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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Littérature et testostérone
Entretien avec Simon Sanahujas

La sortie du dernier roman de Simon Sanahujas, « Nereliath », nous est apparue comme une occasion à ne pas manquer : celle de poser à ce spécialiste de Conan le Barbare des questions non moins barbares. En vingt réponses détaillées, nous en apprenons plus sur le romancier, sur l’essayiste, sur la Fantasy, et sur le monde cruel et sauvage de l’édition.



Pour commencer, résumons brièvement ton parcours : deux romans, « Suleyman » et « L’Emprise des rêves », publiés chez Rivière Blanche, il y a quelques années. Puis trois essais aux Moutons électriques : « Les nombreuses vies de Conan », une énorme étude sur le personnage, « Conan le Texan », un récit de voyage sur les traces de Robert Erwin Howard, créateur du personnage et maître de l’Heroïc Fantasy et, enfin, il y a peu, « Sur la piste de Tarzan », nouveau récit de voyage à la recherche des traces du Seigneur de la Jungle en Afrique équatoriale.
Alors que certains consacrent leur vie à l’existence obscure de poètes oubliés, tu sembles ne t’intéresser qu’à des auteurs ou des personnages « bigger than life ». La fréquentation littéraire de tels modèles induit souvent des comportements atypiques. C’est sans doute la raison pour laquelle on te voit depuis quelque temps te balancer au-dessus de la circulation, suspendu à des câbles électriques, vêtu d’un slip en peau de léopard et armé d’une épée à double tranchant. Les habitants de ton quartier sont familiers de telles acrobaties, mais ce mélange des genres a, semble-t-il, heurté quelques puristes. Cette fusion spectaculaire entre Conan et Tarzan préfigure-t-elle quelque roman blindé de testostérone où l’on verrait se rencontrer ces deux héros et peut-être d’autres, une sorte de Ligue des Barbares Extraordinaires ?

En fait, mes travaux d’écriture romanesque sont résolument à différencier de mon intérêt pour les personnages que tu viens de citer. L’essai sur Conan m’a été proposé par les Moutons électriques et, comme il s’agit d’un personnage et d’un auteur qui me passionnent, j’ai immédiatement accepté. Pour les récits de voyage, c’est encore un peu différent : Gwenn Dubourthoumieu (le photographe avec qui je travaille là-dessus) et moi voulions mêler l’imaginaire et le réel en alliant un héros littéraire et un territoire contemporain. C’est d’une manière assez logique que nous nous sommes pour l’instant tournés vers les personnages qui ont marqué notre adolescence. Mais au-delà de ça, et si je prends un plaisir immense à travailler autour de ces figures de l’imaginaire, je n’imagine pas vraiment les intégrer dans l’un de mes textes. D’une part parce que je ne suis pas un grand fan des pastiches, pour moi il est assez ardu de rester fidèle à un personnage lorsqu’on ne l’a pas soi-même créé. D’autre part, je pense qu’il y a déjà énormément de choses à faire en recherches pures sur ce genre de personnage (j’ai d’ailleurs dans mes projets un article d’étude sur les rapports entre Tarzan et Conan) et, enfin, j’ai énormément de projets littéraires personnels pour ne pas avoir à aller piocher dans les créations des autres…

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© Frank Frazetta

Tu participes activement à la promotion de tes livres, par l’intermédiaire de salons, rencontres, séances de dédicaces, etc. Pour promouvoir tes ouvrages sur Conan, tu dédicaçais, dit-on, vêtu de peaux de bêtes et armé d’une hache monumentale. Il est un fait que ton habitude était de décapiter au moins un lecteur par séance. On comprend parfaitement qu’avec la crise du livre, il devient nécessaire d’en faire toujours plus pour faire parler de soi, mais ne crains-tu pas que de telles méthodes ne finissent, à la longue, par devenir contre-productives ?

À ce sujet, il me faut tout de suite préciser qu’il s’agissait là d’une idée de l’un de mes éditeurs (que je ne nommerai pas, par respect pour lui). Il voulait faire dans le sensationnel pour marquer le coup mais, habituellement, je suis d’un naturel plutôt doux. Il me faut aussi prévenir mes futurs lecteurs : je n’opère plus de la sorte, qu’ils viennent me rencontrer l’esprit serein ! Comme tu le soulignes, dans l’état où se trouve le monde des livres en ce moment, il m’a rapidement paru guère judicieux d’entamer de cette manière l’amenuisante masse du lectorat. En outre, il y a eu un problème avec le premier des lecteurs à subir cette stratégie marketing : j’ai quelque peu loupé mon coup et il s’en est sorti avec la nuque à moitié tranchée. Ensuite il a porté plainte et ça a fait des histoires…

