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Antarctique (Intelligences II)
Martial Caroff
Terre de Brume, paléontologie-fiction, 282 pages, mars 2010, 18,50€

Dans « Exoplanète », Martial Caroff relatait la découverte d’une intelligence extra-humaine localisée à une distance astronomique telle que tout contact direct était impossible. Avec « Antarctique », il met en scène une intelligence perdue cette fois dans les abîmes du passé.



Nous sommes en 2037, dans un futur qui ne paraît guère éloigné de notre présent. Sur le plan géopolitique, une différence de taille : Israël, en échange de la paix, a abandonné les territoires occupés. L’ONU ayant octroyé à cet état des terres antarctiques, des villes se sont développées sous dôme sur la bordure orientale de la Mer de Ross. C’est dans cette région figée par les glaces que sont découverts des ossements inattendus. Une équipe de scientifiques israéliens mène l’enquête. Dans le même temps, en Patagonie, des archéologues découvrent des reliques en tous points surprenantes. Mais les deux équipes se heurtent rapidement à l’impossible : la datation scientifique des vestiges que les uns et les autres étudient fait voler en éclats leurs premières hypothèses, et les conduit bientôt à en échafauder d’autres qui vont à l’encontre de ce en quoi ils ont toujours cru.

Le schéma narratif adopté pour la construction de ce récit est proche de celui d’« Exoplanète », le précédent roman de l’auteur, où apparaissaient déjà quelques-uns des personnages retrouvés dans « Antarctique ». Après une ouverture évoquant une scène d’introduction de type cinématographique, le roman compose en alternance deux aventures distinctes qui peu à peu convergent, puis, lorsque leurs protagonistes se rencontrent, fusionnent. Les chapitres, qui faisaient se succéder les investigations des uns et des autres, décrivent alors tour à tour la progression commune de plusieurs groupes de scientifiques et l’épopée immémoriale d’un peuple confronté à la glaciation. D’un côté, l’action, les interrogations, les discussions, les réflexions, les hypothèses. De l’autre, la relation de ce qui s’est réellement passé des millions d’années auparavant.

On comprend alors la portée symbolique de l’anecdote de la sarigue de Montmartre, présentée dans la première partie du roman, où l’on voit, en 1804, le grand anatomiste Georges Cuvier faire triompher ses thèses. Que peut-on, à partir du partiel, déduire du tout ? Quelles sont les limites de l’extrapolation scientifique ? Questions à appliquer non seulement aux ossements, mais aussi à toutes sortes de vestiges, et que le caractère pas entièrement humain de la civilisation perdue rend plus complexe encore. Et c’est à la mise en scène de ce pouvoir de la science et de l’intuition que sont consacrés plusieurs chapitres, à travers la découverte progressive d’une cité engloutie dans les glaces. Une série d’hypothèses et de réponses menant à la question fatidique : quels purent être les déterminants de la fin de cette civilisation ?

Cette révélation d’une intelligence à travers ses artefacts n’aurait rien de novateur – la littérature de genre en est familière – si elle ne se situait pas sur le globe terrestre, dans un lointain passé, imposant à l’auteur de l’inscrire dans une histoire géologique et paléontologique précise. Le volume s’agrémente de quelques documents simples, mais essentiels à la compréhension du cheminement scientifique des protagonistes : une cartographie de l’Antarctique et de la Terre de Feu, une carte de l’hémisphère sud à la fin du crétacé, une échelle des temps géologiques. Ces annexes permettent au lecteur non familier de ces domaines de suivre aisément à la fois les tribulations et les questionnements des personnages, et d’aboutir en même temps qu’eux à des conclusions similaires.

Car c’est en effet en empruntant des éléments au mythe, à l’histoire, à la géographie, à l’archéologie, à la paléontologie, à la zoologie et à la géologie, que Martial Caroff développe son intrigue. Peu à peu, les éléments évoqués au fil du roman – citons par exemple un étrange mécanisme évoquant la machine d’Anticythère [1], les arbres de l’évolution dessinés par les paléontologues, les cartographies des continents et de leurs dérives anciennes – s’imbriquent et fusionnent pour former un tout cohérent. En faisant s’articuler tous ces domaines et converger leurs éléments, l’auteur parvient à échafauder et à rendre crédible une hypothèse passionnante.

Comme dans son précédent opus, Martial Caroff réussit à faire dans la science sans être pesant et à éviter les clichés propres au genre. S’il cède à l’un d’entre eux – les tentatives de sabotage de ces découvertes par les créationnistes – on ne peut lui dénier l’excellente idée d’avoir, dans un premier temps, fait collaborer ces fondamentalistes à l’aventure, ceux-ci pensant que la mise en évidence de l’intelligence au plus profond des ères géologiques viendrait immanquablement rendre caduques les thèses darwiniennes. Si certains événements du récit semblent parfois trop brefs, notamment les premières rencontres entre les différentes équipes, les chapitres courts permettent de maintenir un rythme soutenu. Martial Caroff parvient à mettre en scène des personnages sympathiques, atypiques, éloignés des stéréotypes du thriller scientifique, et à ne pas négliger les rapports humains sans pour autant sombrer, comme c’est trop souvent le cas pour la littérature de genre, dans la psychologie convenue : une qualité certaine qui, à elle seule, suffirait à rendre l’ouvrage sympathique et à le démarquer de la production tout-venant.

Avec « Antarctique », Martial Caroff ne se contente pas de faire pousser un nouveau rameau sur l’arbre de l’évolution, il en fait de même pour l’arborescence des littératures de l’imaginaire. Si les Français, depuis Rosny aîné, se sont abondamment illustrés dans le récit préhistorique, l’auteur remonte infiniment plus loin dans le temps en développant une fiction vertigineusement anté-préhistorique que l’on pourrait qualifier de paléontologie-fiction. Reprenant, dans une aventure totalement indépendante, quelques-uns des protagonistes d’« Exoplanète », l’auteur permet à l’un de ses personnages de dévoiler le plan d’ensemble de son triptyque « Intelligences » : “À titre de boutade, Marc – qui a un peu trop bu – dit qu’après avoir trouvé une intelligence loin dans l’espace et une autre loin dans le temps, il ne reste plus à présent, pour boucler la boucle, qu’à découvrir une civilisation extrahumaine terrestre et… contemporaine.” Voilà donc, sans doute, révélée la teneur du volume à venir, dans lequel on peut s’attendre, en sus de découvertes peu ordinaires, à retrouver des figures de connaissance.

Texte - 857 octets
Coquilles « Antarctique »

Titre : Antarctique
Auteur : Martial Caroff
Couverture : Lac Fryxell – Antarctique (2002) photo Joe Mastroianni
Éditeur : Terre de Brume
Site internet : éditeur
Pages : 282
Format (en cm) : 14 x 24 x 2,3
Dépôt légal : mars 2010
ISBN : 978-2843624230
Prix : 18,50 €



Hilaire Alrune
26 avril 2010


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