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Trouble : Interview croisée Harry Cleven / Natacha Régnier
Harry Cleven et Natacha Régnier expliquent leur Trouble aux yonautes


Il fait très froid sur Paris et nous avons rendez-vous avec les deux acteurs principaux et le réalisateur de « Trouble ». Le film, vu quelques jours auparavant, nous a enchanté. Enfin, un bon film fantastique français. Enfin, franco-belge et surtout belge comme la nationalité de son réalisateur, Harry Cleven. L’hôtel, proche des Champs-Elysées est cossu. L’accueil chaleureux. Le planning est serré mais tout le service de presse se met gentiment au service des uns (l’équipe du film) et des autres (la presse) pour que tout se passe au mieux. Nous débutons notre journée par une interview croisée avec Natacha Régnier, lumineuse, et Harry Cleven, réellement habité par son film. Instants de vérité et interview croisée

Yozone : Natacha Régnier, à la lecture du dossier de presse, on constate que vous avouez avoir été très heureuse de tourner dans un film de genre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Natacha Régnier : Tout d’abord, je suis en fait très heureuse d’avoir travaillé avec Harry et d’avoir fait ce film là ! Je le trouve dément !

Yozone : Si le cinéma français de genre a eu ses grandes heures, il semble qu’aujourd’hui les acteurs mainstream s’y investissent moins. Pourquoi avez-vous tant souhaité participer à ce projet ? C’est un peu paradoxal, non ?

Natacha Régnier : Dans ce métier, j’adore que l’on me surprenne. Même en me proposant un projet auquel je n’aurai jamais pensé au départ. Il faut bien sur un vrai univers, un vrai scénario. Quand Harry est arrivé avec le personnage de Claire et ce nouveau regard, j’ai été très heureuse et enthousiasmée. En fait, je pense que je m’ennuierai à mourir si je devais toujours jouer le même rôle.
Harry Cleven : Tu ne pourrais pas toujours faire « La vie rêvée des Anges » ? (sourire)
Natacha Régnier : C’est un rôle que j’ai adoré mais de là à le jouer à l’infini !

Yozone : Nous avons beaucoup aimé « Trouble » mais ce qui nous a vraiment surpris, c’est qu’il semble parfaitement orchestré et millimétré. Notre impression est-elle juste et si oui, est-ce l’aboutissement d’un long travail ?

Harry Cleven : Oui et il m’a fallu 5 ans ! C’est bizarre que vous me posiez cette question, mais en Belgique, nous croyons sans doute beaucoup plus à la vertu du travail et de la relecture permanente qu’en France. La plupart des réalisateurs Belges que je connais mettent au moins 5 ans pour écrire leur projet. Pour prendre les plus perfectionnistes (comme Jaco) c’est 10 ans (cf. l’excellent « Toto le Héros » qui repasse en avril sur Canal +. NDLR) ! On en arrive même à s’organiser des séances de lectures des scénarios, entre nous, pour se faire “casser la gueule” ! Mes meilleurs copains sont ceux qui osent pointer tout ce qui ne va pas. Et je peux vous dire que ça y va ! On ne prend pas de gants même si on se respecte totalement.
Natacha Régnier : Je confirme, ils ont effectivement une démarche très perfectionniste !
Harry Cleven : En fait, c’est culturel chez nous. On fait ça depuis très longtemps. J’ai l’impression qu’en France, ça commence juste à arriver avec la nouvelle génération. J’ai plusieurs amis réalisateurs français qui sont actuellement tout contents de se trouver un Belge pour faire comme nous !
Natacha Régnier : C’est vrai que dans la nouvelle génération ce principe d’entraide est en train de se mettre en place. On a d’ailleurs travaillé comme ça avec les deux ou trois réalisateurs avec qui j’ai collaboré. Il faut cependant que ce soit basé sur le respect mutuel pour que ça fonctionne vraiment.

Yozone : En fait, cela nous rappelle un peu le fonctionnement du cinéma français d’avant-guerre. L’équipe “scénariste-dialoguiste-réalisateur-compositeur” était très imbriquée dans un travail commun, en collaborant très fortement. C’est un peu la même méthode que vous utilisez, non ?