Depuis plus de dix ans, les littératures de l’imaginaire sont submergées par une inextinguible marée de fantasy bas de gamme. Certains sociologues, qui ne sont pas toujours tendres, parlent de littérature pour ménagères ménopausées. Le fait que même les éditions Harlequin se soient mises à la fantasy, avec leur collection baptisée « Luna », apporte de l’eau au moulin de tels experts. Alors que tes origines, avec l’étude de Robert Ervin Howard, sont celles de l’heroïc-fantasy pure et dure, sauvage et musclée, ne crains-tu pas, en publiant un ouvrage étiqueté globalement fantasy – ouvrage sur lequel nous reviendrons un peu plus loin – de changer de public ?
T’imagines-tu, à l’avenir, dédicaçant à tour de bras pour des matrones obèses, avec bigoudis, cabas et triples mentons ? Ne crains-tu pas de périr étouffé, submergé non pas par une horde d’ennemis cuirassés et casqués, mais par une déferlante de mégères adipeuses ?

Il existe une foultitude de fantasy différentes, qui vont des histoires de poneys et de princesses à celles de guerriers couturés de cicatrices. À ce niveau, je sais assez bien où je navigue (plutôt du côté de la dernière catégorie en fait). « Nereliath » est un roman de pure heroïc-fantasy, évidemment très inspiré de mes références en la matière (qui ne se limitent pas à Howard mais englobent également des auteurs comme Fritz Leiber, Clark Ashton Smith, Edward Wagner ou même une partie de l’œuvre de Gemmell). Enfin, de l’eau a coulé sous les ponts depuis les premières nouvelles de Conan et, forcément, ce que je propose est bien plus moderne. Après, je ne pense pas que l’on puisse attribuer un physique et un sexe particuliers à une catégorie de lecteurs dans son entier. Et si des mégères marquées d’un embonpoint certain trouvent plaisir à lire mes romans, je les accueillerai à bras ouverts…

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© Karl Kopinski

À la Yozone on ne recule devant rien, et encore moins devant les questions qui tuent. On trouvait, dans ton premier roman chez Rivière Blanche, un bon nombre de coquilles. Dans « Conan Le Texan » elles ne manquent pas non plus, le volume « Les Nombreuses vies de Conan » n’en est pas exempt, et on en trouve encore beaucoup dans « Sur la piste de Tarzan ». Tout ceci donne l’impression, pour ne pas mâcher ses mots, que les maisons d’édition envoient désormais les manuscrits directement chez l’imprimeur, sans se donner la peine de les lire. S’agit-il d’une désinvolture spécifique à tes éditeurs ou bien d’une malédiction lancée sur tes écrits, un sort puissant et innommable dont nul exorcisme ne semble pouvoir venir à bout ? (non, je t’assure, nul besoin de hache pour répondre à une innocente question, cet ustensile peut très bien rester accroché au mur !)

Le problème des coquilles est – malheureusement – souvent inhérent aux petites structures éditoriales. Un relecteur professionnel coûte très cher et, lorsqu’on travaille sur des petits tirages (à la demande pour Rivière Blanche et jusqu’à 2000 exemplaires pour mes derniers bouquins parus chez les Moutons électriques), les frais de relecture font partie des premiers que l’on écarte afin de permettre une rentabilité plus aisée à l’ouvrage. Du coup, ces éditeurs ont l’habitude de faire appel à des relecteurs dont ce n’est pas le métier : des professeurs de français, des gens bons en orthographe et qui ont l’œil. Le problème c’est que ça ne suffit pas, car les relectures doivent être effectuées d’une manière bien particulière pour être efficaces. Dans les ouvrages que tu mentionnes, la grande majorité des coquilles résiduelles s’avèrent être des fautes repérées et mal corrigées, c’est tout bête : le correcteur découvre une faute d’accord, la corrige immédiatement dans le fichier et ne se rend pas compte que son doigt a ripé sur le clavier. C’est con, non ? Normalement, le correcteur devrait signaler les fautes, proposer un fichier avec ses corrections, et une deuxième personne, souvent l’éditeur, reprend les deux fichiers pour les comparer et vérifier que tout s’est bien déroulé. C’est ce que nous avons fait avec Asgard pour « Nereliath », aussi je croise les doigts pour que soit enfin levée cette malédiction…

Au sujet des dédicaces encore. Tu as écrit de la science-fiction, des essais, de la fantasy. Mais une nouvelle mode pointe ses crocs depuis une paire d’années : la bit-lit. Que penses-tu de ce nouveau phénomène ? Imagines-tu de te laisser à ton tour tenter par ce type de fiction ? Te vois-tu affronter désormais, lors des séances de dédicaces – le froissement de l’acier remplacé par le cliquetis des piercings – des hordes d’adolescentes gothiques, livides comme des cadavres et vêtues de noir comme la Camarde ?

