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Chant du Barde (Le)
Poul Anderson
Le Bélial’, nouvelles, traduit de l’anglais (États-Unis), Science-Fiction, 586 pages, juin 2010, 25€

Après « La Saga de Hrolf Kraki », « Trois Cœurs, Trois Lions », et la série complète de « La Patrouille du Temps », « Le Chant du Barde » constitue le septième ouvrage de Poul Anderson publié par Le Bélial’.

En neuf longues nouvelles indépendantes, cet épais volume – près de six cent pages– propose un tour d’horizon des talents de l’auteur : contre-utopies, chocs des civilisations, limites de l’humain, archétypes et réflexions sur l’Histoire font partie des thèmes abordés.



Sam Hall
Dans une Amérique devenue totalitaire, un technicien des archives centrales commence à modifier les mémoires informatiques pour faire disparaître un lien familial l’unissant à un soldat soupçonné de trahison. Peu à peu, il se prend au jeu, crée de toutes pièces une fausse identité basée sur un personnage de chanson, et lui attribue la paternité de multiples actions antigouvernementales. Cette falsification sera l’un des éléments qui, de façon progressive, fera basculer une Amérique dictatoriale vers la révolution. Écrite en 1953 sous l’influence du maccarthysme, cette nouvelle aurait pu être démodée depuis longtemps si George Bush fils n’était pas passé par là, et ne lui avait redonné une actualité étonnante. Surveillance systématique du citoyen, perte des libertés individuelles, dérives de l’Amérique hors de ses principes fondateurs, rien n’y manque. On y trouve de plus une belle anticipation du fichage informatique et de l’influence que peut prendre le virtuel sur le monde concret.

Jupiter et les centaures
Cette nouvelle composée en 1957 prend elle aussi une actualité étonnante, dans l’histoire cinématographique cette fois-ci. Pour explorer une planète invivable pour les êtres humains, on crée de toutes pièces une créature à la peau bleue dans laquelle une machine permet de transporter à volonté l’esprit d’un volontaire cloué dans un fauteuil roulant. Les coïncidences apparaissent trop nombreuses pour que ce récit n’ait pas fait partie des sources ayant inspiré James Cameron pour son « Avatar ». Mais, là où Cameron utilise ce procédé pour développer une toute autre histoire, Anderson en fait le sujet de son récit à part entière. La personnalité de l’avatar est-elle bien, au final, celle de l’humain qui le contrôle ? L’être humain qui l’anime demeure-t-il réellement un être humain ? Un récit particulièrement intéressant, et un final qui sera aussi celui choisi par James Cameron.

Long cours
Dans ce récit écrit en 1960, Anderson met en scène, sur une planète étrangère, une humanité très proche de ce qu’elle était sur terre au seizième siècle. Un équivalent de Christophe Colomb, mais moins naïf que le personnage historique dans son obsession pour l’El Dorado. (“j’ai toujours pensé que ce n’étaient que des contes de bonne femme”, explique-t-il à son protégé. “Mais fort utiles. Comme un aimant au bout d’un bâton, cette histoire nous entraîne autour du monde”), lancé dans l’exploration d’une géographie étrangement semblable, découvre un homme venu de l’espace qui lui donne accès aux étoiles. Le choix que fait le conquistador et ses raisons, les aspects humains et historiques font de ce récit une magnifique fable intemporelle. Sur le thème, ici à deux niveaux simultanés, de la rencontre manquée entre cultures, une nouvelle à la fois élégante et dramatique qui n’est pas sans évoquer, avec un traitement tout différent, « L’Homme Tombé du Ciel » de Walter Tevis.

Pas de trêve avec les rois
Prix Hugo 1964, cette nouvelle est elle aussi à la frontière entre une actualité sans cesse réitérée et un thème intemporel. La science-fiction, une fois encore, permet de présenter sous une forme démonstrative un problème bien concret : une civilisation peut-elle se permettre d’intervenir sur l’histoire d’une autre, prétendument pour son bien ? On reconnaît là une question abondamment développée par le genre, des frères Strougatski à Iain Banks, avec ici, outre un traitement très humain, une réponse habilement nuancée.