Harry Cleven : Oui, mais c’est quelque chose qui s’est un peu perdu en France. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé sur le scénario, mais j’ai aussi passé un an à bosser le découpage. J’avais déjà préparé la bande son, et tout ce qui devait se passer “hors champ” avant le tournage. Tout était écrit. C’est impératif pour un film fantastique. Il faut vraiment faire passer des ambiances. Le hors-champ devient donc très important et propre au genre si l’on veut créer l’angoisse. J’ai toujours pensé que le fantastique était le genre le plus cinématographique. C’est pour ça que je l’adore, en fait. Comme dans le cinéma asiatique d’aujourd’hui, il faut beaucoup d’audace pour réussir un bon film fantastique. Eux, ils n’hésitent pas à prendre des risques. Ils y vont ! De toute façon, pour moi, un réalisateur n’a le choix qu’entre deux directions : c’est soit, « Fais attention ! », soit « Va plus loin !. » Il est clair qu’en Belgique, notre premier réflexe est de dire : « Va plus loin, va au bout de ton univers !. » Alors qu’en France, actuellement, on te dit très vite, « Fais attention !. »

Yozone : Dans le cinéma asiatique fantastique ou même américain, on a souvent la sensation que tout le monde est « dans l’histoire » et que les acteurs y croient réellement. Le cinéma français offre rarement cette impression. On fait un film fantastique mais pas trop quand même... Comment avez-vous fait pour ne pas tomber dans ce travers ?

Harry Cleven : Le constat est juste, la recette est simple. Pour réussir ce type de projet, il faut vraiment une implication absolue des acteurs... Sinon ça ne marche pas !
Natacha Régnier : En tant qu’actrice, c’est en plus très exaltant. Avec un réalisateur comme Harry et un scénario comme celui de « Trouble », on a aussi énormément travaillé sur les lumières, la bande son. Bref, tous les aspects techniques du tournage. Harry est un réalisateur très précis.
Harry Cleven : C’est vrai, ça ! Tu m’as très vite avoué que tu avais été très surprise que je te donne autant d’indications techniques. Tu n’étais pas habituée à avoir autant d’exigences de ce type de la part d’un réalisateur.
Natacha Régnier : C’était même la première fois que cela m’arrivait ! Je n’avais jamais autant eu de précisions purement techniques sur ce que je devais faire.
Harry Cleven : C’est marrant qu’il n’y ait pas cette habitude en France. Ici, vous avez un peu la culture de l’improvisation... Vous suivez les acteurs, vous voyez ce qui va se passer...

Yozone : Un des aspects de « Trouble » qui nous a beaucoup plu, c’est que rien n’est expliqué, tout est suggéré. C’était une démarche volontaire de votre part ?

Natacha Régnier : En ce qui me concerne, j’adore de toute façon ce type de personnage qui permet de suggérer. En tant qu’actrice, c’est extrêmement troublant de jouer pour « faire comprendre ». Suggérer au spectateur pourquoi quelque chose s’est passé comme ça, ce qui pourait arriver... C’est une des raisons pour lesquelles j’ai adoré le rôle du père dans « Trouble » et l’interprétation qu’en donne Olivier Gourmet.
Harry Cleven : Justement ! Pour arriver à suggérer, il faut préparer. Je n’ai jamais cru que la liberté permettait d’arriver à ce résultat. C’est même le contraire ! Il faut une longue préparation pour avoir une chance d’y arriver.

Yozone : Harry Cleven, vous avez commencé cotre carrière comme acteur. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’autre coté de la caméra ?

Harry Cleven : Mon premier rôle avec Zulawski ! C’est quelqu’un qui vous amène dans son univers, il est extraordinaire ! Il faut arrêter de colporter la légende malsaine qui tourne autour de sa réputation. Des acteurs aux techniciens, tout le monde se met en quatre pour lui ! J’avais un tout petit rôle, mais dès que je le pouvais, j’allais sur le plateau car personne de toute façon, n’aurait pu se retenir de faire autrement. C’est un réalisateur qui suscite le dévouement.
Après cette expérience, je n’avais plus envie de jouer ! Et puis, il faut être un peu prétentieux, ou très sûr de soi, pour s’imaginer dans la distribution de son propre film, non (rires) ?
Enfin, certains y arrivent très bien (tout le monde cherche un nom et Harry Cleven met tout le monde d’accord, NDLR) ...Surtout Cassavettes pour qui j’ai aussi un énorme respect. Mais lui, réalisait aussi de l’intérieur quand il jouait dans ses films. Et c’était aussi pour mieux les diriger. C’est pour cela qu’il est grandiose comme acteur et comme réalisateur !