Alors là, je vais faire très court : je ne comprends pas que l’on puisse produire autant de matière sur un sujet qui semble, de mon point de vue en tous cas, relativement fermé. Je veux bien qu’il y ait dans le tas quelques idées originales autour du vampire, mais je n’imagine pas qu’il y ait suffisamment de possibilités pour écrire et écrire encore sur ce sujet. C’est un peu comme les films de zombies, je suis complètement perplexe vis-à-vis de l’ampleur de leur production… Le « Dracula » de Bram Stoker est un livre superbe, personnellement je m’en tiendrais là et je ne compte absolument pas ajouter ma pierre à un édifice dont j’ai beaucoup de mal à comprendre la raison d’être.

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Conan le barbare © Frank Frazetta

Alors que l’on pouvait croire au début du millénaire que la marée de la fantasy allait progressivement décroître, le phénomène n’a fait que s’amplifier. On assiste dans le genre à une industrialisation en perpétuel développement, un stakhanovisme forcené, une fabrication sans cesse croissante, hâtive, frénétique, de gros volumes le plus souvent insipides, et, en définitive, à une déferlante de publications dans laquelle il devient difficile d’individualiser les véritables ouvrages de qualité. En te lançant dans ce type de fiction, ton but est-il de t’inscrire dans la mouvance commerciale et de créer un univers qui serait aussi, comme on le dit en matière cinématographique, une franchise ou, au contraire, de te démarquer de cette production de masse et de viser à faire partie des rarissimes auteurs de Fantasy qui seront encore lus une fois la mode passée ?

C’est amusant : je me suis retrouvé catalogué dans les auteurs de science-fiction parce que j’ai commencé par publier deux romans de ce genre chez Rivière Blanche – disons que c’est assez normal en fait. Mais je me suis toujours considéré comme auteur de fantasy. Lorsque j’ai pris la plume pour la première fois, vers 1992 ou 93, c’était pour écrire de la fantasy, et je l’ai fait pendant une dizaine d’années avant de me lancer dans mon premier roman – « Suleyman » – qui se raccroche plus à la SF. Mais dans « Suleyman », comme dans sa suite, « L’Emprise des Rêves », j’aborde le thème d’un multivers dans lequel tous les rêves et donc toutes les œuvres littéraires et autres se retrouvent concrétisés sous la forme d’univers que l’on peut rejoindre via des portails dimensionnels. En conséquence, il y a dans ces deux romans une foultitude de mondes différents dont plusieurs relèvent de la pure fantasy.
Je reviens rapidement à mes premiers écrits, il s’agissait de nouvelles mettant en scène un aventurier picaresque – Karn – le héros de « Nereliath ». Publier aujourd’hui de la fantasy représente ainsi plus un achèvement personnel plutôt qu’un désir de m’insérer dans une mouvance.
Au-delà, je pense proposer quelque chose d’assez différent de, disons, la fantasy à recette qui semble majoritaire en ce moment. Déjà, s’il est vrai que « Nereliath » appartient à une série, il ne s’agit pas d’une vaste fresque sans fin destinée à tenir en haleine le lecteur pendant vingt tomes. La série est centrée autour du personnage de Karn, un aventurier au passé entouré de mystère, qui ne semble pas réellement savoir ce qu’il cherche et se remet régulièrement en question. Mais chacun des romans représentera un one-shot : une histoire complètement indépendante avec un début et une fin arrêtée. L’intérêt de la série pour le lecteur assidu sera de découvrir au fur et à mesure diverses facettes du personnage principal, tant sur sa psychologie que sur son histoire personnelle. Et pour finir, disons pour faire simple que je me situe plus du côté humain et réaliste d’un Conan ou des héros de Fritz Leiber que du côté merveilleux de Tolkien ou d’Eddings.

Revenons sur la production mécanique de trilogies ou d’énormes volumes. Elle n’est pas absolument spécifique à la fantasy – de telles dérives ont été enregistrées dans le polar, le thriller, la littérature à l’eau de rose ‒ mais y prend des dimensions inédites. Certains auteurs produisent à présent des trilogies entières en moins de temps qu’il n’en faut à d’autres pour bâtir une nouvelle. Ne crains-tu pas que de tels phénomènes ne finissent à la longue par déconsidérer le genre ?

