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Sommet des Dieux (Le) (T1 et 2)
J. Taniguchi & B. Yumemakura
Kana

Le Sommet des Dieux, en 5 volumes, n’est pas une nouveauté, loin de là. Cependant, cette série constitue un immanquable pour les amateurs de mangas et d’alpinisme. L’éditeur relance donc l’intérêt en publiant une version luxe, agrémentée de quelques bonus.
A première vue, le pari est osé : raconter une histoire captivante, d’environ 1700 pages, sur le simple thème de l’alpinisme et de la conquête des sommets. Ambitieux non ?
Et pourtant…



Je ne suis pas un grand fan de manga, du moins pas en format papier. Dans ma bibliothèque, vous ne trouverez dans ce style que le tome 2 de “GON”, quelques “Dragon Ball”, et le manga français “L’Autoroute du Soleil”. Autant dire pas grand-chose…
J’avais choisi de chroniquer “Le Sommet des Dieux” par pure curiosité, sans grande conviction.
Je dois même avouer que je redoutais la lecture de ces 2 volumes, d’environ 700 pages au total. Et le dessin sur couverture, très austère, ne relevait pas mon enthousiasme.
Les ouvrages dont le thème principal est la montagne sont rares. Ceux qui arrivent à captiver le lecteur avec ce sujet le sont encore plus. De mémoire, la dernière BD que j’ai eu entre les mains à ce sujet était “Himalaya Vaudou”, à la saveur mitigée.

Mais là, c’est du lourd. Du très lourd.
J’ai tout simplement dévoré, ou plutôt dégusté, ces 2 tomes. Même après la lecture, je me suis surpris à consulter les pages internet traitant de ce manga ou de son auteur, juste pour combler mon état de manque, ma frustration.

A l’origine, “Le Sommet des Dieux” (神々の山嶺 : Kamigami no Itadaki, titre original) est un roman japonais écrit par Baku Yumemakura et publié en 1997. Il aura fallu 4 ans d’écriture à l’auteur pour, selon ses propres termes, écrire tout ce qu’il a pu sur le thème de l’alpinisme jusqu’à ce qu’il soit complètement en manque d’inspiration.
Les aventures de héros qui se battent toujours contre des adversaires plus forts qu’eux est un thème qui fascine Baku Yumemakura. L’auteur ne cache d’ailleurs pas son goût pour “Saiyuki”, un roman fantastique sur ce même thème dont la plus célèbre (libre) adaptation est “Dragon Ball”. Je suis surpris moi-même que ma pauvre culture manga puisse être utile !
D’un adversaire imbattable à une montagne infranchissable, il n’y a qu’un pas. Baku Yumemakura l’a franchi.
Ce livre a rencontré un franc succès et a notamment été récompensé par le prix Rentarô Shibata en 1997.

Dans les bonus de cette édition « de luxe », on apprend que Baku Yumemakura, à la sortie de son roman, souhaitait que seul Jirô Taniguchi adapte son histoire en manga. Son rêve a été exhaussé. Prépublié dans le magazine Business Jump (Shueisha) entre 2000 et 2003, il a ensuite été rassemblé en 5 tomes au japon. Ce sont ces 5 tomes, traduits en français entre 2004 et 2005, que nous retrouvons dans la collection Made In Japan des éditions Kana.
La publication actuelle est splendide. Elle reprend toutes les bonnes idées de la précédente (grand format, qualité du papier, préface d’une romancière française, postface des auteurs…) et l’agrémente de bonus sympathiques (couverture rigide, sur-couverture papier, et marque-page en tissu). Le sens de lecture original, de droite à gauche, a été conservé.
Ironie des maisons d’édition, alors que les 5 tomes sont disponibles en français depuis plus de 5 ans, le roman original n’a jamais été traduit. Dommage.

Ce manga a reçu, en 2001, le prix de la meilleure œuvre dans sa catégorie lors du festival des arts et médias du ministère de la culture du Japon et, en 2005, le Prix du dessin lors du Festival d’Angoulême.

Pour ceux qui n’auraient pas connu les éditions précédentes, voici l’histoire :
Selon les faits historiques, le 8 juin 1924, les britanniques George Mallory et Andrew Irvine sont disparus en essayant d’atteindre, pour la première fois, le sommet de l’Everest par la voie passant par le col Nord. Leur compagnon d’expédition Noel Odell a rapporté les avoir vus à 12h50 dans l’ascension d’un des ressauts de la crête Nord et progressant fortement vers le sommet, mais aucune preuve n’a montré qu’ils ont effectivement atteint le sommet. Ils n’ont jamais rejoint le camp avancé et sont morts quelque part dans la montagne.
Finalement, le sommet de l’Everest sera officiellement atteint par le Sud, côté népalais, en 1953, presque 30 ans après.

