toujours au livre papier. Pourtant, la mise à disposition d’écrits qui, littéralement, n’existent pas, la dématérialisation d’ouvrages dans une sorte d’éther d’électrons, toute cette littérature désincarnée qui devient un fantôme dans la machine ne véhicule-t-elle pas une certaine séduction pour l’amateur d’étrange et de fantastique ?

Des interrogations oui, une adhésion non. J’hésite à développer une argumentation quant à la technologie et la civilisation actuelle, je crois qu’elle arrive déjà à parfaitement desservir sa dignité sans besoin de démonstration. L’idée de dématérialiser le support d’un fond imaginaire n’est pas déplaisante, mais dans les faits cela reste un support concret, ce n’est pas parce que l’encre et le papier sont électroniques que ça ne reste pas un support.

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Terminons enfin par la question rituelle. Quels sont à présent vos projets ? Combien de temps les lecteurs devront-ils attendre avant de découvrir d’autres aventures du Club de Curiosités ?

La suite du « Miroir Noir et Autres Curiosités » est d’ores et déjà écrite, ce sera à l’éditeur de décider quand nous pourrons travailler à sa publication. Comme je rends régulièrement visite au Club je continuerai quoi qu’il en soit à en écrire les aventures.

Francis Thievicz frappa de sa canne la paroi qui nous séparait du cocher. Le cab s’arrêta lentement dans une rue pavée ceinte d’un imperméable brouillard. D’un imperceptible mouvement du chef, F. Thievicz me salua et ouvrit la porte pour laisser pénétrer un inquiétant air glacial.
J’entendis ses pas s’éloigner sous les arches qui se dessinaient de l’autre côté de la rue. Après un instant à sonder cet éther libéré de toute cohérence temporelle je donnai mon adresse au cocher. Et alors que nous partions - était-ce l’effet de ces lectures curieuses, cette interview insolite, ou l’humeur de ces lieux - je crus voir une silhouette au crâne hydrocéphale et d’autres personnages se dessiner sur la place derrière l’étroit passage. Par dessus le martèlement des sabots ferrés je crus déceler des rires cyniques et des exclamations enjouées de celui que je venais d’interroger.
Lorsque je fus arrivé à destination je demandai au cocher :
" À quelle adresse nous sommes-nous arrêtés précédemment ?
— Vous m’avez sifflé voilà une heure et nous tournons en rond depuis tout ce temps. Je crois que vous avez dormi. Mais je ne me suis pas arrêté avant ici.
— Mais la personne qui partageait ce cab avec moi, nous venons bien de...
— Monsieur, je ne suis pas payé pour faire la discussion aux ivrognes, j’ai du travail, moi ! fit le cocher pour clore le dialogue avant de rabattre son col et partir en me toisant avec un mépris partagé par l’attelage qui s’ébrouait dédaigneusement.



À lire également sur la Yozone :
- La chronique de « Le Miroir Noir et Autres Curiosités »

Le site de l’éditeur :
- Les Éditions de l’Antre


Hilaire Alrune
29 mai 2011


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