Pour tout dire, le phénomène des trilogies ne m’intéresse guère. Par contre, je me passionne complètement pour les trilogies de trilogies, la seule forme à mon sens qui puisse donner le meilleur d’une œuvre littéraire… Bon, j’arrête de dire des bêtises. Le plus drôle dans cette histoire, c’est que ce phénomène provient du « Seigneur des anneaux » alors que le bouquin a été artificiellement découpé en trois par l’éditeur, tout simplement parce qu’il était trop gros pour être publié en un seul volume. Ce hasard complet a poussé nombre d’auteurs vers la trilogie ; plus drôle encore, lorsque les nouvelles de Conan ont été republiées en Angleterre il y a dix ans, l’éditeur a décidé de les réunir en trois volumes, inutile de faire grand mystère de son objectif… Après, je ne sais quel est l’impact des trilogies sur le public ou sur le lectorat potentiel extérieur à nos genres, par contre je connais très bien l’effet que cela a sur moi. Comme l’écriture me prend beaucoup de temps et que j’ai, comme pas mal d’écrivains, un job à côté, j’ai dû tailler dans mes loisirs. Malheureusement, je lis très peu désormais et lorsque j’apprends qu’un roman représente le premier tome d’une trilogie, je l’abandonne direct pour essayer de trouver un one-shot qui ne me laissera pas sur ma faim et me demandera moins de temps de lecture.

On assiste également à un phénomène curieux, et, à première vue, inquiétant, dans le monde de la fantasy : la reprise des romans, initialement publiés dans des collections destinées à la jeunesse, dans des collections adultes. « La Malédiction d’Old Haven » et « Le Maître des Dragons » de Fabrice Colin n’en sont que des exemples. Que faut-il en conclure ? Infantilisation du lecteur ou absence de réelle politique éditoriale ?

Là, je pense qu’il faudrait poser la question aux éditeurs concernés. Après, ce constat me laisse perplexe. Quand j’étais gamin, les collections jeunesse étaient certainement plus rares voire inexistantes car je n’ai lu que des bouquins a priori adultes. J’ai lu « Le Seigneur des anneaux » en fin de primaire (je l’ai relu un peu plus tard d’ailleurs, j’avais loupé quelques trucs), en sixième et cinquième, je me rappelle avoir dévoré les Conan, le cycle d’Elric, le cycle des Épées de Fritz Leiber, et c’était très bien ! Je ne vois pas le problème à ce qu’un gamin lise de la littérature adulte : au pire il loupera quelques détails, au mieux cela le tirera vers le haut… En tous cas j’ai fait l’exact inverse de ce que tu viens de décrire et ça m’a plu !

Parmi les auteurs contemporains, ou plus globalement post-howardiens, en vois-tu quelques-uns uns qui pourraient être conseillés aux lecteurs comme ayant atteint le niveau du maître de Cross Plains ?

Malheureusement il y en a très peu. En fait, je ne vois que moi qui remplisse ces conditions… Arf, encore une mauvaise blague de ma part… Plus sérieusement, et je vais en faire hurler plus d’un, je ne vois pas Howard comme un maître du genre. Je veux bien considérer Lovecraft comme un maître du fantastique, ok, mais Howard est pour moi avant tout un initiateur (l’inventeur de l’heroïc-fantasy, pas de doute là-dessus) et surtout un superbe styliste. Son œuvre recèle des atouts énormes : sa manière de camper un texte (ses introductions sont très régulièrement magistrales), ses descriptions actives, ses scènes d’action échevelées, ses ambiances et son sens des phrases, lequel découle directement de son immense passion pour la poésie. Ces points-là, je les ai étudiés longuement et j’essaie de les utiliser dans mes écrits, je le concède avec franchise. Par contre, il pèche sur bien d’autres points : quelques-uns de ses héros sont bien trouvés (Kull, Conan, Solomon Kane et Bran Mak Morn notamment) mais les autres sont souvent caricaturaux au possible, sans parler des personnages secondaires ou pire : des personnages secondaires féminins. Ensuite il y a ses problèmes de construction, souvent on s’enlise à partir du milieu du récit, et cela est dû à sa manière de travailler : il recourait très peu au synopsis, généralement il imaginait un début, parfois une fin et hop, advienne que pourra. D’ailleurs, c’est dans ce point précis que se retrouve la réponse aux presque deux cents textes inachevés qu’il a laissés derrière lui. Je peux paraître dur (qui suis-je pour oser ainsi parler de Robert E. Howard ?) mais cela n’entame en rien mon admiration pour cet écrivain. Il faut remettre tout cela dans son contexte : celui d’un écrivain de pulps des années trente. Howard devait écrire énormément et régulièrement pour gagner sa vie, en l’espace de 15 ans, il a ainsi pondu 700 poèmes, 300 nouvelles et novellas plus les inachevés dont je parlais il y a un instant. Il est facile de critiquer cet aspect (qui relève pour le coup véritablement de la littérature populaire) quand on est tranquille chez soi, avec un boulot installé, et qu’on s’octroie cinq ans pour pondre son bouquin. Et de fait, mes remarques ne relèvent que du constat : je le respecte, je l’admire et je crois que je l’envierai jusqu’à mon bûcher funéraire pour son incroyable productivité.
Pour en revenir à la question, je ne vois guère d’auteurs actuels ou passés ayant – purement au niveau des qualités que j’ai évoquées – égalé Howard. Peut-être Karl Edward Wagner dans certains textes… En même temps, il faudrait orienter cette recherche vers des nouvellistes, un genre de moins en moins courant, car Howard, malgré ses atouts, peinait énormément sur le long cours.