Mais la question demeure. Et si l’expédition de 1924 avait atteint son objectif juste avant la disparition des alpinistes. Une preuve irréfutable serait la découverte de l’appareil photo des 2 hommes.
Selon le manga, c’est justement ce que pense découvrir Fukamachi Makoto, en 1993, dans une petite boutique de Katmandou. Enquêtant sur l’origine de cet appareil, Fukamachi croise Habu Jôji, un célèbre alpiniste curieusement disparu de la circulation. Pour Fukamachi, c’est clair, il tient un double scoop : la légitimité de l’ascension de l’Everest et la découverte d’un des plus doués alpinistes japonais. Ses recherches vont le mener sur les traces, aujourd’hui effacées, des plus grands grimpeurs japonais : Habu Jôji et Hase Tsuneo.
Au fil de ses entretiens, Fukamachi retracera les aventures de ces 2 individus rivaux, dont le seul but a toujours été d’ouvrir la voie, d’être le premier à atteindre le sommet.
On découvre ainsi le côté compétiteur de ces aventuriers de l’altitude. La recherche de l’exploit dévore tous les protagonistes. Même au sein d’une cordée, tous veulent être le premier à poser le pied sur le sommet. Et si le pic a déjà été atteint, alors il leur faut dépasser cette prouesse en rajoutant des handicaps (en hivernale, en solitaire, sans assistance d’oxygène, par un versant particulièrement abrupte…).
Mais la compétition ne fait pas tout. Les sentiments sont beaucoup plus subtils et le manga de Jirô Taniguchi relate parfaitement le caractère ambigu qui unit les hommes sur les monts enneigés. D’un côté, la concurrence fait rage, de l’autre, ils ne peuvent compter que sur leurs pairs pour atteindre l’objectif et revenir vivants. Un délicat mélange de méfiance, jalousie et fraternité se forme dans les cordées.
Cette adaptation était donc faite pour Jirô Taniguchi qui, depuis les années 90, traite principalement dans ses mangas des introspections (“L’Orme du Caucase”, “Terre de rêves”), des relations entre les êtres humains (“L’Homme qui marche”, “Le Journal de mon père”, “Quartier lointain”), et de l’alpinisme (“K”, “Le Sauveteur”).

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tant la crédibilité et le niveau de détail du récit sont bluffants, cette histoire est purement fictive. Aucun de ces personnages n’a jamais existé.
_ Cependant, le roman de Baku Yumemakura est incontestablement bien documenté. Il aura fallu 15 ans de recherches à l’auteur avant d’écrire les premières lignes de son roman. On comprend ainsi mieux l’origine des détails fournis dans le récit. Par exemple, dès les premières pages, l’auteur précise la raison pour laquelle, en 1924, Mallory avait préféré Irvine à Odell pour finir l’excursion de l’Everest (ses talents en mécanique pour info).
Les personnages sont également la preuve de cette longue recherche préparatoire. Ainsi, Habu Jôji et Hase Tsuneo ont été fortement inspirés de Masaru Morita et Tsunéo Hasegawa. Le premier est mort à 43 ans dans les Grandes Jorasses, un sommet du massif du Mont Blanc. Le second a été le premier alpiniste à gravir plusieurs sommets en solitaire et en hivernale, dont la pointe Walker dans les Grandes Jorasses.
La compétition ouverte entre Habu Jôji et Hase Tsuneo ressemble d’ailleurs beaucoup à celle qui opposait Ivano Ghirardini et Tsunéo Hasegawa à la fin des années 70.

Le livre, entre enquête policière et récit d’aventures, ne s’adresse pas aux habitués du piolet. Inutile de maîtriser les termes techniques de l’alpinisme ou de connaitre les faits historiques de ce sport pour apprécier le manga. Le récit est bien documenté certes, mais il reste très abordable. On suit avec envie Fukamachi à la recherche du passé de ses compatriotes. Le plus souvent, le manga met en images les faits, qu’ils soient relatés par les différents interlocuteurs du journaliste ou qu’ils soient écrits par les alpinistes eux-mêmes.
Dans ces nombreux flash-backs, le talent de Jirô Taniguchi à dessiner des décors montagneux s’exprime parfaitement. Habitué du genre, il révèle des cols, des cimes, des surplombs, des terrasses balayées par le vent et des murs de glace absolument sublimes. Du grand art. Pour couronner le tout, le livre est agrémenté de doubles pages magnifiques. La richesse des détails nous fait oublier le Noir et Blanc.

Aujourd’hui encore, le mystère demeure sur le fait que Mallory et Irvine ont, ou non, réellement atteint le sommet.
En 1975, un alpiniste chinois a rapporté avoir aperçu le corps d’Irvine près du sommet, mais il n’a pu être localisé précisément. Par la suite, la découverte en 1999 du corps de Mallory à 8 290 mètres d’altitude sur la face nord de l’Everest a relancé le débat, mais les appareils photo n’ont pas été retrouvés. Ils sont la pièce manquante pour apporter la preuve de leur succès.
Ce manga à suspens semble vouloir jouer avec cette vérité. A la fin du deuxième tome, Fukamachi décide de retourner au Népal, à la rencontre de celui qu’il sait être Habu Jôji. Fukamachi sait également que Habu s’apprête à relever un nouveau défi insensé. Peut-être que Habu saura lui en dire d’avantage sur le lieu où a été découvert l’appareil photo. Peut-être également qu’ils arriveront à retrouver les pellicules. Peut être que Habu va repousser les limites de l’alpinisme. Peut-être…


Le Sommet des Dieux (T1 et 2)
- Scénario : Baku Yumemakura
- Dessin : Jirô Taniguchi
- Editeur : Kana]
- Collection : MadeIn
- Dépôt légal : 3 septembre 2010
- Format : 148 x 210 mm
- Pagination : 326 pages (T1), et 335 pages (T2)
- ISBN T1 : 978-2-5050-0489-9
- ISBN T2 : 978-2-5050-0769-9
- Prix Public TTC France : 18,00 €


Illustrations © Yumemakura et Mangakana (2010)



Allison & Julien
2 novembre 2010




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