Le Partage de la chair
Prix Hugo 1969, une intéressante ethnologie-fiction. La répulsion fondamentale avec laquelle des humains civilisés découvrent les rites innommables d’une société étrangère les conduit à chercher les moyens d’y mettre fin, et à constater leur impuissance. Comment lutter contre des rituels millénaires ? Comment lutter contre des croyances en apparence démentes ? Comment lutter contre ces traditions qui, en posant l’immuable, sécurisent et rassurent ? “Car la superstition”, écrit Anderson, “est un guide infaillible”. Tout comme dans “Long cours”, l’auteur aborde une thématique éternelle, souvent revisitée par la science-fiction qui permet de lui donner forme allégorique, et réussit ici à l’agrémenter d’un développement et de conclusions surprenantes.

Destins en chaîne
Cette nouvelle née d’un prologue de Keith Laumer soumis pour suite à divers auteurs est sans doute la seule du volume à n’apparaître ni prenante ni homogène. Jeux avec la réalité et avec le psychisme, bien des auteurs ont fait mieux, sans avoir pour cela besoin, comme Poul Anderson, de dépasser les cinquante pages.

La Reine de l’air et des ténèbres
Ce récit, qui donna son nom à un recueil de l’auteur publié chez J’ai Lu, reçut à la fois le prix Hugo et le Nebula. On retrouve ici encore la thématique de la rencontre entre civilisations, une rencontre ici esquivée, dissimulée, un jeu de cache-cache et d’illusions reposant sur une idée magnifique qui a, peut-être, inspiré Robert Holdstock et sa saga des mythagos.

Le Chant du Barde
Lui aussi prix Hugo et Nebula, publié en 1972, ce récit peut sembler basé sur une trame à présent bien usée : dans une société future admirablement régie par une machine qui promet aux hommes le retour après la mort mais ne l’accorde jamais, certains finissent par se révolter. Mais le traitement, sensible et poétique, et faisant intervenir, comme dans “La Reine de l’air et des ténèbres”, une multiplicité de chants, lui confère un caractère légendaire, et fait au final de l’amour, la mort et la liberté les véritables thèmes de l’histoire.

Le jeu de Saturne
Ce texte décrit l’importance croissante prise par la fiction -jeu de rôle, psychodrame, mise en situation– au long de croisées stellaires interminables, et les difficultés qu’éprouvent les explorateurs spatiaux à revenir au monde réel. Dès lors, leur objectivité s’émousse, leur prudence également, et l’exploration de nouveaux mondes prend, de par ce jeu à la fois enchanteur et délétère, des allures de fables peuplées d’archétypes. Une nouvelle étonnante mêlant science, mythe et poésie.

Au total, cet épais volume recèle plus d’un intérêt. En remettant à disposition du lecteur des textes classiques difficiles à trouver, il ne manquera pas de le convaincre que la qualité et l’adéquation au présent ne sont pas l’apanage de textes récents. Car ces nouvelles ne se résument pas, loin s’en faut, à leur importance dans l’histoire du genre. Comme Bradbury et quelques autres grands noms, Anderson, en s’attaquant à des thèmes intemporels, est parvenu à se détacher de la contemporanéité qui fut la sienne.
À force de poésie et d’humanité, il dépasse les limites du genre pour bâtir des contes à prétention universelle, dont certains, en ce début de millénaire, prennent de surcroît des résonances singulières.
Notons, pour finir, que cet ouvrage dirigé par Jean-Daniel Brèque s’agrémente d’une préface générale, d’une introduction pour chacun des textes, d’un appendice pour la nouvelle ayant donné son titre au volume, et d’une volumineuse bibliographie de plus de cinquante pages. Sous une élégante couverture de Philippe Caza, un très beau travail d’édition.

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Coquilles Le Chant du barde
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Illustration de Philippe Caza

Titre : Le Chant du Barde (nouvelles)
Auteur : Poul Anderson
Ouvrage dirigé par : Jean-Daniel Brèque
Traducteurs de l’anglais (États-Unis) : Denise Hersant, Bruno Martin, Michel Deutsch, Pierre Billon, Jean-Pierre Pugi et Jean-Daniel Brèque
Couverture : Philippe Caza
Éditeur : Le Bélial’
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 586
Format (en cm) : 20,6 x 14 x 4,3
Dépôt légal : juin 2010
ISBN : 978-2843440991
Prix : 25 €



Hilaire Alrune
16 juillet 2010


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