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Bran Mak Morn © Frank Frazetta

Selon toi l’heroïc-fantasy, ou plus globalement la fantasy, a-t-elle atteint ses sommets, ou est-elle encore une littérature d’avenir ?
Penses-tu que le genre peut éviter les redites et s’enrichir d’ouvrages destinés, comme ceux d’Howard ou de Tolkien, à être lus par plusieurs générations d’amateurs ? Le genre peut-il encore innover, trouver de nouveaux thèmes et de nouveaux horizons ?

Vaste question ! Je crois que le succès actuel de la fantasy provient du besoin des lecteurs de s’évader vers un autre part distant de leur réalité quotidienne. Il y a une trentaine d’années, c’était plutôt la science-fiction qui avait le vent en poupe. Mais la SF se base sur notre monde pour l’extrapoler et, comme notre monde actuel est extrêmement sombre et que son avenir l’est tout autant voire plus, je pense que les gens n’ont pas vraiment envie d’en entendre parler. À mon avis, le succès de la fantasy perdurera tant que notre société ira mal, l’avenir nous dira si j’ai vu juste.
Personnellement, j’ai toujours vu la fantasy comme un genre mettant les personnages au cœur de l’histoire (qu’est-ce que « Le seigneur des anneaux » si ce n’est l’histoire de l’évolution de personnages tels qu’Aragorn, Frodon, Sam etc. ?) tandis que la SF est, pour moi, un genre mettant en avant la société. Le succès intemporel d’un Conan ou de l’œuvre de Tolkien provient de là. Maintenant, est-ce que la production actuelle de fantasy possède les qualités nécessaires à perdurer dans le temps, je n’en sais rien. J’ai un peu l’impression qu’il s’agit à l’heure actuelle d’un genre de consommation pure (on avale et on jette pour passer à la suite) mais, encore une fois, il faudrait poser la question à des éditeurs.

Parlons maintenant de ton roman, « Nereliath », qui sort ce mois-ci aux éditions Asgard. Peux-tu nous préciser tout d’abord dans quelle branche de la fantasy il s’inscrit et quel est le public visé ?

Il s’agit clairement d’heroïc-fantasy, comme je le disais précédemment. À mon sens, l’intérêt majeur de toute œuvre littéraire est le divertissement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien derrière, mais pour que je prenne plaisir à la lecture d’un livre, il faut que celui-ci me divertisse, et c’est de cette manière que j’ai conçu tous mes bouquins et donc « Nereliath ». Action, suspense, rebondissement, mystère, j’ai essayé d’organiser tout cela pour que le lecteur ne trouve aucune page où il puisse s’ennuyer. De par cela, ainsi que par le niveau de violence et d’érotisme de ce roman, je pense qu’il s’adresse au moins à un lectorat de jeunes adultes, disons les 15-25 ans. Au-delà, je l’ai parsemé de messages plus profonds, pas forcément nécessaires à sa compréhension mais qui viennent enrichir le tout ; et ces thèmes, je l’espère, pourront intéresser un public un peu plus âgé. Après, je pense quand même qu’il sera le plus à même de ravir des lecteurs dans leur troisième décennie car c’est l’âge de Karn dont les questionnements personnels sous-tendent la majorité du texte.

On connaît ton attachement pour les personnages forts tels que Conan, Kull, Solomon Kane, et ta connaissance encyclopédique de l’œuvre de leur créateur, Robert Erwin Howard. Pour « Nereliath », as-tu eu d’autres influences parmi les auteurs de genre, ou, plus globalement, dans la littérature universelle ?

