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Déchirures
Sire Cédric
Le Pré aux Clercs, nouvelles (France), fantastique, 249 pages, novembre 2010, 18€

Sous une couverture à la fois élégante et sobre, Le Pré aux Clercs réédite une série de nouvelles de Sire Cédric. Misère sociale, violence urbaines, dérives démoniaques, monstres véritables et destins funestes sont au programme.



Neuf nouvelles, une réussite

Quatre de ces neuf nouvelles sont précédemment parues, non seulement dans la première édition de « Déchirures » en 2005, mais également dans un petit volume baptisé « Nécromantisme » aux éditions Goetia en 2000. “Nocturnes” déçoit d’emblée par un récit convenu dont on entrevoit la direction dès les premières scènes – deux adolescentes cultivant à l’excès le genre vampire vont rencontrer un démon véritable – et par un recours caricatural à l’éternel tandem éros-thanatos sous une forme particulièrement criante qui marquera l’intégralité du volume. Plus frappante, “Stigmates” procède à la mise en scène tragique de la fatalité, du destin et du désespoir d’un individu qui, croyant avoir surmonté l’épisode le plus épouvantable de son existence, découvre que la signification de cet épisode est bien plus abominable encore que tout ce qu’il avait pu imaginer. “Hybrides” mêle le thème des violences sociales et familiales à la mythologie amérindienne, une tentative qui pourrait être plaisante – même si les précédents ne manquent pas dans le conte fantastique américain contemporain – si elle ne butait sur les mêmes défauts stylistiques que les nouvelles précédentes. Enfin, “Chérubins” constitue, sous des allures contemporaines et sur un terreau de dérives adolescentes, une variante modernisée d’histoire de fantômes classique, un mélange de genres que l’auteur, malgré de réels efforts à la façon d’écrivains tels que Joe R. Lansdale, ne parvient pas entièrement à maîtriser. “Carnage”, initialement parue dans la revue Phénix en 2003, décrit la confrontation dans un bus de skinheads épouvantables avec un monstre qui ne l’est pas moins : comme pour les récits précédents narration cousue de fil blanc, accumulation de clichés et incapacité de l’écriture à développer des images poétiques pourtant clairement visées.

On attend donc mieux des quatre nouvelles semble-t-il inédites lors de la première publication de « Déchirures » en 2005, mais trois d’entre elles viennent décevoir cette attente. “Deathstar” mêle sexe, violence, heavy-métal satanique et démons sans véritable trame narrative, “Blood Road”, road-movie avec monstres, pourrait être une nouvelle intéressante si un gore trop complaisant n’y venait systématiquement ruiner toute ébauche d’émotion et de poésie, et “Sister”, sur le thème canonique du double et de la haine gémellaire, souffre de faiblesses de style trop évidentes qui, en rendant la lecture laborieuse, finissent par ôter toute tension à l’intrigue.

C’est avec “Nenia” que vient enfin la bonne surprise. Une nouvelle qui sort enfin des chemins tout tracés d’un fantastique horrifique marqué par la facilité et le caractère trop basique de la langue. Tant sur le plan du ton que sur celui du style, “Nenia” marque une transition avec les autres nouvelles du volume. Se déroulant en pleine forêt, à l’époque des Croisades, il s’appuie sur une réelle trame narrative, mêle émotion, éléments poétiques et aspects légendaires, et parvient enfin à surprendre. Même si ce conte n’est pas totalement exempt de scories, il témoigne d’un réel travail à la fois sur l’intrigue et sur l’écriture, et représente pour l’auteur un indéniable saut qualitatif. Une nouvelle à la fois riche, marquante et réussie qu’il ne serait pas étonnant de voir, à l’avenir, figurer au sommaire d’autres anthologies.

Un volume inabouti

Que peut-on dire en définitive après la lecture de ces neuf nouvelles ? L’écriture en est simple, sobre, sans fulgurance ni fioritures, sans style particulier, de toute évidence formatée pour être lue par tous. Le vocabulaire y est, sans doute à dessein, limité, la prose a recours au vocabulaire familier jusqu’en dehors des dialogues, on retrouve ici et là quelques formules peu heureuses, ainsi que des répétions facilement évitables. Cette écriture est marquée par de trop nombreuses lourdeurs qui desservent, parfois considérablement, les récits.

Pour ce qui est de la tonalité, les nouvelles de Sire Cédric relèvent de ce fantastique « Freud and Gore » qui a pris son essor dans les années quatre-vingt-dix et dont on trouve de nombreux exemples dans la série de huit anthologies « Territoires de l’Inquiétude » compilées entre 1991 et 1995 par Alain Dorémieux dans l’éphémère collection Présence du Fantastique chez Denoël. Une branche sanglante et crue du fantastique qui, de par sa volonté clairement affichée de se prêter aux interprétations psychanalytiques les plus faciles, de par son rejet délibéré des finesses du genre et de leur composante littéraire, a rapidement été considérée par les connaisseurs comme une impasse, mais qui, sur le plan commercial, a semblé trouver un certain public. La réédition d’un tel recueil de nouvelles montre qu’à l’évidence ce public est toujours là.

En s’affranchissant des facilités du sexe et de la violence gratuite, les nouvelles auraient incontestablement gagné en qualité. Dépouillées de ces aspects grand-guignol, elles auraient laissé une plus belle part à ces ressorts essentiels du genre que sont l’inquiétude et l’angoisse. Mais il s’agit là d’un reproche que l’on serait bien en peine de faire à l’auteur dans la mesure où il s’agit d’un choix manifeste de sa part, et où il suffit de lire la quatrième de couverture et de feuilleter l’ouvrage quelques secondes pour comprendre quels types de démons l’on va rencontrer, et de quelle manière ils seront mis en scène.

De même, il serait trop facile d’accabler l’auteur quant aux carences évidentes de son style : sur la page internet qu’il consacre à ce livre, il explique sans fard qu’il s’agit de la réimpression d’une œuvre ancienne déjà, et c’est avec élégance et lucidité qu’il parle de ses “premiers pas en tant qu’écrivain”, d’ “écrits de jeunesse”, de “tâtonnements stylistiques”, et demande au lecteur “l’indulgence qui sied à ce genre de réédition”. Si l’éditeur fait preuve d’une égale transparence en parlant sur son site internet d’un recueil “de jeunesse”, on regrette qu’il ne pousse pas cet élan de franchise jusqu’à faire figurer dans le volume la mention d’une édition précédente.

C’est donc, en définitive, avec cette indulgence que demande l’auteur qu’il faut considérer ce volume. Un auteur qui depuis lors a publié un second recueil de nouvelles, « Dreamworld », ainsi que deux romans, « L’Enfant des cimetières » et « De fièvre et de sang ». Reste aux amateurs à prendre connaissance des ces œuvres récentes afin de pouvoir, comme l’écrit Sire Cédric, “constater le chemin parcouru”.


Titre : Déchirures (nouvelles)
Auteur : Sire Cédric
Couverture : Nord Compo
Quatrième de ouverture : photographie de l’auteur par Nicolas Guillabert
Éditeur : Le Pré aux Clercs (édition originale : Nuit d’Avril, 2005)
Site internet : page roman (site éditeur) et sur [le site de l’auteur>http://www.sire-cedric.com/dechirures2010]
Pages : 249
Format (en cm) : 15,5 x 24 x 2
Dépôt légal : novembre 2010
ISBN : 978-2842283742
Prix : 18 €



À lire également sur la Yozone :
- Un entretien avec Sire Cédric
- La critique de Dreamworld


Hilaire Alrune
2 janvier 2011


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