Yozone : Cassavettes, c’est aussi un des premiers réalisateurs qui donnait l’impression que ses films étaient très improvisés ou librement interprétés alors qu’ils étaient énormément pensés, non ?

Harry Cleven : C’est certain. Les gens qui l’imitent, le font souvent très mal. Ils n’ont retenu que le coté “foutoir”. Ce qui est une erreur car chez lui, tout est très structuré.
Natacha Régnier : Il y a aussi des acteurs qui se mettent à la réalisation et ont vraiment trop envie de tourner dans leur film (cri du cœur de Natacha Réginier, NDLR) !
Harry Cleven : Oui, c’est possible. Je pense cependant que ça marche surtout pour les comédies. C’est quand même le genre qui s’y prête le mieux. Si l’acteur-réalisateur a une idée très précise de ce qu’il veut exprimer, effectivement, pour une comédie, il vaut mieux qu’il joue dedans. Mais techniquement, c’est quand même plus simple à réaliser qu’un film fantastique.

Yozone : Quand on a un projet comme « Trouble » dans les mains, comment trouve-t-on un producteur, des acteurs ?

Harry Cleven : En fait, très simplement. J’avais commencé à travailler sur le film avec un producteur Belge mais au finish, il voulait aller dans une direction “naturaliste” à la « Harry, un ami... » qui ne me convenait pas. On s’est donc séparé. Après, c’est un coup de chance. Mon agent parisien a envoyé le scénario à une quinzaine de producteurs français et il y en a un qui l’a lu et qui a réagi tout de suite. Il a eu l’audace de me dire, « Il faut qu’on se voie demain. Je veux faire ce film ». En fait, il avait même peur que quelqu’un ne lui pique le projet !

Yozone : Une chose nous a étonné dans l’interprétation de Natacha Régnier, c’est que son personnage à un coté lumineux et aérien tout en donnant l’impression de traîner un passé violent. Bon feeling ou impression erronée ?

Natacha Régnier : J’ai interprété ce personnage comme son prénon : « Claire ». C’est quelqu’un qui a confiance dans l’amour de son mari et réciproquement. Elle est droite, les pieds sur terre. Elle a une sensibilité à fleur de peau car elle est enceinte. Je « l’ai fait » dupe de la perversité des autres et de leurs revirements. Sa dualité n’apparaît que par rapport aux événements qu’elle doit affronter et dont elle est la victime. Je l’ai vraiment interprétée et sentie sous cette « clarté ». Le fond de son personnage, pour moi, c’était son prénom.
Harry Cleven : Natacha, je l’ai prise pour ça ! Cette apparence angélique alors que c’est une bête (rire général, NDLR). Elle a ce coté animal, sauvage. Comme les actrices de Hitchcock. Elle a un tempérament de feu ! Tu sais, il y a une vraie violence cachée dans ton rôle !
Natacha Régnier : Mais ça, je ne m’en rendais pas compte, moi ! (rires)
Harry Cleven : C’est bien pour cela que tu m’intéressais !

Yozone : Harry, vos précédents films étaient plutôt personnels et intimistes. Allez-vous refaire ce type de films ou réaliser à nouveau des films fantastiques ?

Harry Cleven : Dans mon précédent film, je voulais aller au bout de mon langage personnel. Je l’ai fait, et une fois ma grammaire cinématographique trouvée, j’avais envie de faire un film « pour les gens ». Les films de genre sont faits pour cela. On ne pense qu’à une chose : faire peur, faire peur, faire peur !
Natacha Régnier (l’interrompant !) : En même temps, tu avais déjà un peu ce coté fantastique dans ton précédent film, non ?
Harry Cleven : Absolument. Je n’ai pas fait le grand écart !

Malheureusement, pour nous. La porte de la pièce d’interview s’ouvre, nous avons épuisé notre crédit-temps. Nous échangeons rapidement quelques mots, quelques remerciements et nous quittons un réalisateur passionné et passionnant et une actrice habitée par un rôle lumineux et prenant.
S’il vous plaît, si « Trouble » passe par chez vous, allez-y !

Propos recueillis par Bruno Paul et Stéphane Pons


Bruno Paul
Stéphane Pons
16 mars 2005



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