Outre Howard, il y a dans « Nereliath » l’influence nette d’auteurs comme Fritz Leiber et David Gemmel, et cela pour une caractéristique précise : celle des personnages. Chez ces deux auteurs, on se retrouve régulièrement avec des personnages très proches de nous, de par leur mentalité, leur relationnel, leurs questionnements (Fafhrd et le Souricier Gris sont à mon sens le duo le plus fondamentalement contemporain de la fantasy, en tous cas de celle que j’ai lue). Mais ils ne sont pas les seuls, je suis un fan absolu de Clark Ashton Smith et les éléments fantastiques de mon histoire doivent beaucoup à ma lecture de ses nouvelles de fantasy ou de fantastique. Concernant la littérature mainstream, je n’ai pas d’influences majeures dans le sens où j’en ai malheureusement lu très peu. Par contre, je m’efforce le plus souvent possible de combler mes lacunes à ce niveau, et j’y pioche principalement quant à la construction des personnages. Citer des auteurs en particulier ne rimerait pas à grand-chose puisque, généralement, je ne connais que l’un ou l’autre de leurs livres.

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© Frank Frazetta

La littérature est-elle ta seule et unique influence, ou bien d’autres éléments viennent-ils s’en mêler : par exemple d’incompréhensibles inspirations oniriques, ou des remontées brutales de fureur primitive te conduisant à décrire force combats sauvages et épiques ? Ou bien ton cerveau n’est-il rien d’autre que le jouet d’une entité hideuse qui, te manipulant tel un pantin, t’utilise pour jeter à la face décomposée des hommes l’abominable récit de ses exactions ?

Les influences extérieures à la littérature sont multiples et protéiformes. Je possède une formation de musicien et j’écris toujours avec un fond sonore. Souvent, il s’agit de musique de film car c’est un genre extrêmement expressif et descriptif, qui a d’ailleurs évolué dans la directe continuité du poème symphonique. Je les sélectionne en fonction de ce que je vais écrire : Hans Zimmer m’aide pour les scènes d’actions, Jerry Goldsmith pour les scènes un peu plus mystérieuses, Angelo Badalamenti pour des ambiances calmes etc. Les inspirations oniriques ont été très fortes lorsque j’ai écrit le diptyque « Suleyman »/« L’Emprise des Rêves ». Les rêves se situent à la base de ces deux romans dont les personnages se retrouvent plusieurs fois à évoluer dans les songes d’autrui. Dans ces deux romans, il y a plusieurs scènes, souvent les plus délirantes, inspirées à 80% de rêves que j’ai eus. C’est un aspect qui me rapproche encore un peu de Clark Ashton Smith qui a écrit ses poèmes les plus fous terrassé par la maladie et cauchemardant chaque nuit. Pour les scènes de pure action, il y a encore une autre influence : celle de ma pratique du rugby. Lorsque je décris une scène d’action, je la visualise parfaitement et j’essaye de voir ce que je tenterais à la place des personnages. En conséquence, même si les épées y chantent régulièrement, je campe des combats très physiques et corporels : les corps s’entrechoquent et il y a autant de coups de tête, de croc-en-jambe et de lutte que de coups de hache.

« Nereliath » est ton premier roman résolument fantasy. Tes connaissances du genre, qui sont vastes, ont-elle constitué pour toi un atout majeur, une série de techniques rodées par d’autres au fil des décennies qu’il ne tenait plus qu’à toi d’appliquer, ou au contraire une sorte de cadre, de carcan qui aurait été pour toi une contrainte ? En matière de littérature, il n’est pas fréquent que les théoriciens ou les essayistes soient également de bons romanciers, comme si la connaissance trop fine des mécanismes de l’écriture avait un effet inhibiteur sur l’imagination, comme si ces deux domaines, le pratique et le théorique, s’adressaient à deux types d’esprits différents.
Compte-tenu de ton expérience, que peux-tu nous dire là-dessus ?

Pour commencer, je ne me vois pas comme un théoricien ou un essayiste qui s’adonnerait en plus à l’écriture : je suis un écrivain qui s’essaie de temps en temps à la recherche littéraire. Après, même si ces deux facettes partagent une même passion, je pense qu’il s’agit de deux métiers complètement différents. En règle générale, écrire un bouquin demeure écrire un bouquin : que ce soit au niveau de la construction, de l’événementiel, etc. Je pense que les techniques sont les mêmes pour la fantasy, la science-fiction ou la littérature générale. Ainsi, je ne pense pas que ma connaissance de la fantasy m’ait apporté plus que ce que d’autres lectures ont pu apporter à d’autres. Je me suis pris autant de claques narratives en lisant une intro de Howard qu’une scène de Dostoïevski. Je crois que cette culture en matière de fantasy, avec toutes les lacunes qu’elle contient, car ce que j’ai pu lire représente une infime partie du genre, m’a surtout permis de connaître mes classiques, et ainsi d’éviter de camper des personnages ou d’organiser des scènes qui aient été maints fois écrites et lues.
Concernant ma petite facette d’essayiste, peut-être la différence est-elle plus notable. Le fait d’être écrivain, de connaître pour les expérimenter personnellement tous les jours les processus qui ont lieu durant les différentes phases de création d’un texte, permet de se mettre quelque part à la place de l’auteur, de comprendre ses réflexions et de deviner ce qui s’est passé entre deux versions d’un même texte, de comprendre les non-dits autour d’un brouillon de synopsis ou d’une feuille de note. De ce point de vue je pense qu’il s’agit d’un plus assez utile.

Tu as publié « Sur la Piste de Tarzan » à l’automne, « Nereliath » sort en janvier. Cela signifie-t-il que ton rythme d’écriture s’est accéléré, que tu noircis désormais les pages au rythme où autrefois Conan, en pleine mêlée, moissonnait les têtes de ses ennemis ?

Par rapport à il y a six ans, je crois que je passe un peu plus de temps à travailler sur l’écriture, mais pas énormément finalement. Par contre, je suis beaucoup plus efficace, je fais beaucoup moins d’erreur, mes phases d’organisation et de construction sont bien moins hasardeuses, mes premiers jets sont mieux aboutis et, en conséquence, je produis plus. Si je veux pouvoir un jour ne faire que ça de ma vie, il est nécessaire d’avoir un rythme de publication soutenu et un rythme d’écriture à l’avenant. Comme c’est mon objectif (ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des écrivains, il faut le préciser), j’essaye de faire en sorte de bénéficier d’un rythme de publication qui, s’il n’est pas forcément rapide, est au moins assez régulier.

« Nereliath », ce sera aussi un des premiers romans de fantasy publié par les toutes jeunes éditions Asgard. S’agit-il de ta part d’une volonté délibérée de participer à un projet nouveau, d’un concours particulier de circonstances, ou de la volonté de quelque divinité immémoriale et sanguinaire ?

Il y a certainement un peu de tout cela mélangé. Le cheminement d’un manuscrit, entre l’adjonction du mot « fin » et la publication, est toujours assez obscur, et parfois surprenant. « Nereliath » a par exemple été refusé par une maison qui le trouvait très bien mais ne voulait plus publier d’auteurs français, et il s’agit d’un exemple entre plusieurs autres du même acabit. Et puis j’ai eu vent de cette nouvelle boîte et je me suis laissé tenter. Après l’acceptation du manuscrit, j’ai découvert en échangeant avec le directeur de collection une envie de bien faire qui m’a plu et j’ai signé. De mon point de vue, c’est un honneur que d’initier une nouvelle maison d’édition. Après c’est à double tranchant : si Asgard se casse la gueule, tant pis pour moi…

Ton roman paraît dans une collection assez élégamment nommée « Reflets d’Ailleurs ». Peux-tu ‒ bien entendu sans trahir les secrets de ton éditeur ‒ nous dire ce que tu sais de cette collection, de ses lignes directrices, de que l’on peut en attendre dans les années à venir ?

D’après ce que je sais, le fait que « Nereliath » relève de l’heroïc-fantasy ne veut absolument pas dire qu’il s’agit de l’orientation de la collection. Elle devrait y accueillir tous les types de fantasy et, détail qui fait plaisir lorsqu’on voit le nombre de plumes douées de par nos contrées, elle ne publiera pour l’instant que des francophones. Le reste, 2011 devrait nous en donner un aperçu plus parlant…

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Cat Girl © Frank Frazetta

Quelle sera l’échelle de diffusion de « Nereliath » ? Les éditions Asgard ont-elles dès à présent des accords avec des distributeurs permettant d’assurer une mise en place correcte dans les librairies, ou cette diffusion se fera-t-elle par d’autres chemins ?

Asgard a été créé par Lokomodo, une entreprise de distribution et de diffusion spécialisée dans les littératures de l’imaginaire (ils s’occupent notamment des éditions Argemmios, de la très bonne revue Black Mamba, etc.). Il y aura donc une diffusion classique en librairie, en plus de l’internet bien entendu.

La littérature, les techniques, les influences, les finesses, d’accord. Mais le vrai nerf de la guerre, et ceci depuis les plus lointains affrontements dans la crépusculaire et terrifiante Cimmérie, a toujours été le commerce, et les monnaies sonnantes et trébuchantes qui vont avec. Combien faut-il vendre d’exemplaires de « Nereliath » pour que cela soit rentable ? Et combien faut-il en vendre de plus pour te dédommager de la sueur que cela t’a coûté ? Et combien encore pour le prix du sang, tous ces pauvres diables que tu descendais massacrer à l’épée à double tranchant, dans la rue, pour te passer les nerfs à chaque fois que la rédaction de ce roman n’avançait pas assez vite ?

Je crois que le seuil de rentabilité, pour l’éditeur, est de 700 ou 800 ventes. Ça c’est pour que lui rentre dans ses frais (impression, relecture, mise en page, couverture, etc.). Pour l’auteur, c’est bien plus ardu ! Il faut savoir que les droits d’auteur s’élèvent en moyenne à 8% du prix de vente d’un bouquin. Oui, vous avez bien lu (précisons également que la chaîne diffusion/distribution/libraire, en générale, se prend un bon 65%). En conséquence, les ventes que j’évoque au-dessus représenteraient, pour moi, un petit mois de salaire. Conclusion, si je veux en vivre, il faut que je fasse un carton… ou alors que je publie douze livres par an ! Au-delà, si on veut rentrer dans des calculs de rentabilité personnelle (ce à quoi je ne me risque pas d’habitude, je n’ai pas prévu de me pendre pour l’instant), l’écriture de « Nereliath » m’a pris je crois une petite dizaine de mois à raison de 20 ou 30 heures de travail par semaine, ce à quoi il faudrait encore ajouter le temps passé à le retravailler avec l’éditeur, disons un an en tout. Après, c’est relativement simple : prends ce que tu gagnes en un an et divise-le par 8% du prix du bouquin pour voir combien il faudrait en vendre pour que ce soit rentable. Personnellement, je me garderais bien de faire ce calcul…

Et pour finir, la question rituelle. Quels sont tes plans, tes projets les plus barbares, disons… pour les vingt prochaines années ?

Sur les vingt prochaines années, ça va être dur, surtout pour moi qui éprouve des difficultés à me projeter ne serait-ce que trois mois en avant… Pour l’instant, ma priorité est à la suite de « Nereliath », puisqu’il s’agit d’une série de one-shot mettant tous en scène le personnage de Karn. Le deuxième est programmé pour début 2012 et, avec les délais d’impression, le temps nécessaire aux corrections, aux retouches et à la mise en page, cela veut dire qu’il ne me faut pas tarder !
Ensuite, je suis en train d’achever un énorme roman de fantasy sur lequel je suis depuis presque deux ans. Il s’agira d’un texte plus adulte, plus complexe aussi, et j’y ai mis tout mon cœur, ce qui explique pourquoi il me prend autant de temps. Là, je suis plongé dans ce qui promet d’être l’ultime relecture, je devrais donc en avoir fini d’ici peu.
Enfin, avec mon vieux comparse Gwenn Dubourthoumieu, nous projetons deux voyages autour du personnage de Dracula, l’un en Roumanie et l’autre à Londres, avec à terme un nouveau récit photographique, des expos des rencontres, etc. Encore plein de taf en perspective mais soyons réalistes et ne nous plaignons pas : si je le fais c’est forcément parce que j’en retire énormément de plaisir.
Et puis, quand j’aurai fini tout ça, si le succès est au rendez-vous, il y aura le troisième volet des aventures de Karn ! Et comme j’ai toujours plusieurs idées d’autres romans à des stades de gestation plus ou moins avancés, je ne m’inquiète pas du tout pour l’avenir. Je suis certain d’une seule chose : je ne risque pas de m’ennuyer et de tourner chez moi en cherchant quelque chose à faire...


À lire également sur la Yozone :
- La critique du roman « Suleyman »
- La critique de l’essai « Conan le Texan »
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- Expo Yozone : Frazetta, le Death Dealer et ses émules
- L’esprit de la Guerre et de la Dark Fantasy



Littérature et testostérone, heroïc-fantasy, R. E. Howard, Conan le Barbare.. oui, c’est forcément Frank Frazetta qui devait être l’illustrateur de cet entretien. La majorité des images sont de lui, sauf une de Karl Kopinski, d’Earl Norem, de Boris Vallejo et de Simon Bisley.

Illusrations © Frank Frazetta, Karl Kopinski, Earl Norem, Simon Bisley, Boris Vallejo et ayant droits.


Entretien réalisé par Hilaire Halrune, mis en images par Fabrice Leduc


Fabrice Leduc
Hilaire Alrune
20 février 2011


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Copyright Brice Maire



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Conan le Texan



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Copyright Brice Maire



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Copyright Brice Maire



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Conan par Frazetta



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Conan © Boris Vallejo



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© Earl Norem



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Le Death Dealer © Frank Frazetta



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Conan le Barbare© Frank Frazetta



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© Simon Bisley



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© Frank Frazetta



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Copyright Boris Vallejo



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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© Frank Frazetta



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